Il y a environ 15 000 ans, le cannibalisme était très répandu en Europe
Des groupes humains vivant il y a environ 15 000 ans en Europe mangeaient souvent leurs morts. Ils ne le faisaient pas par nécessité, mais plutôt dans le cadre de leur culture, selon une nouvelle étude. Les chercheurs ont trouvé des restes d’ossements humains portant des marques de coupure, de cassure et de mastication, ce qui suggère que nos ancêtres consommaient les restes de leur communauté au cours de rituels.
Image d’entête : ce bol fabriqué à partir d’un crâne humain a été trouvé sur le site archéologique de la grotte de Gough. (Kevin Webb/ NHM)
Des chercheurs avaient déjà découvert des crânes humains transformés en gobelets dans la grotte de Gough, un site paléolithique du sud-est de l’Angleterre. D’abord considéré comme un événement isolé, d’autres restes humains datant de la même période ont montré des signes de cannibalisme. Ces restes sont attribués à la culture du magdalénien.
Les gorges de Cheddar, qui contiennent d’anciennes grottes. Certaines, comme la grotte de Gough, ont livré des preuves de l’existence d’une ancienne culture humaine. (Adrian Farwell/ Wikimedia)
Selon Silvia Bello, du Musée d’histoire naturelle de Londres et auteur de l’étude :
Au lieu d’enterrer leurs morts, ces gens les mangeaient. Nous interprétons la preuve que le cannibalisme a été pratiqué à plusieurs reprises dans le nord-ouest de l’Europe sur une courte période, car cette pratique faisait partie d’un comportement funéraire diffus parmi les groupes magdaléniens.
Cet acte de consommation des morts était étonnamment répandu parmi les habitants magdaléniens du nord-ouest de l’Europe, mais il a été de courte durée. Par la suite, une évolution vers l’inhumation des défunts est apparue, une pratique liée à un autre groupe culturel, l’Épigravettien. Ce changement soulève la question de savoir si les Magdaléniens ont été supplantés par une autre population ou s’ils ont simplement évolué dans leurs coutumes.
L’os d’un bras humain avec des marques en zigzag qui ont été analysées par les scientifiques du musée. (Musée d’histoire naturelle de Londres)
À la fin du paléolithique supérieur, il y a environ 23 000 à 14 000 ans, deux grandes cultures dominaient la majeure partie de l’Europe. La culture épigravettienne dans les régions méridionales et orientales, avec des pratiques funéraires plus conventionnelles selon les normes actuelles, et la culture magdalénienne dans le nord-ouest de l’Europe, avec une approche distincte.
Le Magdalénien prélevait la chair du défunt, la mangeait et, dans certains cas, modifiait les os pour fabriquer de nouveaux objets. Toutefois, on ne savait pas si ce cannibalisme était dû à la nécessité, par exemple en cas de pénurie de nourriture, ou s’il s’agissait d’une pratique culturelle. Des éléments suggéraient déjà que la consommation des corps pouvait être une pratique plutôt rituelle.
Les Magdaléniens ont laissé de nombreux outils et objets dans la grotte de Gough, dont ce bâton perforé en bois de renne. Sa fonction est inconnue, mais des exemples décorés suggèrent qu’il s’agissait d’objets de valeur. (Musée d’histoire naturelle de Londres)
Dans leur étude (lien plus bas), les chercheurs ont passé en revue tous les sites archéologiques attribués aux deux cultures. Ils ont trouvé 59 sites européens contenant des restes humains, dont 13 présentaient des traces de cannibalisme, 10 des traces d’inhumation et 2 les deux. La pratique consistant à manger les morts était localisée, surtout sur les sites d’Europe occidentale et centrale et du Royaume-Uni.
A partir de l’étude : carte des sites magdaléniens et épigravettiens pour lesquels on dispose à la fois d’un contexte funéraire et de données génétiques. (William A Marsh & Silvia Bello/ Quaternary Science Reviews)
Selon Willian March, l’un des auteurs de l’étude :
Le fait que nous ayons découvert que le cannibalisme était pratiqué souvent à de multiples occasions sur une courte période, dans une zone relativement localisée et uniquement par des individus attribués à la culture magdalénienne, signifie que nous pensons que ce comportement était largement pratiqué par les Magdaléniens.
Sur cette base, les chercheurs ont pu vérifier si les restes humains de ces sites avaient fait l’objet d’une analyse génétique. Cela leur a permis de voir s’il existait des liens entre les groupes ayant des comportements funéraires différents. Les preuves génétiques suggèrent que les deux groupes pratiquant des comportements différents étaient génétiquement distincts.
Tous les sites où des preuves de cannibalisme ont été trouvées indiquent que les personnes faisaient partie d’un groupe génétique appelé « GoyetQ2 », tandis que les sépultures ordinaires étaient celles de personnes appartenant au groupe « Villabruna ». Selon l’étude, le premier groupe vivait à la frontière franco-espagnole, tandis que le second vivait dans la région italo-balkanique.
Toujours selon William :
Au cours de la période terminale du paléolithique, on observe en fait un renouvellement des ancêtres génétiques et des comportements funéraires. L’ascendance et le comportement funéraire associés au Magdalénien sont remplacés par l’ascendance et le comportement funéraire associés à l’Épigravettien, ce qui indique un remplacement de population. Ce changement de comportement funéraire est un exemple de l’arrivée et du remplacement d’une population par une autre.
Bien que l’étude fournisse de précieuses informations sur les pratiques funéraires des anciens humains, de nombreuses questions restent en suspens. Par exemple, les chercheurs veulent savoir si les humains cannibalisés avaient des liens de parenté entre eux.
L’étude publiée dans la revue Quaternary Science Reviews : Cannibalism and burial in the late Upper Palaeolithic: Combining archaeological and genetic evidence et présentée sur le site du Musée d’histoire naturelle de Londres : The cannibals of Gough’s Cave.