Le télescope spatial James Webb repère une étoile naine brune si petite que son existence est inexplicable
Des astronomes utilisant le télescope spatial James Webb (JWST ou Webb) ont observé, à environ 1 000 années-lumière de la Terre, un amas d’étoiles dans la constellation de Persée, dans le cadre de leur recherche d’une réponse à une question simple : à quel point une étoile peut-elle être petite ?
Image d’entête : prise par l’instrument NIRCam du télescope spatial James Webb et présentant la partie centrale de l’amas d’étoiles IC 348.. (NASA, ESA, CSA, STScI, K. Luhman/PSU, et C. Alves de Oliveira/ESA)
La découverte d’un nouvel objet remet en question la conception que nous avons de la naissance des étoiles. Il s’agit d’une naine brune qui erre seule dans l’espace et qui, avec une masse de 3 à 4 fois celle de Jupiter, semble être l’objet à la plus faible de masse de son genre découvert à ce jour. Cela pose quelques problèmes intéressants, dont le moindre n’est pas de savoir comment elle s’est formée.
Selon l’astronome Catarina Alves de Oliveira, de l’Agence spatiale européenne :
Les modèles actuels permettent assez facilement de créer des planètes géantes dans un disque autour d’une étoile. Mais dans cet amas, il serait peu probable que cet objet se soit formé dans un disque, au lieu de se former comme une étoile, et trois masses de Jupiter, c’est 300 fois plus petit que notre Soleil. Nous devons donc nous demander comment le processus de formation des étoiles fonctionne pour des masses aussi infimes.
Les naines brunes sont communément appelées « étoiles ratées ». Une étoile est un objet né d’un amas dense dans un nuage de gaz et de poussière dans l’espace, qui s’effondre sous l’effet de la gravité. Elle grandit et grandit jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment massive pour que la pression et la chaleur en son cœur déclenchent la fusion de l’hydrogène. La masse minimale pour ce faire est d’environ 80 à 85 fois la masse de Jupiter.
Une naine brune est un objet qui se forme de la même manière, mais qui n’acquiert pas une masse suffisante pour créer les conditions nécessaires à la fusion de l’hydrogène. Ce n’est pas non plus une planète. En fait, le brun dans leur nom fait référence au fait qu’elles sont plus petites que les naines blanches et plus grandes que les planètes. À partir d’une certaine masse critique (environ 13 Jupiters), une naine brune peut fusionner des atomes, non pas d’hydrogène, mais de son isotope plus lourd, le deutérium, pour lequel la pression et la température de fusion sont inférieures à celles de l’hydrogène.
Les planètes se forment par un processus différent, à partir de l’accumulation progressive (accrétion) de matière qui reste après la fin de la formation d’une étoile. Ainsi, une étoile qui se forme par effondrement gravitationnel, mais dont la masse est trop faible pour déclencher la fusion pourrait techniquement devenir une naine brune. Les astronomes appellent parfois ces objets à trajectoire planétaire sous-naines brunes, des naines brunes de masse planétaire ou des planètes errantes.
Une équipe d’astronomes dirigée par Kevin Luhman, de l’université d’État de Pennsylvanie (Etats-Unies), tente de trouver le plus petit de ces objets.
Selon Kevin Luhman :
L’une des questions fondamentales que l’on trouve dans tous les manuels d’astronomie est la suivante : quelles sont les plus petites étoiles ? C’est ce à quoi nous essayons de répondre.
Les chercheurs ont utilisé le télescope spatial James Webb pour étudier le centre d’un jeune amas stellaire appelé IC 348, situé dans la région de formation stellaire, le Nuage moléculaire de Persée, à quelque 1 000 années-lumière de distance. Les sous-naines brunes sont très froides et peu lumineuses par rapport aux étoiles, c’est pourquoi un instrument infrarouge ayant la sensibilité du JWST est indispensable. Les chercheurs ont d’abord utilisé la NIRCam (proche infrarouge) pour rechercher les candidates, puis le spectrographe NIRSpec pour les étudier.
Ils ont trouvé trois nouveaux membres de IC 348 qui correspondent à ces critères, avec des masses comprises entre 3 et 8 Jupiters et des températures comprises entre 1100 et 1800 Kelvin (827 et 1527 °C). La plus petite de ces candidates est celle qui bat le record, avec une masse de l’ordre de 3 à 4 Jupiters.
Cette image de l’instrument NIRCam (Near-Infrared Camera) du télescope spatial James Webb de la NASA montre la partie centrale de l’amas d’étoiles IC 348. Les astronomes ont passé l’amas au peigne fin à la recherche de minuscules naines brunes flottant librement : des objets trop petits pour être des étoiles, mais plus grands que la plupart des planètes. Ils ont trouvé trois naines brunes dont la masse est inférieure à huit fois celle de Jupiter, qui sont encerclées dans l’image principale et représentées dans les schémas détaillés à droite. La plus petite ne pèse que trois à quatre fois Jupiter, ce qui remet en question les théories sur la formation des étoiles. Les rideaux vaporeux qui remplissent l’image sont des matériaux interstellaires qui reflètent la lumière des étoiles de l’amas, ce que l’on appelle une nébuleuse par réflexion. Cette matière comprend également des molécules contenant du carbone, appelées hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). L’étoile brillante la plus proche du centre de l’image est en fait une paire d’étoiles de type B dans un système binaire, qui sont les étoiles les plus massives de l’amas. Les vents produits par ces étoiles peuvent contribuer à sculpter la grande boucle visible sur le côté droit du champ de vision. (NASA, ESA, CSA, STScI, Kevin Luhman (PSU), Catarina Alves de Oliveira (ESA))
Il s’agit là d’une véritable énigme. Pour la formation d’étoiles, un nuage a une masse importante, et donc une forte gravité. Pour produire un objet de la taille d’une planète, il faudrait commencer par un nuage plus petit, et donc moins de gravité, ce qui signifie que le processus de formation est beaucoup plus ardu, expliquent les chercheurs. Il est possible que ces objets soient des exoplanètes qui ont été expulsées de leur système planétaire, mais cela est également peu probable. En ce qui concerne les planètes, elles sont assez grandes, mais la plupart des étoiles de IC 348 sont très petites. La formation de grosses planètes autour de petites étoiles est également difficile à expliquer. De plus, l’amas est très jeune. Selon les chercheurs, les planètes n’ont pas eu le temps de se former et d’être éjectées aussi loin de leur système.
Et ce n’est pas la seule énigme. L’analyse spectrographique a révélé la présence d’un hydrocarbure non identifié dans deux des objets. La signature de cette espèce chimique inconnue a été repérée dans les atmosphères de Saturne et de Titan dans le système solaire, ainsi que dans l’espace interstellaire, mais elle n’avait jamais été observée dans une atmosphère extrasolaire auparavant.
Il est donc clair que, quoi que nous observions ici, cela constitue un élément nouveau et passionnant à étudier et à comprendre concernant l’étrange lien qui existe entre les étoiles et les planètes.
Selon Alves de Oliveira :
C’est la première fois que nous détectons cette molécule dans l’atmosphère d’un objet situé en dehors de notre système solaire. Les modèles d’atmosphères de naines brunes ne prévoient pas son existence. Nous examinons des objets plus jeunes et de masse plus faible que jamais, et nous observons quelque chose de nouveau et d’inattendu.
L’étude publiée dans The Astronomical Journal : A JWST Survey for Planetary Mass Brown Dwarfs in IC 348 et présentée sur le site de l’Agence spatiale européenne : Webb identifies tiniest free-floating brown dwarf.