Sélectionner une page

Douleur-chronique

L’expérience de douleur chronique domine la vie des personnes qui en souffrent et les modifie en profondeur. Aujourd’hui, un groupe de chercheurs spécialisé dans la douleur et des généticiens ont découvert que ce sentiment n’est pas loin d’une vérité scientifique. Être affligé d’une douleur chronique modifie la façon dont votre cerveau fonctionne sur le plan physique. Les bonnes nouvelles sont que vous pouvez également le changer de nouveau.

Le chercheur Maral Tajerian et son collègue Sebastian Alvarado ont voulu savoir si la douleur chronique changeait la façon dont le cerveau fonctionne sur le plan génétique. Alvarado se spécialise dans un domaine en plein essor appelé l’épigénétique, qui se penche sur la façon dont l’environnement et l’expérience affectent l’expression des gènes, ou leur activité. Ils ont rapidement découvert que la douleur chronique avait des répercussions épigénétiques, une expérience qui a changé la fonction des gènes du cerveau.

Le travail de Tajerian et Alvarado s’est centré sur des souris ayant subi une lésion nerveuse entrainant une douleur chronique. Sur une période de plusieurs mois, ils ont découvert que la douleur touchait les régions du cerveau des souris qui n’avaient rien à voir avec le traitement de la douleur. En fait, ils ont constaté que l’activité des gènes était considérablement réduite dans le cortex préfrontal, le siège de la raison supérieure et de la prise de décision, ainsi que de beaucoup d’autres émotions chez les rongeurs et les humains.

Ils ont constaté des modifications chimiques de l’ADN dans le cortex préfrontal, une baisse de 12 % de l’activité de l’ADN, ce qui est assez important. Normalement, ces changements sont associés au cancer. Ce manque d’activité, selon les chercheurs, conduit à une perte de densité dans cette région du cerveau, ce qui entraine finalement un affaiblissement cognitif, la dépression et l’anxiété.

Alvarado et Tajerian se sont demandé :

Si la douleur peut modifier l’activité cérébrale, y a t’il des activité qui permettent de revenir à un état normal ?

Ils ont travaillé avec des collègues de l’Université McGill (Québec) pour concevoir une expérience simple qui pourrait répondre à cette question. Ils ont créé des groupes de souris qui avaient tous subi des blessures qui engendrent une douleur à long terme. Un groupe a été soumis à une “paupérisation”, ce qui signifiait dans ce cas une toute petite cage où elles vivaient seules. Un autre groupe a apprécié “l’enrichissement”, ce qui signifiait qu’elles disposaient d’une grande cage avec d’autres amis souris, ainsi que des billes pour jouer avec. Les deux groupes avaient la même quantité de nourriture et de soins. (Il y avait aussi un groupe contrôle qui disposait d’un traitement typique de souris de laboratoire.)

Après deux mois, les souris dans l’environnement enrichi n’ont pas tardé à ne plus souffrir de douleur chronique. Ou plutôt, leur cortex préfrontal présentait une activité normale pour une souris. Pendant ce temps, celles soumises à la paupérisation présentaient une réduction de leur activité cérébrale entrainant des troubles cognitifs. Le document de recherche (lien plus bas) fournit des preuves solides que la douleur chronique est un phénomène épigénétique, une expérience de vie qui change réellement l’expression des gènes dans le cerveau.

En termes humains, cela signifie que certaines personnes éprouvent une douleur chronique, car elles ont littéralement refait les connexions dans leur cerveau pour être plus sensibles à la douleur. Plus ils ressentent de douleur, plus ils seront anxieux et vulnérables face à celle-ci. Et c’est en fait une bonne chose.

Le cerveau est un organe beaucoup plus plastique que les scientifiques l’estimaient il y a encore10 ans, et les mesures que nous prenons aujourd’hui peuvent réellement changer la façon dont notre cerveau fonctionnera demain. Selon les chercheurs, un environnement différent vous donnera une expérience différente de la douleur. En changeant l’environnement, nous pourrions changer la douleur. Avoir du plaisir et des amis est vraiment bon pour vous (Comment l’isolement social peut-il vous tuer ?).

Tajerian et Alvarado précisent que ce qui s’est passé pour les souris “enrichis” n’était pas une fin à la douleur de leurs blessures. C’était comme ci la douleur ne les dérangeait plus autant. En d’autres termes, leur plaisir, leur milieu social a pris l’aspect chronique de leur douleur.

Que se passe-t-il dans le cerveau des personnes atteintes de douleur chronique ? Tout d’abord, ils connaissent un phénomène biologique mesurable : ce n’est pas seulement “dans leur esprit”; c’est aussi dans leurs gènes. Chez deux personnes avec la même blessure, l’un pourra développer une douleur chronique alors que l’autre non. Cela pourrait être le résultat d’une prédisposition génétique, de l’environnement, ou des deux.

La recherche de Tajerian et d’Alvarado montre que vous êtes “une personne différente" après une blessure. Mais cette personne peut encore changer, en quelqu’un qui “se soucie moins de la douleur”. Leurs découvertes permettent aussi d’éclairer pourquoi la méditation et la pleine conscience peuvent aider dans la douleur. Ces activités sont autant de façons de modifier notre environnement et nos cerveaux, en nous rendant plus calmes ou en nous permettant d’exprimer des sentiments.

Il y a un commutateur chimique particulier qui est enclenché dans le cortex préfrontal au cours de la douleur chronique. C’est ce qu’on appelle la méthylation de l’ADN. Les molécules d’un groupe méthyle se fixent à des gènes et inhibent leur expression ou leur activité. L’ADN qui est méthylé est “éteint”. La douleur chronique provoque une hausse de 12 % de la méthylation de l’ADN dans le cortex préfrontal de la souris et c’est un énorme changement. Mais, comme les souris enrichies le démontrent, c’est aussi un état qui peut être modifié pour revenir au précédent. Les souris qui ont vécu dans un environnement enrichi réussissent à rallumer ces zones moléculaires désactivées, en deux mois.

“C’est un mécanisme réversible”, a affirmé Alvarado. Dans un prochain article, Alvarado présentera des recherches qu’il a effectuées sur des gènes qui sont méthylés pendant la douleur chronique et beaucoup de ces gènes ont à voir avec la croissance neuronale et la neurotransmission. Cela pourrait signifier que la douleur chronique empêche le cerveau de changer et de traiter de nouvelles informations.

Cela signifie également que la mise en place, à l’échelle humaine, d’un environnement “enrichi” peut pousser votre cerveau à réinterpréter votre douleur. Ce que cette recherche révèle aussi, c’est qu’il y a effectivement un mécanisme moléculaire qui démontre que c’est bien d’avoir de la compagnie ou au moins, d’avoir quelques jeux vidéo vraiment amusants…

L’étude publiée sur Plos One : Peripheral Nerve Injury Is Associated with Chronic, Reversible Changes in Global DNA Methylation in the Mouse Prefrontal Cortex.

Pin It on Pinterest

Share This