Un état étrange de la matière existe au cœur des grandes étoiles à neutrons
Des scientifiques sont peut-être plus près que jamais de percer le mystère de ce qui se cache sous la surface des étoiles mortes et ultradenses appelées étoiles à neutrons. Une nouvelle analyse par superordinateur a révélé qu’il y a entre 80 % et 90 % de chances que ces corps aient des noyaux remplis de quarks libres, des particules subatomiques fondamentales que l’on ne trouve généralement que liées à d’autres particules comme les protons et les neutrons.
Image d’entête : cette illustration montre la section transversale d’une étoile à neutrons composée de quark. (Jyrki Hokkanen/ CSC)
Dans la matière normale, les particules élémentaires appelées quarks sont uniquement présentes à l’intérieur des protons et des neutrons. Mais si cette matière normale est soumise à des températures extrêmes, ou si elle est agglomérée en très haute densité, elle peut « fondre », ce qui donne aux quarks la liberté de se déplacer n’importe où dans cette matière. Ce nouvel état exotique est connu sous le nom de « matière quark ».
Mais selon l’équipe, si les noyaux des étoiles à neutrons sont effectivement remplis de quarks libres, ils sont composés d’une forme exotique de matière appelée « matière de quarks froids » (cold quark matter). Dans la matière de quarks froids, les protons et les neutrons individuels ne peuvent pas exister. Les atomes ne peuvent donc pas exister, seuls les quarks existent. Si c’est le cas, les étoiles à neutrons s’apparenteraient à des noyaux atomiques incroyablement énormes.
Représentation d’un magnétar, des étoiles à neutrons dotées de champs magnétiques extrêmement puissants. (NASA)
Selon l’auteur principal de la recherche, Joonas Nättilä, qui est sur le point de prendre ses fonctions de professeur associé à l’université d’Helsinki (Finlande) :
Il est fascinant de voir concrètement comment chaque nouvelle observation d’étoile à neutrons nous permet de déduire les propriétés de la matière des étoiles à neutrons avec une précision croissante.
Les étoiles à neutrons naissent lorsque des étoiles d’une masse comprise entre 10 et 20 fois celle du soleil n’ont plus le combustible nécessaire à la fusion nucléaire intrinsèque qui se produit dans leur cœur. Il s’ensuit l’arrêt de l’énergie externe qui, pendant des millions, voire des milliards d’années, a maintenu l’étoile stable face à la pression interne de sa propre gravité. La gravité remportant la victoire dans ce bras de fer cosmique, le cœur de l’étoile commence à s’effondrer. À ce moment-là, la matière extérieure de l’étoile, où se produit encore la fusion nucléaire, est emportée par l’explosion massive d’une supernova. Le noyau stellaire, dont la masse est une à deux fois supérieure à celle du soleil, est alors condensé sur une largeur d’environ 20 kilomètres.
Représentation d’une supernova. (European Southern Observatory/ M. Kornmesser)
Cette réduction massive de la taille de ce qui est désormais une étoile à neutrons crée une matière si dense qu’un simple bloc de la taille d’un morceau de sucre pèserait environ 1 milliard de tonnes s’il était ramené sur Terre. La question est donc de savoir de quoi est faite cette matière incroyablement rare, que l’on ne trouve probablement nulle part ailleurs dans l’univers. Et, plus généralement, les conditions régnant dans les régions les plus denses de ces étoiles mortes peuvent-elles réellement créer une phase de matière entièrement nouvelle, appelée matière de quarks froids, dépourvue de protons et de neutrons ?
Les scientifiques ne peuvent pas visiter les étoiles à neutrons pour obtenir un échantillon de cette matière, même les étoiles à neutrons les plus proches se trouvent à environ 400 années-lumière, et la meilleure solution consiste donc à simuler les conditions qui règnent sous la surface des étoiles en utilisant une puissante combinaison de données astronomiques réelles et de superordinateurs.
Cette nouvelle recherche a utilisé un type de déduction statistique appelé inférence bayésienne, qui calcule la probabilité des différents paramètres du modèle en effectuant des comparaisons directes avec les données d’observation. L’équipe a ainsi pu déterminer les limites de la matière des étoiles à neutrons, ce qui l’a amenée à conclure à la présence de la matière de quarks froids avec un haut degré de probabilité. Le mécanisme suggère également l’existence d’un état de la matière « non nucléaire » dans les étoiles à neutrons, dans lequel les quarks sont autorisés à exister « déconfinés » dans les protons, les neutrons et d’autres particules.
Srlon Aleksi Vuorinen, professeur de physique théorique à l’université d’Helsinki :
Les quarks et les gluons qui les composent sont libérés de leur confinement coloré typique et peuvent se déplacer presque librement.
Les simulations par superordinateur de l’équipe suggèrent également une probabilité inférieure à 20 % que la matière à l’intérieur des étoiles à neutrons subisse un changement d’état rapide, passant de la matière nucléaire à la « matière quark », un peu comme l’eau qui se transforme en glace. Cette transformation rapide de la matière pourrait déstabiliser les étoiles à neutrons de telle sorte que même un minuscule quark s’effondrerait pour donner naissance à un trou noir.
La recherche a également montré que l’existence de noyaux de quark-matière pourrait être confirmée à l’avenir par des analyses plus approfondies. Pour ce faire, il faudrait déterminer la force de la transition de phase entre la matière nucléaire et la matière quark, ce qui pourrait être possible lorsque les détecteurs d’ondes gravitationnelles seront suffisamment sensibles pour « entendre » les minuscules ondulations de l’espace-temps qui se produisent au dernier moment avant la collision de deux étoiles à neutrons en orbite l’une autour de l’autre.
Néanmoins, même avec de meilleures données d’observation, de meilleurs modèles de noyaux d’étoiles à neutrons nécessiteront encore beaucoup de puissance de calcul et de temps.
Selon Joonas Hirvonen, membre de l’équipe et étudiant diplômé de l’université d’Helsinki :
Nous avons dû utiliser des millions d’heures de supercalculateur pour pouvoir comparer nos prédictions théoriques aux observations et limiter la probabilité de noyaux de quark-matière.
L’étude publiée dans Nature Communications : Strongly interacting matter exhibits deconfined behavior in massive neutron stars et présentée sur le site de l’Université d’Helsinki : Further evidence for quark matter cores in massive neutron stars.