La peste noire, qui a ravagé l’Europe dans les années 1400, a fait de votre système immunitaire ce qu’il est aujourd’hui
Les maladies infectieuses représentent l’un des plus puissants mécanismes sélectifs dans le développement de notre civilisation. Des scientifiques ont trouvé des preuves ADN de l’impact de la peste noire sur le développement humain. Une analyse de l’ADN prélevé sur d’anciens survivants et victimes révèle que la maladie, qui a décimé l’Europe au 14e siècle, subsiste encore aujourd’hui.
Image d’entête : manuscrit suisse du XVe siècle représentant des personnes atteintes de la peste bubonique, souffrant de ganglions lymphatiques enflés. (VCG Wilson/ Corbis)
De nombreux Européens présentent des anomalies génétiques qui ont préservé leurs ancêtres de la peste bubonique, selon une étude publiée mercredi (lien plus bas). Selon cette étude récente, à la suite de la peste noire qui a ravagé l’Europe en 1348, cette maladie infectieuse a tué d’énormes pans de population sur tout le continent, provoquant la plus grande vague d’évolution biologique jamais détectée chez l’humain.
Il s’avère que des mutations génétiques spécifiques ont rendu les humains considérablement plus aptes à survivre à la pandémie. Néanmoins, cette protection a un coût : les personnes porteuses des gènes de résistance à la peste sont plus susceptibles de développer des maladies immunologiques, notamment la maladie de Crohn.
La bactérie Yersinia pestis, qui est véhiculée par les puces, est à l’origine de la peste bubonique. Bien que cette maladie touche l’homme depuis plusieurs milliers d’années, elle a frappé l’Europe médiévale avec une telle intensité que les spécialistes se sont demandé si la peste noire n’avait pas modifié la composition génétique de l’Europe.
Le concept a un sens intuitif fondamental : lorsqu’un grand nombre d’organismes meurent, les survivants transmettent des gènes qui les protègent contre la mort. Les phalènes du bouleau, par exemple, sont des papillons qui sont passés de la couleur claire à la couleur noire pendant la révolution industrielle. La pollution du charbon qui souillait les arbres dans lesquels dormaient les papillons de nuit était responsable de cette transformation. Les papillons de nuit sombres se cachaient mieux des oiseaux et ont donc vécu pour transmettre leurs gènes.
Au moment où la peste noire s’est produite, il n’y avait pas assez de biologistes pour faire la chronique de ses effets. Dans les années 1990, plusieurs scientifiques ont cherché des preuves en étudiant l’ADN des Européens modernes. La variation d’un gène, le CCR5, se retrouve chez 10 % des Européens, mais reste peu fréquente dans le reste de la population. En 1998, les scientifiques ont émis l’hypothèse que cette mutation aurait pu protéger les gens principalement pendant la peste noire.
Toutefois, d’autres études ont révélé qu’il était difficile d’exclure la possibilité que la variation CCR5 se soit propagée en réaction à une autre maladie à un moment différent dans le passé. Comme l’explique Luis Barreiro, généticien des populations à l’université de Chicago et l’un des auteurs de l’étude, beaucoup de personnes en parlent mais il est extrêmement difficile de l’établir en raison de certains facteurs.
Barreiro et le généticien évolutionniste Hendrik Poinar, de l’université McMaster (Canada), ainsi que leurs collègues, ont étudié l’ADN d’humains ayant vécu des générations plus tôt, en obtenant des informations génétiques à partir de preuves médico-légales enterrées dans trois cimetières de Londres. Les scientifiques ont découvert des fragments d’ADN dans 318 ossements datant de 1000 à 1500 ans. Parmi ces ossements, on comptait 42 victimes de la peste noire.
A partir de l’étude : site de sépulture collective de la peste noire d’East Smithfield, une petite commune près de Londres, datant de 1348-1349 et carte de l’emplacement des sites et codes de sites archéologiques (entre parenthèses) pour les échantillons provenant de Londres et de tout le Danemark. (Jennifer Klunk et col./ Nature)
En comparant l’ADN de squelettes provenant d’avant et d’après la peste, les scientifiques ont découvert une étonnante différence : les mutations de gènes impliqués dans l’immunité étaient plus nombreuses qu’après l’épidémie, selon l’étude. Ce changement ne prouve pas que les mutations ont apporté un quelconque avantage évolutif. Les biologistes savent depuis longtemps que, sous l’effet des caprices de l’histoire, des changements peuvent devenir plus fréquents dans une population, un processus appelé dérive génétique.
Il peut être difficile de dire si une variation fréquente est le résultat d’une variation génétique ou de processus naturels. La sélection naturelle peut transmettre un gène beaucoup plus rapidement que la dérive génétique dans des environnements défavorables.
Le Dr Berreiro et ses chercheurs sont revenus à l’ADN des Anglais pour évaluer la survie du plus apte et la dérive génétique. Ils ont utilisé le fait que d’énormes portions de l’ADN humain ne contiennent aucun gène fonctionnel. Il n’est pas certain que les mutations qui se produisent dans certaines sections soient nuisibles. Il est également douteux qu’elles soient bénéfiques. Elles ne prolifèrent qu’en raison de la dérive génétique.
Diverses de ces modifications neutres étaient beaucoup plus répandues après la peste noire, selon le Dr Barreiro et ses collègues. En outre, 35 des modifications génétiques immunologiques se sont propagées beaucoup plus rapidement que les modifications neutres, si rapidement que seule l’évolution biologique peut en expliquer la réalisation.
L’étude publiée dans Nature : Evolution of immune genes is associated with the Black Death et présentée dans cette même revue : Bubonic plague left lingering scars on the human genome et sur le site de l’University of Chicago Medical Center : Ancient DNA shows people with certain genes were more likely to survive the Black Death.