Des chercheurs découvrent pourquoi les baleines à dents passent par la ménopause
La ménopause est rare dans le règne animal. Elle n’a été documentée que chez une poignée d’espèces, dont les humains. Mais il existe un taxon où le phénomène est apparu chez plusieurs espèces. Certaines femelles odontocètes (cétacés à dents), comme les orques, les bélugas et les narvals, vivent également longtemps après la fin de leurs années de reproduction.
Image d’entête : mère orque ménopausée et son fils. (David Ellifrit, Center for Whale Research)
La rareté de la ménopause est logique, quand on y réfléchit. Le succès d’une espèce peut être grandement amélioré en maximisant la reproduction, il semble donc contre-productif pour un animal d’évoluer vers une caractéristique qui l’empêche de concevoir une progéniture. La question se pose donc de savoir pourquoi ce trait est apparu chez les espèces concernées. Une nouvelle étude sur les cétacés à dents, menée par le comportementaliste Samuel Ellis de l’université d’Exeter (Royaume-Uni), apporte une réponse.
Les femelles des espèces de baleines ménopausées n’ont pas une durée de vie reproductive plus courte que les autres espèces de taille similaire. Au contraire, elles ont une durée de vie plus longue, environ 40 ans de plus que les autres espèces de baleines de même taille qui ne sont pas ménopausées, ce qui profite à l’ensemble du clan.
Selon Dan Franks, spécialiste de l’écologie comportementale à l’université de York, au Royaume-Uni :
Les recherches antérieures sur l’évolution de la ménopause portaient généralement sur une seule espèce, généralement l’humain ou l’orque. Cette étude est la première à porter sur plusieurs espèces, grâce à la découverte récente de la ménopause chez plusieurs espèces de baleines à dents. Notre étude apporte la preuve que la ménopause a évolué en prolongeant la durée de vie des femelles au-delà de leurs années de reproduction, plutôt qu’en réduisant leur durée de vie reproductive.
Beaucoup de choses échappent à notre connaissance sur les odontocètes (cétacés à dents). Leur vie est mystérieuse, en partie parce qu’il est difficile de les observer dans leur habitat naturel. Mais des études ont montré que la ménopause des baleines leur confère de surprenants avantages. La présence de grands-mères dans un groupe d’orques signifie que les jeunes ont un taux de survie plus élevé dans la nature. Elles dirigent les groupes et peuvent les guider vers les terrains de chasse, en particulier lorsque les temps sont durs. Ce que nous ne savons pas, c’est comment ce phénomène a évolué. Il existe deux possibilités. La première est que la ménopause est apparue en augmentant la durée de vie totale de l’espèce en question. D’autre part, la durée de vie reproductive a été réduite.
Il y a quelques années seulement, on a découvert que les orques (Orcinus orca), les globicéphales du Pacifique (Globicephala macrorhynchus), les fausses orques (Pseudorca crassidens), les narvals (Monodon monoceros) et les bélugas (Delphinapterus leucas) passaient également par la ménopause. Étant donné que plusieurs animaux similaires développent ce caractère de leur propre chef, Ellis et ses collègues ont eu l’occasion de mener une étude comparative avec d’autres espèces de cétacés pour voir s’ils pouvaient trouver des indices. Ils ont constaté que les baleines femelles ménopausées vivent beaucoup plus longtemps que les femelles d’espèces comparables.
Fait intéressant, les mâles des espèces ménopausées ne bénéficient pas nécessairement des mêmes avantages. Les femelles orques, par exemple, cessent de se reproduire vers l’âge de 40 ans, mais peuvent vivre jusqu’à 90 ans. Les orques mâles ont généralement une durée de vie maximale naturelle d’environ 60 ans.
Cette stratégie s’inscrit dans le cadre de l’hypothèse de la grand-mère. Les leaders sages et fortes sont conservées dans le groupe, sans être une source de concurrence reproductive avec leurs filles et petites-filles. Cela signifie que les ressources alimentaires sont moins sollicitées pour les jeunes. C’est un avantage pour tous les membres de l’unité sociale.
Selon le biologiste marin Darren Croft, de l’université d’Exeter :
L’évolution de la ménopause et d’une longue vie post-reproductive n’a pu se produire que dans des circonstances très spécifiques. Premièrement, une espèce doit avoir une structure sociale dans laquelle les femelles passent leur vie en étroite relation avec leur progéniture et leur petite progéniture. Deuxièmement, les femelles doivent avoir la possibilité d’apporter leur aide pour améliorer les chances de survie de leur famille. Par exemple, les femelles des baleines à dents sont connues pour partager la nourriture et utiliser leurs connaissances pour guider le groupe dans la recherche de nourriture lorsqu’elle est rare.
Jusqu’à présent, aucune preuve de ménopause n’a été découverte chez d’autres espèces terrestres.
Les femelles éléphants d’Asie, par exemple, cessent de se reproduire vers la fin de leur vie, bien que les recherches aient montré que très peu d’éléphants atteignent l’âge de le faire. Des scientifiques ont récemment découvert (lien ci-dessous) qu’une petite population de chimpanzés sauvages vivant dans des régions reculées de l’Ouganda comptait des femelles ménopausées, bien qu’elles n’aient pas encore été observées dans d’autres régions.
L’échantillon est de petite taille, mais les similitudes avec la ménopause humaine font de la version baleine un point de comparaison commode avec une espèce « sauvage ».
Pour Croft :
Il est fascinant de constater que nous partageons ce cycle de vie avec un groupe taxonomique dont nous sommes si différents. Malgré ces différences, nos résultats montrent que les humains et les cétacés à dents ont un cycle de vie convergent, tout comme chez les humains, la ménopause chez les baleines a évolué par sélection pour augmenter la durée de vie totale sans prolonger la durée de vie reproductive.
L’étude publiée dans Nature : The evolution of menopause in toothed whales et présentée sur le site de l’université d’Exeter : Menopause explains why some female whales live so long.