D’immenses chaines de montagnes auraient boosté l’évolution de la vie sur Terre
Des chercheurs australiens ont trouvé des preuves que des “super-montagnes”, aussi hautes que l’Himalaya et aussi larges que des supercontinents, se sont formées à deux moments critiques de l’évolution de la vie.
Image d’entête : la chaîne de montagnes Tien Shan, vue depuis la station spatiale internationale en 2013. (NASA)
Selon Ziyi Zhu, candidate au doctorat à l’Université nationale australienne (ANU) :
Il n’y a rien de comparable à ces deux supermontagnes aujourd’hui. Ce n’est pas seulement leur hauteur, si vous imaginez l’Himalaya, long de 2 400 km, répété trois ou quatre fois, vous avez une idée de l’échelle.
Zhu est l’auteur principal d’une nouvelle étude (lien plus bas), dans laquelle elle et ses collègues ont utilisé des zircons pour suivre la date de formation de ces énormes montagnes.
Leurs conclusions cadrent avec ce que nous savons du cycle des supercontinents : l’idée que le pouls le plus fondamental de la planète est la formation et l’éclatement des continents en supercontinents. Ce cycle semble se dérouler sur 700 à 800 millions d’années, et les dates de formation de ces super-montagnes correspondent au moment où les continents s’effondraient pour former des supercontinents.
Le premier exemple, appelé la super-montagne de Nuna, du nom du supercontinent qui se formait à l’époque, date d’il y a entre 2 000 et 1 800 millions d’années.
Selon Zhu :
Il coïncide avec l’apparition probable des eucaryotes, des organismes qui ont ensuite donné naissance aux plantes et aux animaux.
La seconde, connue sous le nom de super-montagne transgondwanienne, coïncide avec l’apparition des premiers grands animaux il y a 575 millions d’années et l’explosion cambrienne 45 millions d’années plus tard, lorsque la plupart des groupes d’animaux sont apparus dans les archives fossiles.
Selon le coauteur, le professeur Jochen Brocks, également de l’ANU :
Ce qui est stupéfiant, c’est que l’ensemble de l’enregistrement de la construction des montagnes à travers le temps est si clair. Il montre ces deux énormes pics : l’un est lié à l’émergence des animaux et l’autre à l’émergence des grandes cellules complexes.
Cette étude vient s’ajouter au nombre croissant de preuves que les montagnes ont joué un rôle crucial dans l’apparition de la vie sur Terre, une idée proposée pour la première fois dans une étude publiée en 2006.
Alors comment les montagnes peuvent-elles influencer l’évolution ? Tout est dans l’érosion.
Lorsque les montagnes se forment, elles font remonter à la surface des éléments provenant des profondeurs de la Terre. Puis, lorsque la pluie, le vent et les glaciers érodent les sommets pendant des millénaires, ces éléments, comme le fer et le phosphore, sont libérés et se frayent un chemin à travers les rivières jusqu’à l’océan.
Cela contribue à alimenter des systèmes tels que le climat et le cycle du carbone, ainsi qu’à fournir des nutriments essentiels au développement de la vie.
On pense que pendant une longue période de l’histoire de la planète, la vie a été « retenue » parce que les nutriments dont elle avait besoin pour se développer n’étaient pas en abondance. Par exemple, les eucaryotes sont apparus sur Terre il y a environ 1,7 milliard d’années, mais n’ont commencé à dominer qu’il y a environ 800 millions d’années. Cet intervalle de temps est connu sous le nom de « milliard ennuyeux« , car l’évolution n’a pratiquement pas progressé.
Selon le coauteur de l’étude, le professeur Ian Campbell de l’ANU :
Le ralentissement de l’évolution est attribué à l’absence de super-montagnes pendant cette période, ce qui a réduit l’apport de nutriments aux océans.
Cette idée est soutenue par de précédentes recherches, qui ont également suggéré que la raison de ce hiatus est l’absence de formation de montagnes.
Ensuite, lorsque la tectonique des plaques a brisé les plaques en supercontinents et propulsé d’énormes chaînes de montagnes au-dessus de la surface, un nouveau cycle d’érosion a fourni les ingrédients clés dont la vie avait besoin pour prendre son essor. Ces nutriments ont peut-être augmenté les niveaux d’oxygène dans l’atmosphère.
Selon Zhu :
L’atmosphère de la Terre primitive ne contenait presque pas d’oxygène. On pense que les niveaux d’oxygène atmosphérique ont augmenté en une série d’étapes, dont deux coïncident avec les super-montagnes. L’augmentation de l’oxygène atmosphérique associée à l’érosion de la super-montagne du Transgondwana est la plus importante de l’histoire de la Terre et elle fut une condition préalable essentielle à l’apparition des animaux.
Zhu et ses collègues ont examiné des zircons : des minéraux résistants qui sont comme des capsules temporelles cristallines. Il est important de noter que lorsqu’ils se forment, ils agissent comme des « éponges » pour de nombreux éléments différents. Ils contiennent beaucoup de petites traces de bon nombre d’éléments différents, comme des éléments de terres rares, de l’uranium et toutes sortes de choses. Si vous trouvez différentes concentrations d’éléments dans les zircons, cela peut vous renseigner sur la façon dont il s’est formé.
Zhu et son équipe ont examiné des zircons présentant une faible teneur en lutécium, un élément lourd des terres rares. Ils affirment que les zircons sont appauvris en lutécium en raison de l’environnement dans lequel ils se sont développés, dans une « soupe » de magma à haute pression située sous un volcan dans une chaîne de montagnes.
Là, le lutécium aurait flotté avec d’autres éléments. Divers minéraux se seraient développés, chacun absorbant des concentrations différentes des éléments disponibles. L’étude affirme que le zircon se développait en concurrence avec le grenat, qui aurait absorbé pas mal de lutécium. Le grenat ne peut se développer en quantités significatives que dans des environnements à très haute pression, comme ceux qui se trouvent sous le poids de grandes montagnes.
Il existe un certain nombre d’indices chimiques différents indiquant de l’existence d’immenses chaînes de montagnes à cette époque, mais il est possible de vérifier et d’améliorer ces nouvelles données.
L’étude portait sur des grains de zircon provenant d’un ensemble de données mondiales, qui n’étaient pas rattachés à un lieu précis. L’une des façons de vérifier leurs résultats est de rechercher ces zircons in situ, à l’emplacement présumé d’une ancienne chaîne de montagnes.
Les roches qui se sont formées au pied de ces montagnes sont exposées et les chercheurs peuvent déterminer les pressions qu’elles ont subies lors de leur formation, puis de calculer la quantité de roches qui se trouvaient au-dessus d’elles et la hauteur des montagnes à cette époque. Cette méthode pourrait être un moyen indépendant de vérifier l’existence de ces super-montagnes, et permettrait de cartographier l’emplacement réel de ces montagnes à la surface de la Terre.
Une fois que l’on peut commencer à cartographier l’emplacement de ces montagnes, on peut commencer à les intégrer dans les modèles climatiques globaux utilisés actuellement et essayer de remonter dans le temps.
Un certain nombre d’équipes de recherche différentes travaillent sur ce sujet en ce moment, essayant de modéliser ce à quoi le monde ressemblait à l’époque, et ainsi voir comment les processus géologiques ont influencé les processus de surface comme la biologie et la chimie.
L’étude publiée dans la revue Earth and Planetary Science Letters : The temporal distribution of Earth’s supermountains and their potential link to the rise of atmospheric oxygen and biological evolution et présentée sur le site de l’Université nationale australienne : Supermountains controlled the evolution of life on Earth.