Ig Nobel 2020 : tous les gagnants de la science qui fait d’abord rire et ensuite réfléchir
Depuis trois décennies, les Ig Nobel Awards célèbrent le côté humoristique de la science en récompensant les réalisations de la recherche qui « font d’abord rire, puis réfléchir ». Et ce ne sont pas les projets amusants qui manquent parmi la récolte 2020, avec des alligators qui braillent dans des chambres à hélium, des vers de terre ivres qui vibrent sur des haut-parleurs, des Yakuza qui ne prennent pas leur responsabilité et d’autres toutes aussi rigolotes et décrites ci-dessous par votre Guru.
Image d’entête : le Dr Ivan Maksymov de l’université Swinburn collectant l’un de ses nombreux cobayes qui lui ont permis de remporter le prix Acoustique (voir plus bas). (ARC Centre of Excellence for Nanoscale BioPhotonics/ Swinburne University of Technology)
Cette année marque donc la 30e édition des prix Ig Nobel, et fait suite à une édition 2019 qui a offert de nombreuses révélations scientifiques utiles et comiques. L’année dernière, nous avons appris la quantité de salive qu’un enfant de 5 ans peut produire en une journée, à quel point les billets de banque en polymère peuvent être sales et comment les wombats parviennent à produire des excréments en forme de cube.
Les gagnants de l’année 2019 :
Et en 2020, la science farfelue n’a pas cessé de nous surprendre.
La cérémonie de remise des prix, qui se déroule dans un climat de camaraderie, comprend généralement/ normalement des mini-opéras, des démonstrations scientifiques et des conférences organisées 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, au cours desquelles les experts doivent expliquer leurs travaux à deux reprises : une fois en 24 secondes et la seconde en 7 mots seulement. Les discours d’acceptation sont limités à 60 secondes. Et comme l’indique la devise, la recherche récompensée peut sembler ridicule à première vue, mais cela ne signifie pas qu’elle est dépourvue de mérite scientifique. Traditionnellement, les lauréats donnent également des conférences publiques à Boston le lendemain de la cérémonie de remise des prix. Cette année, COVID-19 oblige, les conférences seront diffusées sur le web.
En ce qui concerne les récompenses, les lauréats reçoivent la gloire éternelle de l’Ig Nobel et un billet de 10 milliers de milliards de dollars du Zimbabwe. Le Zimbabwe a cessé d’utiliser sa monnaie nationale en 2009 en raison de la montée en flèche de l’inflation et de l’hyperinflation. Au pire, le billet de 100 billions de dollars équivalait à peu près à 40 centimes d’euros. L’année dernière, la Banque de réserve du Zimbabwe a introduit le « zollar » comme remplacement potentiel.
Découvrons donc ensemble les lauréats…
Prix de la science des Matériaux à Metin I.Eren et ses collègues de l’université Kent (Etats-Unis) pour la conception de couteaux fabriqués à partir d’excréments congelés.
Une tentative ratée de découper de la peau de porc avec une lame en matière fécale congelée. (Metin I Eren et col./ Journal of Archaeological Science)
L’expérience a été motivée par le récit ethnographique d’un Inuk du Canada qui prétend avoir fabriqué un couteau à partir de ses propres excréments. L’équipe d’Eren au laboratoire d’archéologie expérimentale de l’université a décidé de mettre cette affirmation à l’épreuve, et elle a donc fabriqué ses propres couteaux en caca congelé, ce qu’elle a fait en utilisant celui fourni par les membres de l’équipe, dont Eren. Sans surprise, les couteaux en excrément n’ont pas fonctionné : la lame du couteau « a rapidement fondu et s’est détériorée », selon les recherches, ce qui a mis en doute le compte-rendu ethnographique.
L’étude publiée dans le Journal of Archaeological Science : Experimental replication shows knives manufactured from frozen human feces do not work.
Le prix Acoustique a Stephan Reber de l’université de Vienne, en Australie, et ses collègues Takeshi Nishimura, Judith Janisch, Mark Robertson et Tecumseh Fitch, pour avoir incité une femelle alligator de Chine à mugir/ vagir dans une chambre étanche remplie d’air enrichi d’hélium.
Les crocodiles, les alligators et autres reptiles non aviaires sont extrêmement bruyants et ils ont tendance à émettre de puissants souffles, surtout pendant la saison des amours. Les lauréats étaient curieux de savoir si ces vocalisations pouvaient être un moyen de faire connaître leur corpulence. Il a été démontré que les femelles préfèrent s’accoupler avec des mâles plus grands qu’elles.
Image ci-dessus, à partir de l’étude : proposition de configuration des voies vocales d’un alligator chinois pendant le vagissement. (Stephan A. Reber et Col./ Journal of Experimental Biology)
Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont « recruté » un alligator de Chine adulte au parc zoologique de la ferme d’alligators de St Augustine, en Floride, qui avait été mis en quarantaine dans un bac rectangulaire en plastique à la suite d’une procédure médicale. L’alligator était connu pour ses vagissements fréquents, répondant généralement aux 40 alligators américains qui mugissaient dans un enclos voisin. Les chercheurs ont donc pu l’amener à émettre un vagissement au bon moment en faisant jouer des enregistrements de vagissement, dans deux situations : en respirant de l’air normal ou de l’air mélangé à de l’hélium.
(Stephan A. Reber et Col./ Journal of Experimental Biology)
Les chercheurs ont expliqué que c’était un bon moyen de voir si les créatures présentaient des résonances du conduit vocal (techniquement connues sous le nom de formant), qui sont utilisées par les mammifères et les oiseaux comme indicateur de la taille du corps. Et en effet, les auteurs ont conclu qu’il y avait des résonances des voies vocales chez leur alligator femelle.
Selon les chercheurs dans leur étude de 2015 :
Parce que les oiseaux et les crocodiliens partagent un ancêtre commun avec tous les dinosaures, une meilleure compréhension de leurs systèmes de production vocale pourrait également fournir un aperçu de la communication des Archosauriens éteints.
L’étude publiée dans The Journal of Experimental Biology : A Chinese alligator in heliox: formant frequencies in a crocodilian.
Le prix Psychologie à Miranda Giacomin et Nicholas Rule de l’université de Toronto, au Canada, pour avoir mis au point une méthode permettant d’identifier les narcissiques par l’examen de leurs sourcils.
Chez les psychologues, le narcissisme grandiose est un trait de personnalité « sombre », marqué par l’égotisme, l’égoïsme, la vanité. Bien que ces individus soient souvent charmants en apparence, certaines personnes peuvent repérer un narcissique presque au premier coup d’œil, une compétence sociale précieuse qui leur permet d’éviter de se faire piéger dans la toile toxique d’un narcissique. Giacomin et Rule ont voulu mettre en évidence le mécanisme qui se cache derrière cette compétence.
Image ci-dessus purement spéculative…
De précédentes recherches ont montré que le visage d’une personne est l’une des premières choses que l’on remarque lorsqu’on rencontre quelqu’un de nouveau. Ils ont donc recruté 39 étudiants de premier cycle pour poser pour des photos avec des expressions neutres et leur ont fait remplir l’inventaire d’une personnalité narcissique.
Giacomin et Rule ont ensuite utilisé ces photographies pour une série d’études dans lesquelles les participants devaient évaluer chacun des visages en fonction de leur degré de narcissisme.
A partir de l’étude : les visages présentés aux étudiants. (Miranda Giacomin et col./ Journal of Personality)
Les sourcils sont parmi les caractéristiques les plus expressives du visage, et les chercheurs ont constaté que les gens se fient aux sourcils pour repérer avec précision les narcissiques grandioses, en particulier en fonction du caractère distinctif de leurs sourcils. La leçon à tirer ici est de se méfier des personnes qui ont des sourcils caractéristiques et bien entretenus…
L’étude publiée dans The Journal of Personality : Eyebrows cue grandiose narcissism.
Le prix Paix aux gouvernements de l’Inde et du Pakistan, pour avoir demandé à leurs diplomates de sonner subrepticement à la porte de leurs collègues “rivaux” au milieu de la nuit, puis de s’enfuir avant que quelqu’un n’ait pu répondre à la porte.
Les relations entre l’Inde et le Pakistan sont depuis longtemps tendues, mais les choses ont particulièrement mal tourné en 2018, avec plus de 434 violations du cessez-le-feu à la frontière du Cachemire au cours des deux premiers mois de l’année seulement. Les relations se sont encore détériorées, il semble que les ministères des Affaires étrangères des deux pays se soient également engagés dans un harcèlement ciblé des diplomates de leurs pays rivaux. Il s’agissait notamment de couper l’alimentation en électricité et en eau, de suivre les diplomates dans leurs véhicules, d’appels téléphoniques obscènes, de confrontations agressives et, effectivement, de sonner à la porte des diplomates aux petites heures du matin pour ensuite s’enfuir.
Le prix Physique à Ivan Maksymov et Andriy Pototsky de l’université de Swinburne, en Australie, pour avoir déterminé, expérimentalement, ce qui arrive à la forme d’un ver de terre vivant lorsqu’on le fait vibrer à haute fréquence.
Faites vibrer un bassin d’eau et vous constaterez qu’au-dessus d’une fréquence critique, un motif d’ondes stationnaires se forme à la surface. Ces ondes sont connues sous le nom d’ondes de Faraday, d’après Michael Faraday, qui a étudié le phénomène dans la première moitié du 19e siècle.
Image d’entête, à partir de l’étude : (a) Photographie d’un ver de terre Eisenia fetida anesthésié. (b) Schéma du dispositif expérimental. (Miranda Giacomin et Col./ Sientific Reports)
Selon Maksymov et Pototsky, comme de nombreux organismes vivants sont principalement constitués de liquide, qu’ils assimilent à des gouttes de liquide, les organismes devraient subir des ondes stationnaires dans les bonnes conditions. Les chercheurs ont choisi les vers de terre pour leurs expériences parce qu’ils « ont un squelette hydrostatique avec une peau flexible et une cavité corporelle remplie de liquide ». Les vers de terre sont également bon marché, et il n’est pas nécessaire d’avoir une approbation éthique pour les utiliser. Ils ont été immobilisés avec de l’éthanol et placés sur une fine plaque de téflon qui a ensuite été soumise à des vibrations verticales. Les chercheurs ont utilisé la vibrométrie laser pour détecter les vibrations des vers de terre vivants. Et bien sûr, le duo a enregistré une transition critique vers les ondes de Faraday.
Dans la tradition de la tristement célèbre « vache sphérique« , Maksymov et Pototsky ont modélisé les corps des vers comme « une enveloppe cylindrique élastique remplie de fluide » pour la partie théorique de la recherche. Le document comprend également ce joyau d’observation :
Les grandes vibrations ont également été évitées, car elles entraînent en plus l’éjection d’un fluide collant du ver.
Les auteurs affirment que leurs résultats « pourraient être utilisés pour développer de nouvelles techniques pour sonder et contrôler les processus biophysiques [comme la propagation des impulsions nerveuses] à l’intérieur d’un corps vivant ».
L’étude publiée dans Scientific Reports : Excitation of Faraday-like body waves in vibrated living earthworms.
Le prix Économie à Christopher Watkins de l’université d’Abertay, en Écosse, et ses collègues pour avoir tenté de quantifier la relation entre l’inégalité des revenus nationaux des différents pays et la quantité moyenne de baisers sur la bouche.
Ces lauréates ont tenu à examiner les différences culturelles dans le « bouche-à-bouche romantique » pour voir si ce comportement pouvait être un moyen de maintenir les liens du couple sur le long terme, entre autres avantages. Ils ont donc recruté 3 109 participants du monde entier (répartis dans 13 pays et sur 6 continents) pour une étude en ligne. Ils ont constaté que le baiser était généralement considéré comme plus important dans les phases ultérieures d’une relation amoureuse, en particulier pour les plus jeunes participants. Et comme ils l’avaient supposé, l’inégalité des revenus était positivement liée à la fréquence des baisers dans leurs résultats.
Les chercheurs de conclure :
Les individus embrassent davantage leur partenaire dans les pays où la concurrence en matière de ressources est susceptible d’être plus intense, ce qui peut jouer un rôle important dans le maintien de liens de couple stables à long terme dans certains types d’environnements difficiles.
L’étude publiée dans Scientific Reports : National income inequality predicts cultural variation in mouth to mouth kissing.
Le prix Gestion à (奚广安) Xi Guang-An, (莫天祥) Mo Tian-Xiang, (杨康生) Yang Kang-Sheng, (杨广生) Yang Guang-Sheng, et (凌显四) Ling Xian Si, cinq tueurs à gages professionnels du Guangxi, en Chine, qui ont géré un contrat pour un tueur à gages…
…(un meurtre perpétré pour de l’argent) de la manière suivante : après avoir accepté le paiement pour exécuter le meurtre, Xi Guang-An a ensuite sous-traité la tâche à Mo Tian-Xiang, qui a ensuite sous-traité la tâche à Yang Kang-Sheng, qui a ensuite sous-traité la tâche à Yang Guang-Sheng, qui a ensuite sous-traité la tâche à Ling Xian-Si, chaque tueur à gages recruté par la suite recevant un pourcentage moindre de la rémunération, et personne ne commettant réellement de meurtre.
Tout a commencé par un différend sur une affaire immobilière. La cible de l’assassinat, un homme nommé Wei, avait intenté un procès civil contre deux sociétés immobilières. L’un des investisseurs de ces sociétés, Tan Youhui, avait engagé Xi Guang-An pour trouver quelqu’un qui tuerait Wei. Mo Tian-Xiang s’est vu promettre 2 millions de yuans, une somme qui avait été réduite à 100 000 yuans seulement au moment où Ling Xian-Si a été sous-traitée pour réaliser l’acte. Ling Xian-Si a décidé que ce n’était pas suffisant pour que le risque en vaille la peine, et a contacté Wei à la place. Les deux hommes se sont rencontrés dans un café, et Lin Xian-Si a convaincu Wei de poser pour une photo, ligotée et bâillonnée, puis de « disparaître » pendant 10 jours. Apparemment, le plan était de récupérer les 100 000 yuans sans commettre le crime, mais finalement, le complot a été révélé au grand jour. Tous les accusés ont été condamnés l’année dernière à des peines de prison allant de trois ans et six mois (pour Xi Guang-An), à deux ans et sept mois (pour Ling Xian-Si).
Le Prix Entomologie à Richard Vetter de l’Université de Californie à Riverside, Etats-Unis, pour avoir recueilli des preuves que de nombreux entomologistes (scientifiques qui étudient les insectes) ont peur des araignées, qui ne sont pas des insectes.
Vetter note dans son étude de 2013 que deux des 41 entomologistes qui ont participé à son étude étaient des gestionnaires de collections, « et quelle que soit la diversité des insectes qu’ils traitent, ils ont toujours une réaction différente aux araignées qu’aux insectes« . Et il fait ensuite la distinction entre les araignées et les arthropodes. C’est juste qu’il a trouvé la prévalence de l’arachnophobie, chez les entomologistes, surprenante, étant donné qu’ils travaillent en étroite collaboration avec des créatures que de nombreux non-entomologistes trouvent tout aussi répugnantes, et il a voulu en savoir plus sur ce qui pourrait être à l’origine de cette aversion.
Cette étude vaut la peine d’être lue, ne serait-ce que pour les détails personnels très colorés qu’elle contient, comme la catégorie des “rencontres négatives” avec les araignées pendant l’enfance. Exemple : une personne « a fait un cauchemar récurrent (de 4 à 8 ans) en courant dans sa maison dans la grande toile d’une araignée de taille humaine et en se réveillant juste avant d’être mangé ».
L’étude publiée dans l’American Entomologist : Arachnophobic Entomologists: When Two More Legs Makes a Big Difference.
La cérémonie virtuel des Ig Nobel 2020 à découvrir ci-dessous :
Sur le site des Ig Nobel, Improbable Research : 30th First Annual Ig Nobel Prize Ceremony.