Les canards s’inquiètent aussi de la taille de leur pénis
En matière de sexualité, les canards mâles et femelles sont comme bloqués dans un intense conflit sexuel qui a conduit à la formation d’organes génitaux sérieusement étranges des deux côtés.
En règle générale, les canards femelles se mettent en couple avec un partenaire pendant la saison de reproduction, mais elles sont également harcelées par d’autres mâles. Les scientifiques estiment qu’un tiers de toutes les copulations de canard sont forcés, conduisant à des bras de fer génitaux dans lesquels la configuration tordue des voies reproductives féminines, ou oviductes, rétablissent le choix des femelles. Alors que le pénis en forme de tire-bouchon du mâle se tord dans le sens des aiguilles d’une montre, l’oviducte femelle se tord dans la direction opposée. Il en résulte que la majorité des copulations forcées ne conduisent pas forcément à une fertilisation. (Voir : “Les études qui sondent l’horreur de la sexualité chez les canards.”)
Compte tenu de l’ampleur de cette “course aux armes génitales”, Patricia Brennan, ornithologue du Mount Holyoke College (Etats-Unis), a émis l’hypothèse qu’une compétition intense entre les mâles peut affecter le développement et la forme d’un pénis au cours de la vie d’un canard mâle. Et donc elle a mené une expérience, dont les résultats apparaissent maintenant dans une étude.
L’expérience impliquait deux espèces, l’Érismature rousse (en image d’entête), qui sont à l’origine déjà bien dotés et à la sexualité permissive et le Petit Fuligule moins bien fourni et qui préfère rester en couple. Les chercheurs ont étudié les canards captifs des deux espèces pendant deux saisons de reproduction au Livingston Ripley Waterfowl Conservancy, dans le Connecticut, aux États-Unis.
Au cours de la saison d’accouplement, les canards mâles ont été maintenus avec d’autres mâles, le groupe expérimental, ou avec une seule femelle, le groupe témoin (les chanceux). Lors de la mesure des pénis masculins par la suite, les chercheurs ont constaté que les Petits fuligules présentaient des pénis plus longs en moyenne, lorsqu’ils étaient logés avec d’autres mâles. Cela implique que l’hypothèse de Brennan sur la “plasticité phénotypique de la morphologie du pénis” était correcte, mais les choses étaient un peu plus compliquées pour l’érismature rousse.
(A) Un jeune Petit Fuligule mâle et (B) son pénis généralement court et lisse. (C) mâles Érismature rousse et (D) un pénis typiquement long, en forme de tire-bouchon. (E) Un pénis d’Érismature rousse avec un retard de croissance. (P. L. R. Brennan/ I Gereg/ M. Goodman)
Pour l’érismature rousse, le fait d’être hébergé avec d’autres mâles a provoqué des retards de croissance et de reproduction. Bon nombre d’entre eux n’ont pas atteint la maturité sexuelle avant la deuxième année de l’expérience (ils atteignent généralement leur maturité sexuelle à deux ans). Quand ils l’ont finalement atteinte, les plus petits mâles érismatures rousse hébergés dans des groupes de mâles ont vu leur pénis grossir plus rapidement que les mâles hébergés avec une compagne, mais leurs pénis se sont développés avec un timing différent les uns avec les autres, restant dans une possibilité de reproduction pendant de courtes périodes.
Ce “manque de synchronisation”, tant en termes de retard de maturité sexuelle que de croissance du pénis, pourrait correspondre au fort niveau de concurrence entre les mâles. En compensant leur potentiel de reproduction, les canards ont profité de ce qui semblait une mauvaise situation. Ils n’étaient pas tous devenus sexuellement compétitifs pour les femelles en même temps, ce qui donnait aux petits canards une légère chance de se reproduire.
Selon Bob Montgomerie de l’université Queen’s (Canada), expert en stratégies de reproduction, qui n’était pas impliqué dans l’étude :
Il s’agit d’une excellente étude expérimentale sur la morphologie du pénis, observant les effets de l’environnement social sur la taille du pénis dans deux espèces de canard qui ont des systèmes d’accouplement différents.
L’étude montre que le niveau de compétition entre les mâles peut avoir un effet prononcé sur leurs organes génitaux. Mais dans dans ce grand ordre des choses, il n’est pas immédiatement clair si ces mâles aux caractéristiques améliorés sont plus chanceux en matière de reproduction.
Toujours selon Montgomerie :
La question maintenant est de savoir si l’augmentation observée de la taille du pénis chez le Petit Fuligule sous la menace de la compétition spermatique donne effectivement aux mâles un avantage concurrentiel. Comme toutes les bonnes études, celle-ci stimulera sans aucun doute davantage de recherche, car elle fournit à la fois des méthodologies et une attention particulière aux questions intéressantes.
L’étude publiée dans The Auk: Ornithological Advances : Evidence of phenotypic plasticity of penis morphology and delayed reproductive maturation in response to male competition in waterfowl.