Cette nouvelle carte de la matière noire valide la théorie de la gravité d’Albert Einstein
Pendant des millénaires, les humains ont contemplé le ciel nocturne, captivés par les mystères du cosmos. Mais ce que les anciens astronomes ignoraient, c’est que les éléments les plus mystérieux de l’univers sont totalement obscurs de par leur nature. Il s’agit notamment des trous noirs, mais surtout de la matière noire et de l’énergie noire. Grâce aux instruments et aux techniques modernes, les scientifiques n’ont jamais été aussi près de percer les secrets de l’univers.
Des scientifiques avec le télescope cosmologique d’Atacama (ACT) ont créé une nouvelle image révolutionnaire qui révèle la carte la plus détaillée de la matière noire répartie sur un quart du ciel entier, s’étendant dans les profondeurs du cosmos. L’image confirme la théorie d’Albert Einstein sur la façon dont les structures massives se développent et courbent la lumière pendant les 14 milliards d’années de la durée de vie de l’univers.
Image d’entête : la nouvelle carte de la matière noire. Les régions orange indiquent les zones où la masse est la plus importante, et les régions violettes où elle est plus faible ou inexistante. Les caractéristiques typiques s’étendent sur des centaines de millions d’années-lumière. La bande blanchâtre indique où la lumière contaminante provenant de la poussière de notre Voie lactée, mesurée par le satellite Planck, obscurcit une vue plus profonde. (ACT Collaboration)
Le télescope cosmologique d’Atacama (Atacama Cosmology Telescope ou ACT) est un télescope de 6 mètres construit sur le Cerro Toco dans le désert d’Atacama au Nord du Chili. (Debra Kellner)
Bien qu’elle constitue 85 % de l’univers et qu’elle influence son évolution, la matière noire a été difficile à détecter, car elle n’interagit pas avec la lumière ou d’autres formes de rayonnement électromagnétique. Elle n’interagit qu’avec la gravité.
Pour la localiser, plus de 160 personnes ont construit le télescope cosmologique d’Atacama de la National Science Foundation (États-Unis), situé dans les hautes Andes chiliennes, et ils en ont recueilli les données. Ils ont observé la lumière émanant de l’aube de la formation de l’univers, le Big Bang, alors que l’univers n’était âgé que de 380 000 ans.
Cette lumière diffuse, qui remplit l’ensemble de notre univers, est parfois affectueusement appelée la « photo de l’Univers bébé « , mais, officiellement, les scientifiques l’appellent le fond diffus cosmologique (FDC).
La carte ci-dessous présente la plus ancienne lumière dans notre univers, comme elle a été détectée avec la plus grande précision par la mission Planck. La lumière antique, appelée le fond diffus cosmologique, a été imprimée sur le ciel quand l’univers avait 370 000 ans. Elle montre les minuscules fluctuations de température qui correspondent aux régions aux densités légèrement différentes, représentant les graines de toute la future structure : les étoiles et les galaxies d’aujourd’hui. (ESA/ Planck Collaboration)
L’équipe a suivi la façon dont l’attraction gravitationnelle de structures lourdes et de grande taille, y compris la matière noire, déforme le FDC au cours de son voyage de 14 milliards d’années jusqu’à nous, un peu comme une loupe déforme la lumière lorsqu’elle passe à travers sa lentille.
Pour l’image ci-dessous : le fond diffus cosmologique (FDC), ancienne lumière émise lorsque l’univers était à ses débuts, a voyagé pendant des milliards d’années, témoin de la formation des étoiles, des galaxies et des amas de galaxies. Les champs gravitationnels de ces objets massifs ont influencé la trajectoire de la lumière FDC. À gauche, le Big Bang : les lignes ondulées illustrent la distorsion causée par la matière noire et la matière ordinaire des galaxies. A droite, une image de la lumière déformée reçue par le télescope cosmologique d’Atacama (ACT). En bas à gauche, la nouvelle carte de la matière noire établie par l’équipe de l’ACT, une visualisation de toute la matière se trouvant sur la trajectoire de la lumière CMB. Les régions orange indiquent les endroits où il y a plus de masse et les régions violettes ceux où il y en a moins. (Lucy Reading-Ikkanda / Fondation Simons et Collaboration ACT)
Selon Mathew Madhavacheril, professeur adjoint au département de physique et d’astronomie de l’université de Pennsylvanie :
Nous avons établi une nouvelle carte de la masse en utilisant les distorsions de la lumière laissées par le Big Bang.
Image ci-dessous : Pour voir la matière noire invisible, l’équipe de recherche a examiné la façon dont sa gravité déforme la lumière, tout comme des fenêtres d’épaisseur inégale étirent et déforment ce qui apparaît derrière elles. Ici, un simple damier (à gauche) est déformé par les taches violettes avant que l’image ne soit captée par le télescope cosmologique d’Atacama (à droite), ce qui donne la vue déformée de droite. Les astronomes recherchent ces modèles de distorsion dans la lumière lointaine pour cartographier la distribution de la matière noire. (Lucy Reading-Ikkanda / Simons Foundation)
Ce que l’équipe a découvert est tout à fait remarquable. Pour Blake Sherwin, professeur de cosmologie à l’université de Cambridge : ”Cela ressemble exactement à ce que nos théories prédisent », ajoutant que les résultats ont apporté de nouveaux éclaircissements sur un vieux débat dans le domaine de la cosmologie, connu sous le nom de « Crise de la cosmologie » (The Crisis in Cosmology).
Des mesures récentes utilisant une lumière de fond différente, émise par les étoiles des galaxies plutôt que par le FDC, ont produit des résultats suggérant que la matière noire était moins compacte que ne le prévoyaient les théories d’Einstein dans le cadre du modèle standard de la cosmologie, ce qui a suscité des inquiétudes quant à une éventuelle faille du modèle. Toutefois, les derniers résultats de l’équipe ACT ont permis d’évaluer avec précision que les gros morceaux observés sur cette carte imagée sont exactement de la bonne taille, validant ainsi la théorie de la gravité d’Einstein.
Selon Frank Qu, doctorant à Cambridge et membre de l’équipe de recherche :
Lorsque j’ai vu les résultats pour la première fois, j’ai été surpris de voir à quel point nos mesures correspondaient à la théorie sous-jacente. Il sera intéressant de voir comment cette éventuelle divergence entre les différentes mesures sera résolue.
Le télescope cosmologique d’Atacama, qui a fonctionné pendant 15 ans, a été mis hors service en septembre 2022. Néanmoins, les données recueillies par l’ACT occuperont les scientifiques pendant des années. En outre, l’observatoire Simons effectuera de futures observations sur le même site, un nouveau télescope devant entrer en service en 2024, capable de cartographier le ciel près de 10 fois plus vite que l’ACT.
Les résultats seront présentés cette semaine lors de la conférence “Future Science with CMB x LSS” à l’Institut Yukawa de physique théorique de l’université de Kyoto, au Japon et annoncée sur le site de l’Université Princeton : New map of the universe’s cosmic growth supports Einstein’s theory of gravity.