La psilocybine des champignons hallucinogènes reconnecte le cerveau des personnes dépressives
Ces dernières années, les substances psychédéliques telles que la psilocybine, le principal ingrédient actif des champignons hallucinogènes, ont donné de l’espoir à de nombreuses personnes souffrant de dépression résistante au traitement. Il semble que ces substances puissent « activer » des réseaux cérébraux trop rigides, mais on ne sait pas vraiment comment cela se produit.
Dernièrement, une nouvelle étude portant sur la cartographie du cerveau, menée par un groupe de chercheurs renommés dans le domaine des psychédéliques, nous permet de mieux comprendre comment la psilocybine agit sur le cerveau, en » dissolvant » puis en élargissant les connexions cérébrales.
Selon l’étude, certaines parties du cerveau des personnes déprimées devenaient plus interconnectées et plus flexibles après deux doses de psilocybine, et ces changements duraient jusqu’à 3 semaines après le traitement.
Selon le neuropsychopharmacologue David Nutt de l’Imperial College London (ICL/ Royaume-Uni) :
Ces résultats sont importants. Pour la première fois, nous constatons que la psilocybine agit différemment des antidépresseurs classiques, en rendant le cerveau plus souple et plus fluide, et moins ancré dans les schémas de pensée négatifs associés à la dépression.
De nombreux peuples indigènes utilisent depuis longtemps les champignons hallucinogènes et d’autres plantes pour leurs propriétés curatives et hallucinogènes.
Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que l’on assiste à une recrudescence prudente de la recherche clinique, sous l’impulsion des chercheurs à l’origine de cette dernière étude, afin de déterminer si la psilocybine peut contribuer à soulager la dépression et l’anxiété et, plus généralement, comment les drogues psychédéliques affectent le cerveau.
Champignons Psilocybe connus pour leur effet psychotrope dû à la présence de la psilocybine et de psilocine. (Imperial College London)
L’année dernière, un petit essai historique mené par Nutt et ses collègues a montré que la psilocybine associée à une thérapie psychologique était au moins aussi efficace que la prise d’un antidépresseur courant, l’escitalopram, un médicament qui s’accompagne souvent d’effets secondaires importants tels que la prise de poids, le manque de libido et l’insomnie.
Dans une étude d’imagerie cérébrale menée en 2018 auprès de 20 personnes présentant des symptômes dépressifs, la psilocybine semblait également améliorer la réponse émotionnelle des personnes, plutôt que de l’émousser comme les antidépresseurs ont tendance à le faire.
Mais le fait d’observer des effets positifs chez de petits groupes de personnes est une chose, démêler ce qui se passe dans le cerveau est un tout autre défi et, jusqu’à présent, les mécanismes d’action de la psilocybine dans le cerveau sont restés mal compris.
En analysant les scanners cérébraux de près de 60 personnes souffrant de dépression clinique et ayant participé à deux précédents essais, Nutt et ses collègues ont constaté que les personnes recevant de la psilocybine présentaient une plus grande connectivité entre les régions cérébrales riches en récepteurs de sérotonine et habituellement séparées chez les patients déprimés.
L’effet était « rapide, soutenu » et le plus fort chez les personnes qui ont déclaré que leur système dépressif s’était atténué. Leurs réseaux cérébraux étaient mieux interconnectés et plus flexibles, un jour après le traitement et, chez certaines personnes, trois semaines plus tard.
Aucun changement de ce type n’a été observé chez les personnes sous antidépresseurs, qui ciblent également les récepteurs de la sérotonine.
Selon Nutt :
Cela confirme nos prédictions initiales et confirme que la psilocybine pourrait être une véritable approche alternative aux traitements de la dépression.
Les résultats font écho à une étude récente de 2020 qui a signalé de façon similaire des changements dans la connectivité du réseau cérébral jusqu’à un mois après une dose unique de psilocybine, mais bien sûr, il faut encore beaucoup de recherches.
Selon le neuroscientifique Robin Carhart-Harris, également du Centre de recherche sur les psychédéliques de l’ICL :
Nous ne savons pas encore combien de temps durent les changements dans l’activité cérébrale observés avec le traitement à la psilocybine et nous devons mener d’autres recherches pour le comprendre.
Nous savons que certaines personnes rechutent, et il se peut qu’après un certain temps, leur cerveau revienne aux schémas d’activité rigides que nous observons dans la dépression.
Bien que ces résultats soient fascinants, surtout pour ceux d’entre nous qui sont aux prises avec des pensées ruminantes, qui gèrent des problèmes de santé mentale ou qui sont simplement curieux de savoir comment notre cerveau fonctionne, nous devons aussi nous rappeler qu’il s’agit des débuts de la recherche, dans laquelle les sujets ont reçu de la psilocybine dans un environnement contrôlé, avec le soutien de professionnels de la santé mentale qui les ont aidés à parler de leurs éventuelles hallucinations.
Il ne s’agit également que d’une interprétation possible, à partir de deux essais de petite taille, mais de grande qualité, de ce qui peut être une expérience qui change profondément la vie et peut être effrayante. D’autres études portant sur le fonctionnement de la psilocybine dans le cerveau ont laissé entendre qu’elle pouvait dissoudre l’ego, et nous n’avons pas encore commencé à comprendre pourquoi certaines personnes bénéficient d’une thérapie à la psilocybine et pas d’autres.
De plus, les personnes ayant des antécédents de psychose ont été exclues des essais pour des raisons de sécurité, de sorte qu’il y a malheureusement des personnes qui pourraient ne pas en bénéficier et avoir besoin d’autres soins.
Néanmoins, les chercheurs espèrent que ces résultats jetteront les bases d’autres recherches sur le potentiel de la psilocybine pour traiter d’autres maladies mentales, également marquées par des schémas de pensée rigides.
Pour Carhart-Harris :
L’une des implications passionnantes de nos résultats est que nous avons découvert un mécanisme fondamental par lequel la thérapie psychédélique fonctionne non seulement pour la dépression, mais aussi pour d’autres maladies mentales, comme l’anorexie ou la dépendance. Nous devons maintenant vérifier si c’est le cas, et si c’est le cas, alors nous avons trouvé quelque chose d’important.
L’étude publiée dans Nature Medicine : Increased global integration in the brain after psilocybin therapy for depression et présentée sur le site de l’Imperial College London : Magic mushroom compound increases brain connectivity in people with depression.