Des scientifiques prédisent l’effondrement de la circulation des courants de l’océan Atlantique d’ici 2050
Des chercheurs danois ont calculé qu’un processus essentiel de circulation océanique pourrait s’arrêter au cours de ce siècle, ce qui rapprocherait la Terre d’un point de non-retour irréversible en matière de changement climatique.
Image d’entête : représentation de la circulation océanique mondiale et l’Atlantique Nord. (NASA)
Les professeurs Peter et Susanne Ditlevsen (binôme frère-sœur) de l’université de Copenhague, au Danemark, ont collaboré à une analyse statistique des signaux d’alerte précoce afin d’estimer la vitesse à laquelle ralentit la circulation méridienne de retournement Atlantique ou AMOC.
L’AMOC est l’un des principaux processus de brassage des océans, souvent décrit comme une courroie de transmission qui relaie l’eau salée froide de l’Atlantique Nord vers l’Atlantique Sud tout en entraînant simultanément l’eau chaude du sud vers le nord. Ce processus entraîne le refroidissement des eaux chaudes près des pôles, ce qui favorise la formation de la glace de mer. Le sel résiduel issu de ce processus de congélation rend l’eau environnante plus dense et la fait couler dans les profondeurs de l’océan, où elle rejoint ce gigantesque convoyeur liquide.
Représentation de l’AMOC et ses différentes températures ainsi que ses points de réchauffement et de refroidissement. (Caesar/ PIK/ Université de Postdam)
Mais le réchauffement climatique dû aux émissions industrielles de gaz à effet de serre a modifié cette dynamique. Avec le réchauffement des océans, la glace de mer fond, entraînant la dilution de l’eau de fonte fraîche dans l’eau salée dense du fond. C’est un problème, car le processus de transport inhérent à l’AMOC implique également des courants qui « remontent » l’eau froide vers la surface de l’océan au fil du temps, entraînant les nutriments libérés par les animaux morts près du fond de la mer. Ce processus crée des environnements riches en nutriments qui permettent à de petits organismes comme le phytoplancton de prospérer, ce qui constitue la base de nombreux écosystèmes marins.
Si l’AMOC était freinée, ces processus vitaux seraient gravement affectés, ce qui préoccupe les scientifiques du monde entier. On sait depuis un certain temps que l’AMOC est probablement en train de ralentir, mais même les plus récents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estimaient qu’un tel processus n’interviendrait pas avant le siècle prochain. Aujourd’hui, les recherches des Ditlevens remettent en cause cette hypothèse en prévoyant l’effondrement de cette circulation au cours des 65 prochaines années.
L’AMOC est considéré comme un point de basculement/ non-retour climatique lié à la perte de glace dans l’Arctique et au Groenland et influençant le même phénomène dans l’Antarctique. Ces points de basculement pourraient faire partie d’un effet de réaction en chaîne qui entraînerait un dépassement d’autres mesures protectrices du climat.
Le franchissement de ces points de basculement, que ce soit dans 3 ans ou dans 60 ans, inquiète des chercheurs comme les Ditlevsen. Leur modélisation de l’effondrement de l’AMOC s’appuie sur 150 années de températures de surface de la mer dans l’Atlantique, de 1870 à 2020, qui servent « d’empreinte digitale » pour le processus. L’AMOC ayant fait l’objet d’un suivi continu depuis 2004, leur utilisation de températures de substitution remontant à l’époque préindustrielle leur a permis de disposer d’une « base de référence, avant le changement climatique » à évaluer.
Selon Peter Ditlevsen, physicien et chercheur en climatologie à l’Institut Niels Bohr de l’Université de Copenhague :
C’est précisément ce qui nous permet de dire que nous commençons à nous rapprocher du point de bifurcation, un point de basculement. Les océanographes savaient que le renversement de l’Atlantique s’affaiblissait et augmentait le risque d’effondrement. Il y a deux ans, une étude publiée a montré que nous disposions d’avertissements précoces indiquant que quelque chose était sur le point de se produire. Mais ce qui n’a pas été établi et n’a pas pu l’être, c’est l’importance de ces résultats et le moment où cela va se produire.
Après avoir examiné les nouvelles recherches sur le ralentissement de l’AMOC, il a collaboré avec sa sœur Susanne, professeur de statistiques à l’université de Kuala Lumpur, afin de déterminer l’échelle de temps de l’effondrement prévu.
Toujours selon Peter Ditlevsen :
J’ai d’abord utilisé des moyens statistiques simples et j’ai obtenu des résultats très inquiétants. Nous avons donc sorti les grands outils statistiques et mis au point un cadre statistique permettant d’effectuer ce calcul avec beaucoup plus de précision, et il s’est avéré qu’il confirmait complètement ce que j’avais trouvé.
Ni l’un ni l’autre ne spéculent sur la cause du ralentissement, mais ils notent que le processus a probablement commencé vers les années 1920 et qu’il s’est poursuivi depuis.
Pour Susanne Ditlevsen :
Il n’y a donc eu qu’une centaine d’années de changement. Nous pouvons spéculer sur ce qui se passera après le basculement, mais notre étude ne porte que sur la période précédant le basculement… nous sommes convaincus que si nous continuons à faire comme si de rien n’était, le basculement se produira au cours de ce siècle.
Les climatologues, y compris ceux qui participent à ce genre d’études océaniques, s’accordent à dire qu’il est essentiel de réduire la concentration des gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone et le méthane afin d’éviter que l’AMOC et la circulation antarctique ne subissent des changements irréversibles.
L’étude publiée dans Nature Communications : Warning of a forthcoming collapse of the Atlantic meridional overturning circulation et présentée sur le site de la Niels Bohr Institute de l’Université de Copenhague : Gloomy climate calculation: Scientists predict a collapse of the Atlantic ocean current to happen mid-century.
