Pour la première fois, des neutrinos ont été utilisés pour observer l’intérieur de protons
Un faisceau de neutrinos a pour la première fois été utilisé afin d’étudier la structure des protons.
Cette recherche révolutionnaire menée par des scientifiques américains de l’université de Rochester s’inscrit dans le cadre de la collaboration internationale MINERvA (Main Injector Neutrino ExpeRiment to study v-A interactions) au Fermilab (Fermi National Accelerator Laboratory), situé à 100 mètres sous la ville de Batavia, dans l’État américain de l’Illinois.
Image d’entête : l’un des deux cônes de focalisation magnétique utilisés dans le faisceau du Fermilab qui produit des faisceaux de neutrinos intenses pour MINERvA et d’autres expériences sur les neutrinos. (Reidar Hahn, Fermilab)
MINERvA est la première expérience au monde à utiliser des faisceaux de neutrinos de haute intensité pour étudier l’interaction de ces particules avec différents noyaux atomiques, de l’hélium au plomb.
Wolfgang Pauli a postulé leur existence en 1930, Enrico Fermi les a nommés en 1934, mais Frederick Reines et Clyde Cowan les ont « découverts » expérimentalement en 1956 dans le cadre du projet Poltergeist.
Ce projet a été nommé ainsi parce que les neutrinos étaient connus à l’époque, comme aujourd’hui, sous le nom de « particules fantômes », car ils sont très difficiles à détecter. Ils n’ont pas de charge, n’ont donc pas d’interaction électromagnétique et n’ont pratiquement pas de masse. Mais les neutrinos comptent parmi les particules les plus abondantes de l’univers et leur découverte pourrait nous en apprendre beaucoup sur le cosmos.
C’est d’ailleurs ce que MINERvA cherchait à faire, et non à étudier les protons.
Selon le Dr Tejin Cai, aujourd’hui à l’université York, qui a mené les recherches en tant que doctorant à Rochester :
Alors que nous étudiions les neutrinos dans le cadre de l’expérience MINERvA, j’ai réalisé qu’une technique que j’utilisais pourrait être appliquée à l’étude des protons. Au début, nous n’étions pas sûrs que cela fonctionnerait, mais nous avons finalement découvert que nous pouvions utiliser les neutrinos pour mesurer la taille et la forme des protons qui composent les noyaux des atomes. C’est comme utiliser une règle fantôme pour effectuer une mesure.
Les noyaux atomiques sont minuscules (environ 1 million de milliardièmes de mètre de diamètre, 0,001 % du diamètre de l’atome entier) et difficiles à mesurer.
Pour comprendre ce qui se passe dans un noyau atomique, les scientifiques doivent le bombarder avec un faisceau de particules à haute énergie. En mesurant à quelle distance et à quels angles les particules rebondissent sur le noyau, les physiciens peuvent se faire une idée de la structure du noyau et, parfois, des protons et des neutrons qui le composent.
Selon Kevin McFarland, professeur de physique à Rochester :
C’est une façon très indirecte de mesurer quelque chose, mais elle nous permet de relier la structure d’un objet, dans ce cas, un proton, au nombre de déflexions que nous voyons sous différents angles.
En fait, ce genre de technique, utilisant des électrons accélérés, a permis aux physiciens de mesurer la taille du proton pour la première fois dans les années 1950 au Laboratoire national de l’accélérateur SLAC de l’université Stanford.
La nouvelle méthode impliquant les neutrinos ne donnera pas une image plus nette des protons, mais pourrait, pour la première fois, fournir aux scientifiques des informations sur la façon dont les neutrinos et les protons interagissent.
Toujours selon McFarland :
Vous regardez la même fleur, mais vous pouvez voir des structures différentes sous les différents types de lumière. Notre image n’est pas plus précise, mais la mesure des neutrinos nous fournit une vue différente. Nos précédentes méthodes de prédiction de la diffusion des neutrinos par les protons faisaient toutes appel à des calculs théoriques, mais ce résultat mesure directement cette diffusion.
Les chercheurs ont contourné le fait que les neutrinos n’interagissent avec la matière ordinaire qu’une fois sur mille milliards en réalisant une « astuce chimique » : ils ont bombardé non pas des atomes individuels, mais des molécules d’hydrocarbures.
Selon Tejin Cai :
L’hydrogène et le carbone sont chimiquement liés ensemble, de sorte que le détecteur voit les interactions sur les deux à la fois. J’ai réalisé qu’une technique que j’utilisais pour étudier les interactions sur le carbone pouvait également être utilisée pour voir l’hydrogène tout seul, une fois que l’on a soustrait les interactions du carbone.
En effectuant des calculs pendant 9 ans, l’équipe a pu collecter des informations sur la structure interne du proton et des informations clés sur les interactions des neutrinos.
Le résultat de l’analyse et les nouvelles techniques développées soulignent l’importance d’être créatif et collaboratif dans la compréhension des données.
L’étude publiée dans Nature : Measurement of the axial vector form factor from antineutrino–proton scattering et présentée sur le site du Fermilab : A new way to explore proton’s structure with neutrinos yields first results.