La vie des rivières révélée sur Titan et sur l’ancienne Mars
Les rivières ne sont pas l’apanage de la Terre ; elles ont également été découvertes sur au moins deux autres corps célestes de notre système solaire : Mars et Titan. Si les rivières martiennes se sont asséchées au fil du temps, ne laissant derrière elles que des traces d’anciens lits de rivières et de lacs, Titan, la plus grande lune de Saturne, peut s’enorgueillir de posséder des rivières où coule encore du méthane liquide.
Image d’entête : dessin, “il pleut sur Titan.” (David A. Hardy/ AstroArt / NASA)
Des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont mis au point une technique innovante, utilisant des observations par satellite pour estimer la vitesse à laquelle les rivières transportent des fluides et des sédiments en aval. Cette méthode leur a permis d’évaluer l’intensité des flux fluviaux passés sur Mars et actuels sur Titan.
Les géologues ont cherché à déterminer la vitesse et la profondeur des rivières dans des régions spécifiques de Mars il y a plus d’un milliard d’années. Ils ont également estimé des paramètres similaires pour les rivières actives sur Titan, malgré les défis posés par l’épaisse atmosphère de la lune et la distance qui la sépare de la Terre.
Au centre, Titan telle qu’elle apparait à la lumière visible, cachée par un voile opaque, et autour les images obtenues par le spectromètre infrarouge de la sonde spatiale Cassini. (NASA/ JPL-Caltech/ Université de Nantes/ Université d’Arizona)
Comparée à Mars, la disponibilité limitée d’images de la surface de Titan rend l’exploration plus difficile. Cependant, la nouvelle technique permet de faire des prédictions et d’obtenir des informations sur ces mondes lointains sans dépendre uniquement des données des futures missions.
Selon Taylor Perron, professeur titulaire de la chaire Cecil et Ida Green au département des sciences de la Terre, de l’atmosphère et des planètes (EAPS) du MIT :
Grâce à cette technique, nous disposons d’une méthode permettant de faire des prédictions réelles pour un endroit où nous n’obtiendrons pas plus de données avant longtemps. Ce qui est passionnant avec Titan, c’est que cette planète est active. Et sur Mars, cela nous donne une machine à remonter le temps, pour utiliser les rivières aujourd’hui inactives et avoir une idée de ce qu’elles étaient lorsqu’elles étaient en activité.
Les chercheurs se sont appuyés sur les travaux de Gary Parker, coauteur de l’étude, qui a mis au point des équations mathématiques dans les années 2000 pour décrire l’écoulement des rivières sur Terre. Les équations de Parker établissent des relations universelles entre les caractéristiques physiques d’une rivière (telles que la largeur, la profondeur et la pente) et son débit, en intégrant des variables telles que la gravité et les propriétés des sédiments.
L’équipe de recherche a adapté les équations de Parker aux mesures limitées disponibles pour les rivières sur d’autres planètes. Sur Terre, les scientifiques peuvent mesurer directement la largeur, la pente et la taille des sédiments d’une rivière, ce qui permet d’obtenir des données précises pour les équations. Cependant, les mesures des rivières extraterrestres sont principalement dérivées d’images à distance et de données d’élévation par satellite. Plusieurs orbiteurs ont capturé des images à haute résolution de la surface de la planète Mars, mais bien que Titan soit actuellement en activité, les données sont plus rares.
Samuel Birch, chercheur au MIT, a conçu une méthode pour estimer le débit des rivières sur Mars et Titan en utilisant uniquement des données sur la largeur et la pente, les paramètres les plus facilement disponibles à partir d’observations à distance. Grâce à une analyse méticuleuse et à une validation à l’aide de données provenant de 491 rivières sur Terre, Birch a démontré que les prédictions basées uniquement sur la largeur et la pente permettaient d’estimer avec précision le débit d’une rivière.
Birch a ensuite appliqué ces équations modifiées à Mars, en examinant plus particulièrement les anciennes rivières qui se jettent dans les cratères Gale et Jezero, des endroits qui auraient été des lacs remplis d’eau il y a des milliards d’années. En tenant compte de la gravité de Mars, ainsi que de la largeur et de la pente estimées à partir d’images satellite, l’équipe a prédit le débit de chaque rivière.
Un ancien delta fluvial s’écoulant dans le cratère Jezero de Mars. (ESA/ DLR/ FU-Berlin)
Les prédictions de l’équipe ont révélé que les rivières ont probablement coulé pendant au moins 100 000 ans dans le cratère Gale et au moins 1 million d’années dans le cratère Jezero, ce qui laisse supposer que la vie a pu s’y développer durant ces périodes. En outre, les chercheurs ont comparé leurs prévisions concernant la taille des sédiments sur le lit de chaque rivière avec les mesures de terrain recueillies par les astromobiles Curiosity et Perseverance de la NASA, confirmant ainsi l’exactitude de leurs équations lorsqu’elles sont appliquées à Mars.
Le caractère énigmatique des rivières de Titan constitue l’un des aspects les plus intrigants de cette étude. La sonde Cassini de la NASA a pris des images des rivières de la lune, révélant une étonnante absence de deltas en forme d’éventail à l’embouchure de la plupart des rivières, un phénomène couramment observé sur Terre. L’équipe s’est donc demandé si les rivières de Titan ne véhiculaient pas un débit ou une quantité de sédiments suffisants pour former des deltas.
Les images de la mission Cassini montrent des réseaux fluviaux se déversant dans les lacs de la région polaire nord de Titans. (NASA/ JPL/ USGS)
L’équipe s’est concentrée sur deux endroits où les pentes des rivières pouvaient être mesurées, notamment une rivière qui se jette dans un lac d’une taille comparable à celle du lac Ontario, l’un des plus grands lacs du monde. Bien que cette rivière semble former un delta en entrant dans le lac, la plupart des autres rivières sur Titan ne présentent pas de telles caractéristiques. Il est surprenant de constater que, malgré leur débit estimé, ces rivières ne présentent pas les dépôts en forme d’éventail généralement associés aux deltas des rivières sur Terre. Cela suggère que d’autres facteurs entrent en jeu dans la formation des dépôts fluviaux sur Titan.
L’étude a également permis de faire une autre découverte intéressante concernant les rivières de Titan : elles sont plus larges et présentent une pente plus douce que les rivières ayant un débit similaire sur Terre ou sur Mars.
Pour Birch :
Titan est l’endroit qui ressemble le plus à la Terre. Nous n’en avons qu’un aperçu. Nous savons qu’il y a beaucoup plus de choses là-bas, et cette technique de télédétection nous en rapproche un peu plus.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Reconstructing river flows remotely on Earth, Titan, and Mars et présentée sur le site du Massachusetts Institute of Technology : Studying rivers from worlds away.