Un groupe d’orques utilise des techniques brutales de chasse en haute mer
Dans les immenses étendues d’eau au large de la Californie, un groupe d’orques nomades (Orcinus orca) fraîchement identifié utilise des méthodes de chasse spécialisées pour attraper les mammifères marins. Une étude publiée cette semaine (lien plus bas) se penche sur les orques du canyon sous-marin de Monterey, l’un des plus profonds de la côte ouest, et donne un aperçu de leurs stratégies de chasse uniques.
Les orques du monde entier présentent des populations distinctes ou « écotypes« , chacune ayant des structures sociales, des préférences alimentaires et des techniques de chasse qui lui sont propres. Parmi ces populations, les orques nomades sont des adeptes de la chasse aux mammifères marins. Ces orques sont désignées « nomades » parce qu’elles sont plus insaisissables, empruntant des itinéraires imprévisibles comme des nomades des mers, contrairement à leurs homologues « résidentes ».
Une orque nomade attaque un lion de mer en Californie. (Josh McInnes)
Cet écotype particulier peut être subdivisé en deux groupes distincts : les orques de la côte intérieure, qui chassent dans les zones côtières peu profondes, et les orques de la côte extérieure, connues pour leurs activités de recherche de nourriture en eaux profondes. Cependant, les comportements et les habitudes des orques de la côte extérieure restent moins bien définis, car trouver des orques en pleine mer est un véritable défi pour les biologistes marins.
Afin de faire la lumière sur cette question, Joshua McInnes, de l’Université de Colombie-Britannique, premier auteur de l’étude et ses collègues chercheurs ont analysé des données provenant d’études sur les mammifères marins réalisées entre 2006 et 2018, ainsi que des observations faites lors de visites d’observation des baleines entre 2014 et 2021. Ils se sont concentrés sur les habitudes de recherche de nourriture des orques nomades de la côte extérieure dans et autour du canyon sous-marin de Monterey, en Californie, connue pour ses reliefs escarpés.
A partir de l’étude : localisation et topographie de baie de Monterey en Californie et de son canyon sous-marin. (J. McInnes et col./ PLOS One)
Ce canyon sous-marin offre à ces orques un cadre unique pour l’application de leurs méthodes de chasse particulières. Contrairement à leurs congénères qui chassent dans des eaux côtières moins profondes, ces orques utilisent stratégiquement la topographie profonde du canyon pour capturer des mammifères marins tels que les otaries de Californie, les baleineaux des baleines grises et les éléphants de mer du Nord.
Selon McInnes :
Dans notre étude, les orques nomades semblent utiliser le profond réseau de canyons sous-marins de Monterey pour chasser les mammifères marins, tandis qu’en Norvège et en Islande, les populations d’orques semblent utiliser des comportements spécialisés pour capturer le hareng de l’Atlantique dans les eaux côtières peu profondes. En outre, les orques mangeuses de mammifères dans les îles Crozet et le long des côtes exposées de la Patagonie utilisent l’échouage intentionnel pour attraper les éléphants de mer du sud et les lions de mer du sud sur la plage.
Pour chasser les lions de mer, plusieurs orques entouraient une proie, se précipitant à tour de rôle pour la percuter ou la frapper avec leur tête ou leur queue. Elles lançaient également le lion de mer en l’air. Une fois l’animal mort, le groupe se divisait et le mangeait, ou le transportait pendant un certain temps. Pour les éléphants de mer, la technique variait un peu : les orques entouraient l’animal, le frappaient avec leur queue, puis le saisissaient par les nageoires pour le secouer.
Un orque catapulte ce qu’il reste d’un phoque commun. (Peggy West-Stap/ NOAA)
Les chasses aux baleineaux de baleines grises étaient souvent initiées et menées par des orques femelles adultes. Le groupe poursuivait la baleine grise et son baleineau jusqu’à ce que ce dernier commence à se fatiguer. Les orques s’efforçaient alors de séparer le baleineau, en s’interposant entre la mère et le baleineau et en s’agrippant à ce dernier pour le tirer au loin. La chasse devenait assez brutale, les orques éperonnant et mordant le baleineau, et sautant sur son évent pour le noyer.
Pour les dauphins, la chasse était très coordonnée, les orques encadrant un grand banc de dauphins pour en séparer les individus. Lorsqu’un dauphin était vulnérable, les orques l’éperonnaient par en dessous pour le projeter en l’air, ou le saisissaient et le traînaient sous l’eau jusqu’à ce qu’il soit mort. Des techniques similaires étaient utilisées pour chasser les marsouins.
Dans une autre étude, également parue cette semaine, McInnes et ses collègues donnent davantage de détails sur une population unique d’orques offshore, un groupe qui ressemble plus aux résidentes qu’aux nomades, au large de la Californie et de l’Oregon. Ils ont constaté que certaines orques présentaient des cicatrices de morsure de requin de type squalelet féroce. Il s’agit de requins parasites qui vivent en haute mer, ce qui signifie que les orques elles-mêmes se déplacent très loin des côtes. Lors de l’une des rencontres observées, les orques ont été vues en train d’attaquer un groupe de 9 femelles cachalots adultes. Dans d’autres cas, on les a vues s’attaquer à des tortues de mer.
A partir de l’étude : séquence d’images montrant les orques chassant le baleineau d’une baleine grise. (J. McInnes et col./ PLOS One)
Ce qui est intrigant, c’est que cette sous-population présente des caractéristiques physiques distinctes. McInnes explique que bien que la taille et la forme des nageoires dorsales et des taches de selle de ces baleines soient généralement similaires à celles observées chez les orques nomades et les orques offshore, la forme des nageoires varie considérablement. Certaines baleines ont des nageoires pointues, comme celles des orques de passage, tandis que d’autres ont des nageoires plus arrondies, comme celles des orques offshore. En outre, les motifs de leurs taches de selle, les marques grises distinctives près de leurs nageoires dorsales, présentent également une certaine diversité. Certaines baleines présentent de grandes taches grises uniformes, tandis que d’autres ont des taches étroites, plus typiques des orques vivant dans les zones tropicales.
Toujours selon McInnes :
On ne sait toujours pas comment les orques de passage peuvent utiliser les contours du canyon sous-marin de Monterey pour chasser. Ce comportement a été observé pendant plusieurs décennies dans cette zone d’étude et dans les systèmes de canyons adjacents le long de la côte. Notre étude est la première à quantifier les schémas d’utilisation de l’habitat des orques de passage dans la baie de Monterey à l’aide d’une analyse géospatiale.
L’étude publiée dans PLOS ONE : Foraging behaviour and ecology of transient killer whales within a deep submarine canyon system et le complément dans la revue Aquatic Mammals : Evidence for an Oceanic Population of Killer Whales (Orcinus orca) in Offshore Waters of California and Oregon.