Pieuvres et poulpes utilisent de plus en plus nos déchets comme abri
Les déchets humains sont devenus si omniprésents dans l’océan qu’il devient plus facile pour les pieuvres et poulpes de s’y abriter que dans les coquillages ou les coraux.
Un examen des photographies et vidéos sous-marines du monde entier a permis de dénombrer 24 espèces de céphalopodes qui ont élu domicile dans des déchets marins.
Depuis des années, des plongeurs et des scientifiques ont observé des pieuvres pondre leurs œufs sur du plastique marin ou du matériel de pêche abandonné. Certaines de ces créatures intelligentes ont même été surprises en train d’utiliser des bouteilles en verre, des pots en céramique, des tuyaux métalliques, des boîtes de conserve rouillées ou des gobelets en plastique pour se faire un toit.
À bien des égards, la reproduction et la survie des pieuvres sont aujourd’hui tributaires des caprices de nos déchets. Comme le notent les chercheurs dans leur étude (lien plus bas), dans les zones où les touristes humains ont ramassé trop de coquillages, les céphalopodes de tous âges ont été contraints de s’adapter ou de périr.
Pieuvre dans une bouteille en verre. (Steven Trainoff Ph.D)
Les déchets humains constituent une alternative utile aux formes naturelles de protection, mais les chercheurs s’inquiètent de ce qui se passera si ces créatures intelligentes deviennent trop dépendantes de nos déchets pour trouver refuge.
Selon les auteurs de l’étude, dirigée par des biologistes marins de l’université fédérale de Rio Grande, au Brésil :
Tout effet positif apparent pourrait également avoir plusieurs conséquences néfastes et indirectes.
Certains déchets, par exemple, pourraient exposer les pieuvres à des produits chimiques toxiques ou à des métaux lourds.
L’une des photos recueillies dans le cadre de l’étude montre d’ailleurs une pieuvre s’accrochant à une batterie fortement dégradée, considérée comme un « type de débris très polluant ». L’enchevêtrement est également un sujet de préoccupation, de même que les dommages physiques causés par les bords tranchants.
Les auteurs notent que certaines espèces récemment décrites, comme la pieuvre pygmée du Brésil (Paroctopus cthulu), n’ont jamais été observées qu’à l’abri de la litière. Il n’existe aucune trace officielle de cette espèce utilisant des objets naturels comme les coquillages pour s’abriter, probablement en raison de la rareté de ce matériau dans son environnement.
A la place, la pieuvre pygmée du Brésil s’abrite principalement dans des canettes de bière qui sont régulièrement jetées par-dessus bord par les bateaux touristiques. Même lorsque les plongeurs de cette région viennent nettoyer les déchets marins, ils ne réalisent souvent pas que les canettes qu’ils ramassent cachent des pieuvres à l’intérieur. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des pieuvres pygmées errant sur les bateaux de plongée après ces opérations.
Un plongeur montre une pieuvre à l’intérieur d’une canette de bière après avoir collecté des déchets plastiques et d’autres articles sur la plage de San Nicolas à Adra, près d’Almeria. (Jorge Guerrero/ AFP)
Au total, les auteurs de la présente étude ont pu rassembler 261 images et vidéos sous-marines de pieuvres interagissant avec des déchets marins. La plupart des photographies et des vidéos ont été recueillies sur les médias sociaux avec l’autorisation des auteurs originaux, mais certaines ont également été fournies par des scientifiques et des institutions de recherche marine.
En fait, grâce aux séquences filmées par des véhicules télécommandés, les chercheurs ont découvert que même les pieuvres des profondeurs de la Méditerranée se servent des déchets qui coulent, ce qui est une première pour les chercheurs.
Les auteurs ont constaté que les observations d’interactions pieuvre/ déchets avaient augmenté au cours des dernières années, la plupart des enregistrements ayant eu lieu entre 2018 et 2021. Cela pourrait être dû au fait que les photographies sous-marines sont plus faciles à prendre aujourd’hui, mais cela pourrait aussi être un signe que le problème des déchets marins s’aggrave.
A partir de l’étude : exemples de pieuvres interagissant avec des déchets marins. (Tainah B.N.Freitas et col./ Marine Pollution Bulletin)
Selon les chercheurs :
Malgré ces descriptions, peu d’études ont porté sur les interactions entre les céphalopodes et les déchets marins, et les informations scientifiques sur ce sujet ont à peine été actualisées au cours des dernières décennies.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires, mais cette première analyse a révélé quelques résultats importants. Les auteurs s’attendaient à ce que le plastique soit le matériau le plus couramment utilisé par les pieuvres, alors qu’en fait, un peu plus de 40 % des interactions entre les pieuvres concernaient des bouteilles en verre et celles-ci étaient principalement utilisées comme abri.
En comparaison, environ 24 % des interactions avec les pieuvres concernaient le plastique, et les créatures avaient tendance à s’asseoir sur ces matériaux ou à s’y enfouir, plutôt que de s’y cacher.
Le verre est beaucoup plus difficile à briser, mais il coule aussi plus facilement, ce qui pourrait le rendre plus attrayant pour les créatures des fonds marins. De plus, les goulots d’étranglement du verre rendent l’accès à l’intérieur beaucoup plus difficile pour les prédateurs affamés.
Selon les chercheurs :
De plus, la texture du verre pourrait être plus proche que celle du plastique de la texture interne des coquillages, ce qui contribue à son utilisation comme abri.
Dans cette étude, l’espèce la plus fréquemment observée ayant interagi avec nos déchets semble être le poulpe Amphioctopus marginatus. Cette espèce recouvre généralement sa tête et son corps d’une coquille ou d’une forteresse de noix de coco, tout en permettant à ses pattes de ramper sur le fond marin pour se nourrir.
Poulpe Amphioctopus marginatus dans une bouteille en verre cassée. (WhitcombeRD)
C’est ce que l’on appelle la « marche sur échasses » et, dans l’étude, neuf cas de pieuvres utilisant des déchets humains pour ce faire ont été recensés.
Les coquillages sont devenus si rares et les déchets humains si communs que cinq images montrent des pieuvres en compétition les unes avec les autres pour un abri artificiel.
L’étude publiée dans la revue Marine Pollution Bulletin : In an octopus’s garden in the shade: Underwater image analysis of litter use by benthic octopuses.