Comment les pieuvres de l’Antarctique survivent-elles dans l’océan le plus froid de la planète sans geler ?
Les pieuvres de l’Antarctique vivent dans les eaux les plus froides du monde, où les températures maximales sont de 10°C et descendent fréquemment à près de -2°C. La façon dont ces créatures à sang froid survivent à de telles conditions reste un mystère.
Image d’entête : la pieuvre de l’Antarctique Parledone cornuta. (Michael Oellermann/ Marine Biological Laboratory)
Il a récemment été découvert que les pieuvres du genre Pareledone utilisaient leurs trois cœurs pour pomper un type spécial de sang bleu dans leur corps, fournissant de l’oxygène aux tissus même dans des environnements extrêmement froids comme l’Antarctique. À l’instar de nombreuses autres espèces vivant en permanence dans des eaux glaciales, ces pieuvres semblent également posséder des enzymes « adaptées au froid », selon une nouvelle étude menée par le Marine Biological Laboratory de l’Université de Chicago (États-Unis).
Ces protéines jouent un rôle clé dans un grand nombre de réactions biochimiques. Chez les créatures de l’Antarctique, leur flexibilité unique leur permet de vivre même à des températures plus basses, alors que les enzymes des pieuvres des régions plus tempérées ralentissent de 25 % face à des températures aussi rigoureuses. Les enzymes solubles, comme celles qui décomposent les aliments dans notre intestin, peuvent plus facilement s’adapter aux températures en raison des réactions particulières dans lesquelles elles sont impliquées. Mais toutes les enzymes de l’organisme ne peuvent pas se permettre d’être aussi flexibles. Certaines sont enfermées dans les membranes cellulaires, où leurs « conditions de travail » sont beaucoup plus rigides.
Ces « pompes » ou canaux protéiques transportent des ions importants à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule, créant ainsi des gradients qui permettent la propagation de l’énergie.
Comment ces enzymes particulières font-elles face au froid de l’Antarctique ? Des chercheurs du Marine Biological Laboratory, de l’université de Porto Rico et de l’US National Institute of Neurological Disorders and Stroke ont décidé de se pencher sur la question. Ils ont créé deux modèles : l’un basé sur l’enzyme de la pompe sodium-potassium trouvée chez les pieuvres antarctiques (Pareledone) et l’autre basé sur la même pompe trouvée chez une espèce tempérée appelée pieuvre à deux points de Californie (Octopus bimaculatus). Les auteurs ont choisi cette enzyme parce qu’elle exporte trois ions sodium et importe deux ions potassium au prix d’une molécule d’adénosine triphosphate (ATP), qui est la source d’énergie d’une cellule. Cet échange est essentiel pour l’excitabilité cellulaire et le transport des solutés.
Une pieuvre californienne à deux points (O. bimaculoides), proche parente de la pieuvre des eaux tempérées utilisée dans cette étude sur l’adaptation à la température (O. bimaculates). (Tom Kleindinst/ Marine Biological Laboratory)
Selon les chercheurs :
En raison de son importance capitale, la pompe sodium-potassium devrait être fortement sélectionnée pour fonctionner efficacement dans différents environnements thermiques.
Comme l’équipe le soupçonnait, la pompe antarctique fonctionne mieux à -1,8 °C que la pompe tempérée. Elle était intrinsèquement moins sensible au froid. Les éléments constitutifs, ou acides aminés, qui forment la pompe antarctique différaient légèrement de ceux de l’espèce de pieuvre tempérée.
Au total, les chercheurs ont dénombré 12 endroits sur la séquence d’acides aminés de l’Antarctique où une mutation semblait conférer une résistance au froid. En ajoutant ces mutations une à une à un modèle, les chercheurs ont découvert que trois mutations en particulier agissaient de concert pour assurer la majeure partie de la résistance au froid de la pompe. De plus, la plupart de ces mutations étaient situées à la frontière entre la pompe et le reste de la membrane cellulaire. Une mutation, à l’emplacement L314V, a eu l’effet le plus important du lot. Sans elle, la pompe ne fonctionnait plus à des températures proches du point de congélation.
Les chercheurs devront étudier plus avant les détails de cette mutation, mais il se pourrait que cet acide aminé différent à cet endroit précis donne à la pompe une marge de manœuvre supplémentaire à l’intérieur de la membrane cellulaire.
Les auteurs espèrent maintenant mener d’autres expériences sur la manière dont les pompes à protéines des pieuvres de l’Antarctique permettent aux cellules de fonctionner à des températures glaciales.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) : Molecular determinants for cold adaptation in an Antarctic Na+/K+-ATPase et présentée sur le site du Marine Biological Laboratory de l’Université de Chicago : Pumped for Frigid Weather: Discovering Cold Adaptations in the Antarctic Octopus.