Les Incas droguaient de jeunes enfants pour les calmer avant de les sacrifier
L’Empire inca était sans doute l’État le plus puissant des Amériques précolombiennes. Les ruines de cette civilisation autrefois puissante, les objets trouvés par les archéologues depuis des années et les témoignages des conquistadors espagnols parlent de richesses inouïes. Cependant, la richesse de l’Inca fut acquise par le sang de son peuple, des milliers de personnes étant sacrifiées sur des autels pour apaiser les dieux, des dieux qui se nourrissaient apparemment du sang des purs.
Image d’entête : une des momies impliquées dans l’étude, découverte en 1995. (Johan Reinhard)
La plupart des sacrifices humains concernaient des adolescents ou des enfants, qui recevaient parfois des drogues hallucinogènes. L’impression générale des spécialistes est que les victimes prenaient des drogues pour entrer en contact avec les forces surnaturelles pour lesquelles elles étaient sur le point de donner leur vie.
Cependant, une nouvelle étude qui a trouvé des traces de feuilles de coca et de l’ayahuasca, un puissant hallucinogène, est arrivée à une conclusion totalement différente. Plutôt que de les préparer à un “contact” avec l’un des centaines de « huacas » (dieux incas), les auteurs pensent que les victimes de sacrifices humains étaient droguées pour les rendre moins anxieuses et plus dociles à l’approche d’une mort certaine.
Au milieu des années 1990, des randonneurs escaladant le volcan Ampato, dans le sud du Pérou, ont trouvé les corps momifiés d’une adolescente inca et de deux autres petites filles, âgées de 6 à 7 ans.
Des examens ultérieurs des momies ont permis de conclure qu’elles étaient toutes victimes de sacrifices humains. Le volcan est un important site de culte dans la culture andine et incarnait l’une des huacas incas. Le fait que les momies aient été trouvées à une altitude de plus de cinq kilomètres suggère qu’elles sont mortes dans des circonstances très inhabituelles. Enfin, les restes des enfants ont été trouvés parmi des objets précieux, notamment des récipients en céramique, des vêtements finement décorés et des figurines en or et en argent.
Tout dans ces momies indique qu’elles ont été victimes d’un sacrifice, ce qui a fasciné les archéologues pendant des années. Mais ce n’est que récemment que des scientifiques ont effectué une analyse chimique des restes, et les résultats ont été assez choquants.
Selon le rapport toxicologique, les momies d’Ampato contenaient des composés chimiques présents dans les feuilles de coca, la plante utilisée pour la fabrication de la cocaïne, et dans l’ayahuasca, l’une des drogues hallucinogènes les plus puissantes au monde.
Les chercheurs ont trouvé des composés chimiques provenant de feuilles de coca et d’ayahuasca à l’intérieur des restes momifiés d’enfants sacrifiés par les Incas. (Dagmara Socha)
À l’époque où les conquistadors espagnols sont arrivés sur le continent américain au XVIe siècle, l’Empire inca était à l’apogée de sa puissance. Bien que leur empire n’ait existé qu’une centaine d’années avant d’être interrompu par les Espagnols, les Incas ont réussi à créer 26 000 kilomètres de routes, à régner sur 10 millions de personnes et à imposer leur langue et leur culture d’un bout à l’autre des Andes. Dans un sens très réel, les Incas étaient les « Romains » du Nouveau Monde et, comme les Romains, ils étaient de fantastiques bâtisseurs d’empire.
L’un de leurs plus importants outils pour affirmer leur contrôle politique sur les vastes territoires qui s’étendaient dans les Andes était les cérémonies religieuses et aucune n’était plus importante que la Capacocha, un rituel macabre qui impliquait des sacrifices humains.
Bien que les Incas n’aient laissé aucun document écrit, les archéologues ont réussi à reconstituer une image de ce qu’impliquait la Capacocha en combinant des documents historiques des conquistadors, qui doivent être pris avec des pincettes, car il s’agissait d’envahisseurs qui avaient tout intérêt à donner une mauvaise image de leurs vaincus, des récits oraux transmis de génération en génération par les populations indigènes et des preuves archéologiques.
Nous savons, par exemple, que les sacrifices humains concernaient le plus souvent des jeunes femmes et des enfants, que le peuple inca jugeait purs et intacts, et donc dignes des dieux. Les candidates de choix étaient des femmes belles et vierges, qui étaient logées à l’écart du commun des mortels en attendant le jour où elles seraient sacrifiées par les prêtres.
Les enfants destinés au grand honneur d’être sacrifiés aux dieux devaient se rendre à Cusco, la capitale, où ils étaient accueillis par l’empereur lui-même. Il s’agissait toutefois d’un voyage ardu, qui pouvait durer des mois.
Selon certains récits, les enfants étaient amenés au sommet d’une montagne, la maison des huacas. Pendant la capacocha, le cœur des enfants était arraché de leur poitrine, une image macabre que certains reconnaîtront peut-être dans le film Apocalypto, nominé aux Oscars (qui mettait en scène des Mayas et non des Incas).
Cependant, les momies d’Ampato ne montrent aucun signe de coupure ou de pénétration. Il est plus probable qu’elles aient été étranglées, enterrées vivantes ou même tuées par le froid extrême qui règne au sommet des Andes.
Tuer des enfants innocents nous semble barbare et cruel, mais les Incas étaient convaincus que les sacrifices empêchaient les sécheresses, les famines, les éruptions volcaniques et toutes sortes de catastrophes naturelles provoquées par les dieux.
La nature humaine ne permettait pas aux Incas de tuer leurs propres enfants, sauf s’ils pensaient que les récompenses étaient dans l’intérêt de la société en général ou qu’ils pensaient que les enfants étaient envoyés dans un endroit meilleur. Les Incas n’étaient pas les seuls non plus, les Celtes d’Irlande et de Grande-Bretagne faisaient fréquemment des sacrifices humains à leurs dieux, tout comme les Mongols, les Scythes, les premiers Égyptiens et divers groupes méso-américains, qui pratiquaient tous des sacrifices humains, pour une raison ou une autre.
Les Espagnols ont prétendu que les Incas utilisaient les feuilles de coca comme médicament pour traiter diverses maladies et réduire la sensation de faim. Il semblerait également que les Incas utilisaient l’ayahuasca, une puissante boisson hallucinogène préparée à partir de plantes tropicales locales, qui peut provoquer des expériences de mort imminente pour améliorer l’humeur, préparer les soldats au combat et communiquer avec les dieux.
Toutefois, ce n’est que récemment que des chercheurs dirigés par Dagmara Socha, bioarchéologue au Centre d’études andines de l’université de Varsovie, ont pu confirmer que l’ayahuasca était effectivement utilisé lors des cérémonies.
L’analyse toxicologique des momies de la montagne sacrée a révélé la présence de feuilles de coca et d’harmine, une substance qui bloque la dégradation de la sérotonine et de la dopamine, régulatrices de l’humeur, et qui est utilisée à ce jour pour traiter la dépression. L’harmine est l’un des composants de l’ayahuasca, ce qui constitue la première preuve archéologique de l’utilisation de ce breuvage psychédélique par les Incas.
L’utilisation combinée des feuilles de coca et de l’harmine, qui produisent des sentiments extatiques mais n’induisent pas d’hallucinations, suggère que les victimes étaient droguées pour les rendre plus dociles au rituel. Comme les enfants étaient considérés comme un cadeau pour les dieux, ils devaient avoir l’air bien nourris et bien habillés, beaux et, surtout, heureux.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Les chroniqueurs ont mentionné l’importance de l’humeur des victimes. Les Incas ont peut-être consciemment utilisé les propriétés antidépressives de Banisteriopsis caapi pour réduire l’anxiété et les états dépressifs des victimes.
L’étude publiée dans le Journal of Archaeological Science : Ritual drug use during Inca human sacrifices on Ampato mountain (Peru): Results of a toxicological analysis et annoncée sur le site du Centre d’études andines de l’Université de Varsovie : New article « Ritual drug use during Inca human sacrifices on Ampato mountain (Peru): Results of a toxicological analysis ».