Premières images directes de la toile cosmique dans les confins obscurs de l’univers
Des astronomes ont annoncé jeudi 28 septembre qu’ils avaient capturé pour la première fois la faible lueur de la plus grande structure de l’univers connue sous le nom de « toile cosmique« , un réseau de filaments galactiques qui relient les galaxies à travers l’univers.
Image d’entête : à partir d’une animation (en fin d’article) qui révèle une coupe en 3D d’un réseau de filaments d’hydrogène gazeux qui sillonnent les espaces entre les galaxies. (Caltech/ R. Hurt (IPAC))
Dans les profondeurs de l’espace intergalactique, les astronomes ont directement détecté la faible lueur de ces filaments qui s’étirent dans l’abîme. Auparavant, les seules détections de ce vaste réseau se faisaient autour d’objets tels que les quasars, soit les plus brillantes lumières de l’Univers. Aujourd’hui, nous le voyons dans l’obscurité, là où se cache la plus grande partie du réseau.
Selon l’astrophysicien Christopher Martin, du California Institute of Technology (Caltech/ Etats-Unis) :
Avant cette dernière découverte, nous voyions les structures filamentaires sous l’équivalent d’un lampadaire. Désormais, nous pouvons les voir sans lampe.
Bien que de grandes distances séparent les objets de l’Univers, il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire à première vue, d’une série d’îles isolées. Nos modèles de l’Univers suggèrent de l’existence d’une vaste toile cosmique de matière noire, dont les fils s’étendent sur ces distances, reliant galaxie à galaxie, amas à amas. Le long de ces filaments galactiques, qui ont fusionné sous l’effet de la gravité dans les premiers stades de l’Univers, l’hydrogène du milieu intergalactique peu dense s’accumule et s’écoule. On pense que cet hydrogène alimente les galaxies en croissance, leur fournissant de la matière fraîche pour fabriquer des étoiles.
Une image simulée de la toile cosmique, où chaque point lumineux représente une galaxie en pleine formation d’étoiles., issue de la Millennium Simulation.
Dans un univers rempli de choses brillantes, la faible lueur de l’hydrogène froid et diffus n’est pas vraiment facile à repérer. Pourtant, sa découverte est un objectif important en astronomie et en cosmologie. Elle peut fournir des informations sur la façon dont l’Univers continue d’évoluer et de croître, ainsi que sur l’endroit où l’invisible matière noire de l’Univers et la matière normale manquante pourraient se cacher : on estime que 60 % de l’hydrogène formé lors du Big Bang se trouve dans la toile cosmique.
Selon Martin :
La toile cosmique délimite l’architecture de notre univers. C’est là que réside la majeure partie de la matière normale, ou baryonique, de notre galaxie et qu’elle retrace directement l’emplacement de la matière noire.
Pour repérer les parties de la toile cosmique les plus difficiles à trouver, Martin et ses collègues ont donc conçu un instrument dédié à la recherche des faibles émissions Lyman alpha, l’empreinte spectrale de l’hydrogène lorsqu’il absorbe et réémet des rayonnements. Le spectrographe à champ intégral, le Keck Cosmic Web Imager (KCWI) est installé à l’observatoire W. M. Keck, à Maunakea, à Hawaï.
L’Univers est rempli de différents types de lumière, y compris la lueur du système solaire et la lueur de la galaxie. Lorsque vous observez depuis la Terre, cette lumière est encore plus complexe en raison de la lumière atmosphérique. Martin a donc conçu un moyen de soustraire cette lumière des observations du KCWI, en précisant :
Nous observons deux zones différentes du ciel, A et B. Les structures des filaments se trouvent à des distances distinctes dans les deux directions des taches, de sorte que l’on peut prendre la lumière de fond de l’image B et la soustraire de l’image A, et vice versa, pour ne conserver que les structures. J’ai effectué des simulations détaillées en 2019 pour me convaincre que cette méthode fonctionnerait.
Les chercheurs ont ensuite étudié des parcelles du ciel, à la recherche de concentrations de la raie Lyman alpha, si caractéristique. En raison de l’expansion de l’Univers, la longueur d’onde de la lumière est atténuée sur de grandes distances vers l’extrémité rouge du spectre (décalage vers le rouge), ainsi, plus l’émission est rouge, plus la lumière est éloignée. Cela a permis à l’équipe de dresser une carte de l’émission en trois dimensions, de la lumière qui a voyagé entre 10 et 12 milliards d’années pour arriver jusqu’à nous. Cela représente une période de l’histoire de l’Univers où tout était encore en formation, après le Big Bang, il y a 13,8 milliards d’années.
Le résultat est un premier aperçu du réseau cosmique complexe dans les coins les plus sombres de l’Univers. Selon les chercheurs, il s’agit là d’une nouvelle façon de suivre la toile cosmique, de retrouver la matière de l’Univers et d’apprendre comment tout cela s’est formé.
Selon Mateusz Matuszewski, astrophysicien et scientifique chargé de l’instrument au Caltech :
Nous sommes très enthousiastes, quant à ce que ce nouvel outil nous permettra d’apprendre sur les filaments les plus éloignés et sur l’époque où les premières étoiles et les premiers trous noirs se sont formés.
Cette animation révèle une coupe en trois dimensions d’un réseau de filaments d’hydrogène gazeux qui sillonnent les espaces entre les galaxies. Les données ont été recueillies par l’imageur Keck Cosmic Web Imager. La région couverte par cette observation se situe à environ 10,5 milliards d’années-lumière. Le volume représenté ici couvre une surface de 2,3 millions d’années-lumière sur 3,2 millions et s’étend sur une profondeur de 600 millions d’années-lumière (50 millions par segment). (Caltech/ R. Hurt (IPAC))
L’étude publiée dans Nature Astronomy : Extensive diffuse Lyman-α emission correlated with cosmic structure et présentée sur le site du California Institute of Technology (Caltech) : Cosmic Web Lights Up in the Darkness of Space et sur le site de l’observatoire W. M. Keck.