La pollution sonore due à l’exploitation minière en eaux profondes pourrait se propager dans tout l’océan
Des scientifiques ont trouvé une raison supplémentaire d’inciter les entreprises et les gouvernements à ne pas exploiter les fonds marins, une zone riche en ressources minérales, du manganèse au cobalt, mais également importante du point de vue de la biodiversité, et très vulnérable à l’intervention humaine. La pollution sonore due à l’activité de cette dernière pourrait se propager dans l’océan sur des centaines de kilomètres, créant un « cylindre sonore » de la surface au fond de la mer qui pourrait affecter les créatures océaniques.
Des chercheurs de l’université d’Hawaï, de l’Oceans Initiative, de l’université Curtin (Australie) et de l’Institut national des sciences et technologies industrielles avancées (Japon) ont découvert que le bruit d’une seule mine en eaux profondes pouvait se propager sur 500 kilomètres dans des conditions météorologiques clémentes, les impacts cumulés de plusieurs mines s’additionnant.
Dix-sept sociétés étudient actuellement la possibilité d’exploiter des mines dans la zone de Clarion-Clipperton (CCZ), une zone qui s’étend sur 4,5 millions de kilomètres carrés entre le Mexique et Hawaï. La zone comporte de nombreux amas riches en minéraux, appelés nodules polymétalliques, qui seraient extraits par des machines gigantesques.
Localisation de la zone Clarion Clipperton. (Wikimedia)
Selon les chercheurs, si chaque entreprise ouvre une seule mine, une zone de 5,5 millions de kilomètres carrés serait soumise à des niveaux de bruit élevés. Cela pourrait avoir des conséquences incalculables sur les espèces sensibles au bruit, comme les baleines, et compromettre les efforts visant à préserver des zones sans impact minier afin de les utiliser pour des comparaisons scientifiques.
Schéma de l’exploitation des nodules de manganèse dans les grands fonds marins. (Oebius et col (2001))
Représentation de l’impact de l’activité humaine sur les espèces vivant à différentes profondeurs. (Oceans Initiative)
Selon Rob Williams, cofondateur d’Oceans Initiative :
Ce qui m’a le plus surpris, c’est la facilité avec laquelle le bruit d’une ou deux mines seulement pourrait avoir un impact sur les zones voisines qui ont été mises de côté comme témoins expérimentaux. Avec autant d’inconnues, nous avons besoin d’une comparaison minutieuse de ces zones de référence de préservation avec les sites où l’exploitation minière a lieu.
Alors que les sociétés minières testent déjà des prototypes à plus petite échelle de systèmes d’exploitation minière en eaux profondes, elles n’ont pas encore partagé leurs données sur la pollution sonore sous-marine. Les chercheurs ont donc dû utiliser les niveaux sonores d’autres activités industrielles mieux étudiées, telles que les dragues côtières et les navires de l’industrie pétrolière et gazière, comme substituts.
Pour Andrew Friedman, directeur du projet Pew sur l’exploitation minière des fonds marins, les niveaux sonores réels de l’exploitation minière en eaux profondes seront probablement différents une fois que les données réelles seront disponibles, mais qu’il est plus probable qu’ils soient plus élevés que les données de substitution. Cela s’explique par le fait que l’équipement d’exploitation minière des fonds marins est beaucoup plus grand et plus puissant que les données de substitution utilisées pour l’étude. Il s’agit donc d’une estimation prudente qui sera probablement bien pire dans la réalité si l’exploitation minière en eaux profondes obtient le feu vert.
Mais même cette estimation prudente est préoccupante. Les chercheurs ont constaté que les niveaux de bruit dans un rayon de 4 à 6 kilomètres de chaque mine pourraient dépasser les seuils fixés par le National Marine Fisheries Service (Service national de la Pêche maritime) des États-Unis, au-delà desquels il existe des risques d’impact sur les mammifères marins. Les espèces de mammifères marins, connues pour être sensibles au bruit, peuvent se trouver dans toute la zone de Clarion-Clipperton.
Il s’agit par exemple des baleines à fanons migratrices et menacées (Mysticeti) et des cétacés à dents plongeant en profondeur (Odontoceti), mais la liste est bien plus longue. Les espèces des profondeurs, dont nous ne savons pas grand-chose, utiliseraient les sons et les vibrations pour communiquer, naviguer et détecter les prédateurs en l’absence de lumière solaire. Selon les chercheurs, le bruit perturberait probablement leurs écosystèmes, à un niveau que nous ne connaissons pas encore.
C’est pourquoi tant de personnes sont convaincues que l’exploitation minière en eaux profondes ne devrait même pas commencer avant que nous puissions évaluer les risques environnementaux qui y sont associés.
En 2019, la nation insulaire de Nauru a invoqué une règle de l’ONU qui pourrait obliger l’Autorité internationale des fonds marins, l’organisation qui réglemente l’exploitation minière dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale, à achever la réglementation qui permettrait l’exploitation minière d’ici 2023. Cette décision a été prise en dépit des préoccupations des scientifiques et des ONG, qui affirment que les connaissances scientifiques sur l’exploitation minière en eaux profondes sont encore insuffisantes.
Selon Travis Washburn, auteur de l’étude :
Les profondeurs marines abritent potentiellement des millions d’espèces qui n’ont pas encore été identifiées, et les processus qui s’y déroulent permettent à la vie sur Terre d’exister. Avec une étude et une gestion minutieuses, nous avons une occasion unique de comprendre et d’atténuer les impacts humains sur l’environnement avant qu’ils ne se produisent.
L’étude publiée dans Science : Noise from deep-sea mining may span vast ocean areas et présentée sur le site de l’Oceans Initiative : New research finds deep-sea mining noise pollution will stretch hundreds of miles et le site de l’Université Curtin.