D’invasifs vers plats à tête de marteau commencent à conquérir l’Europe et l’Afrique
Des chercheurs ont décrit deux espèces de vers présentant un aspect caractéristique de “tête de marteau”. Ces vers, découverts dans certaines régions d’Europe et d’Afrique, sont probablement des espèces envahissantes et pourraient perturber la biodiversité des sols.
Image d’entête : le ver plat à tête de marteau Humbertium covidum trouvé en Italie. (Pierre Gros)
À mesure que le monde se globalise, des espèces sont introduites d’une partie du monde à l’autre. Ces espèces « exotiques » ont le potentiel d’envahir le nouvel écosystème dans lequel elles sont introduites et, bien souvent, lorsqu’on se rend compte qu’il y a un problème, il n’y a plus grand-chose à faire.
Souvent, on ne remarque même pas ces espèces invasives, à moins d’être très attentif et c’est exactement le cas ici.
Une équipe internationale dirigée par le professeur Jean-Lou Justine de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB) du Muséum national d’histoire naturelle (Paris, France) a décrit deux nouvelles espèces de vers plats à tête de marteau. Il s’agit de la première étude de ces espèces, bien que les vers plats aient envahi l’Europe depuis un certain temps.
Les chercheurs ont d’abord été surpris de constater que certaines des espèces qui envahissaient l’Europe, un endroit où la biodiversité est censée être bien connue, n’avaient même pas de nom. Ce fut le cas de l’Obama nungara , une espèce décrite seulement en 2016. Les chercheurs ne lui ont pas donné de nom à l’époque, bien qu’ils l’aient décrit dans une étude publiée en 2020. Le nom Obama est formé par une composition des mots tupi oba (feuille) et ma (animal), une référence à la forme de son corps.
C’est également le cas pour les deux nouvelles espèces décrites dans ce document, elles n’avaient pas de nom et n’ont jamais été décrites dans leur pays d’origine.
Les vers plats à tête de marteau sont des créatures prédatrices, tout comme leurs homonymes requins. Ils peuvent suivre leurs proies (généralement d’autres vers ou mollusques), et présentent une forme distinctive sur la région de leur tête, ce qui les aide à ramper sur le sol.
Un certain nombre de vers marteaux ont été décrits par les scientifiques mais, dans de nombreux cas, les chercheurs ne les décrivent pas dans leur pays d’origine, mais les trouvent dans des pays qu’ils ont déjà envahis. Par exemple, deux espèces précédemment décrites (Bipalium pennsylvanicum et Bipalium adventitium) sont originaires d’Asie mais elles ont d’abord été signalées aux États-Unis. Les deux espèces les plus récentes suivent la même tendance.
La première nouvelle espèce a été baptisée Humbertium covidum, en hommage aux victimes du COVID-19, mais aussi parce qu’une grande partie du travail a été effectuée pendant le confinement.
Humbertium covidum, un ver à tête de marteau invasif trouvé en Italie. (Pierre Gros)
Le ver a été trouvé dans deux jardins des Pyrénées-Atlantiques (France) et également en Vénétie (Italie). Bien que certains vers à tête de marteau puissent atteindre un mètre, celui-ci est petit (3 cm) et semble uniformément noir métallique, une couleur inhabituelle chez les vers plats à tête de marteau.
Ces créatures ne sont pas faciles à caractériser sur la base de leur seule morphologie. Les chercheurs ont donc décidé de recourir à l’analyse génétique mitochondriale, qui peut fournir de nombreuses informations sur l’origine de cette espèce et sur les autres espèces auxquelles elle est apparentée. Cette espèce semble être originaire d’Asie et elle est potentiellement invasive. En analysant le contenu de son estomac, les chercheurs ont également découvert qu’elle se nourrit d’escargots.
La deuxième espèce, Diversibipalium mayottensis, n’a été trouvée qu’à Mayotte. L’espèce est aussi petite que l’autre, mais au lieu d’un noir métallique, elle présente une spectaculaire iridescence vert-bleu.
Diversibipalium mayottensis, une espèce invasive de ver à tête de marteau trouvée à Mayotte. (Laurent Charles)
D’après les analyses génétiques, cette espèce semble appartenir à un « groupe frère » de tous les autres vers plats à tête de marteau, ce qui signifie qu’elle pourrait aider les chercheurs à comprendre comment ces créatures ont évolué. Son origine pourrait être Madagascar, mais ce n’est pas tout à fait clair. On peut supposer qu’à un moment donné dans le passé, des personnes ont apporté des plantes de Madagascar et, sans le savoir, ont également apporté le ver.
Tous les vers plats terrestres sont généralement transportés avec des plantes en pot. Pour l’espèce d’Europe, Humbertium covidum, il est probable que l’espèce ait été transportée ces dernières années, depuis l’Asie, avec une plante importée. Pour l’espèce à Mayotte, Diversibipalium mayottensis, il est probable qu’elle vienne de Madagascar, mais le transport a pu se faire il y a longtemps, peut-être même il y a des siècles, par des échanges traditionnels entre les îles de cette partie de l’Afrique.
Si la découverte de nouvelles espèces est généralement une bonne nouvelle, ce n’est pas forcément le cas ici. Ces vers plats représentent probablement de mauvaises nouvelles, surtout s’ils ne se trouvent pas dans leur environnement naturel. Par exemple, une étude a révélé qu’une seule espèce de ver de la Nouvelle-Zélande est devenue envahissante au Royaume-Uni, et lorsqu’elle s’est établie, la biomasse des vers de terre a diminué de 20 %.
L’étude s’accompagne d’un avertissement clair : les espèces envahissantes sont probablement plus répandues que nous ne le pensons. Rien qu’aux États-Unis, on estime que les espèces envahissantes causent des dommages de l’ordre de 120 milliards de dollars, et ce chiffre est susceptible d’augmenter à mesure que le monde devient de plus en plus interconnecté. Malheureusement, lorsqu’il s’agit de lutter contre les vers marteaux envahissants, la prévention est à peu près notre seule arme.
L’étude publiée dans PeerJ : Hammerhead flatworms (Platyhelminthes, Geoplanidae, Bipaliinae): mitochondrial genomes and description of two new species from France, Italy, and Mayotte et présentée sur le site du Muséum national d’histoire naturelle : Humbertium covidum : le nouveau ver qui menace nos jardins.