Des créatures proches des primates ont survécu dans l’Arctique quand celui-ci était un marécage chaud et luxuriant
Des fossiles de parents des primates datant d’il y a 52 millions d’années ont été découverts pour la première fois au nord du cercle arctique. Deux primates primitifs ont été identifiés à partir de fragments de mâchoires et de dents.
Aujourd’hui, les primates vivent presque exclusivement dans des environnements chauds et tropicaux, il est donc surprenant que leurs ancêtres aient vécu si loin au nord.
Mais, il y a 50 millions d’années, au cours de l’époque géologique appelée Éocène, d’importants effets de réchauffement planétaire ont entraîné une très importante augmentation de la température de la Terre. En fait, l’Éocène (qui a duré de 56 millions à 34 millions d’années environ) fut la période la plus chaude de l’ère cénozoïque, qui couvre les 66 millions d’années écoulées depuis l’ère des dinosaures.
Image d’entête : reconstitution artistique de l’Ignacius dawsonae survivant dans les forêts chaudes, mais sombres de l’île d’Ellesmere au Canada. (Kristen Miller/ Biodiversity Institute/ Université du Kansas)
L’Éocène représente donc une étude de cas déterminante sur la façon dont les écosystèmes réagissent au changement climatique.
Selon les chercheurs dans leur étude (lien plus bas) :
Le réchauffement de la planète transforme les écosystèmes de l’Arctique d’une manière difficile à prévoir, mais les anciens épisodes de réchauffement de la planète montrent comment les futurs changements dans l’Arctique pourraient se dérouler. Les premiers fossiles de primates retrouvés au nord du cercle polaire montrent que ces mammifères adaptés aux tropiques ont pu coloniser l’Arctique pendant un ancien épisode de réchauffement climatique, il y a environ 52 millions d’années, en adoptant un nouveau régime alimentaire à base de noix et de graines qui leur permettait de survivre à six mois d’obscurité hivernale.
Les deux anciens parents des primates, nommés Ignacius mckennai et Ignacius dawsonae, ont été découverts sur l’île d’Ellesmere au Canada. Située bien au-dessus du cercle polaire arctique, l’île présente aujourd’hui une température moyenne de 3,3 °C au mois le plus chaud, le mois de juillet, et une température moyenne de -38 °C en février.
A partir de l’étude : carte de l’île d’Ellesmere, Nunavut, Canada et des régions adjacentes. (K.Miller et col./ PLOS ONE)
Mais au cours de l’Éocène, on estime que les températures annuelles moyennes à la surface du globe étaient supérieures de 13 °C à celles de la fin du XXe siècle. Il n’y avait pas de calottes glaciaires permanentes. Et les régions polaires étaient très différentes.
Il y a 52 millions d’années, l’île d’Ellesmere aurait abrité un environnement marécageux.
Mais même avec des températures plus élevées, les fossiles des premiers membres de la famille des primates en Amérique du Nord ont été limités à des latitudes beaucoup plus basses, ce qui a incité les paléontologues à suggérer que les deux espèces découvertes récemment descendaient d’un ancêtre commun qui possédait un esprit « pour aller hardiment là où aucun primate n’est allé auparavant ».
A partir de l’étude : Carte paléogéographique de la Laurasie septentrionale pendant l’Optimum climatique de l’éocène précoce. La flèche rouge à plusieurs extrémités indique la continuité des voies de dispersion terrestres depuis les régions de latitude moyenne de l’Amérique du Nord jusqu’à l’île d’Ellesmere à la fin de l’Éocène précoce. (K.Miller et col./ PLOS ONE)
Selon l’auteure principale, Kristen Miller, doctorante à l’université du Kansas (Etats-Unis) :
Aucun cousin des primates n’a jamais été trouvé à des latitudes aussi extrêmes. On les trouve plus généralement autour de l’équateur, dans les régions tropicales. J’ai pu effectuer une analyse phylogénétique, qui m’a aidé à comprendre comment les fossiles de l’île d’Ellesmere sont liés aux espèces trouvées dans les latitudes moyennes de l’Amérique du Nord, des endroits comme le Nouveau-Mexique, le Colorado, le Wyoming et le Montana. Même au Texas, nous avons quelques fossiles qui appartiennent à cette famille.
Aucune de ces espèces n’est apparentée aux écureuils, mais je pense que c’est la créature la plus proche dont nous disposons qui nous aide à visualiser ce qu’ils pouvaient être. Ils étaient probablement très arboricoles, c’est-à-dire qu’ils vivaient dans les arbres la plupart du temps.
Les deux animaux ont également des dents et des mâchoires qui suggèrent qu’ils mangeaient des aliments durs, probablement pour se nourrir d’aliments plus résistants pendant les longs et sombres hivers arctiques où les repas plus mous étaient difficiles à trouver.
Toujours selon Miller :
Une grande partie de ce que nous faisons en paléontologie est de regarder les dents, elles se conservent le mieux. Leurs dents sont juste très étranges par rapport à celles de leurs plus proches parents. Donc, ce que j’ai fait ces deux dernières années, c’est essayer de comprendre ce qu’ils mangeaient, et s’ils mangeaient des matériaux différents de ceux de leurs homologues des latitudes moyennes.
L’équipe pense que les premiers cousins des primates étaient obligés de survivre grâce aux noix et aux graines pendant l’hiver polaire relativement rude.
Selon l’auteur correspondant, le Dr Chris Beard, également de l’Université du Kansas :
Cela, nous pensons, est probablement le plus grand défi physique de cet ancien environnement pour ces animaux. Comment traverser six mois d’obscurité hivernale, même s’il fait raisonnablement chaud ? Les dents, et même les muscles de la mâchoire de ces animaux, ont changé par rapport à leurs proches parents des latitudes moyennes. Pour survivre à ces longs hivers arctiques, lorsque les aliments préférés comme les fruits n’étaient pas disponibles, ils devaient compter sur des aliments de secours comme les noix et les graines.
Les chercheurs suggèrent que, si les températures plus chaudes ont incité certains organismes à se déplacer vers le nord, les longues périodes d’obscurité arctique ont peut-être encore été un facteur limitant pour la survie des animaux et des plantes.
Pour Miller :
Cela montre comment quelque chose comme un primate, ou un parent de primate qui est spécialisé dans un environnement, peut évoluer en fonction du changement climatique. Je pense que cela signifie probablement que l’aire de répartition des primates pourrait s’étendre avec le changement climatique ou se déplacer au moins vers les pôles plutôt que vers l’équateur. La vie commence à devenir trop chaude à cet endroit, peut-être aurons-nous beaucoup de taxons se déplaçant vers le nord et le sud, plutôt que la biodiversité intense que nous voyons à l’équateur aujourd’hui.
L’étude publiée dans PLOS ONE : Basal Primatomorpha colonized Ellesmere Island (Arctic Canada) during the hyperthermal conditions of the early Eocene climatic optimum et présentée sur le site de l’Université du Kansas : 52-million-year-old fossils from high Arctic show near-primates were cool with colder climate.