Fusion nucléaire : le soleil artificiel chinois a atteint une température de 120 millions de degrés pendant 1 056 secondes
Bonne nouvelle pour les progrès de la fusion et nouveau record mondial pour l’Académie chinoise des sciences : son tokamak supraconducteur expérimental (EAST pour Experimental Advanced Superconducting Tokamak), ou « soleil artificiel », a maintenu une température de 70 millions de degrés Celsius pendant 1 056 secondes.
Le plasma à haute température est un élément essentiel de nombreuses initiatives à grande échelle en matière de fusion énergétique, qui tentent de reproduire certaines des conditions qui font du Soleil un réacteur de fusion nucléaire suffisamment puissant pour réchauffer notre système solaire, dans le but de fournir à terme une énergie sûre et propre à l’humanité.
La chaleur peut être considérée comme une vibration énergétique des atomes, et cette vibration devient si extrême à des températures ultra-hautes que les atomes commencent à se frapper aléatoirement les uns contre les autres à une vitesse suffisante pour bloquer leurs noyaux ensemble, les fusionner et créer un nouvel élément atomique.
Si vous utilisez des atomes légers du bas du tableau périodique, comme le fait le Soleil en fusionnant l’hydrogène en hélium, le nouvel atome pèse moins que les deux premiers réunis, et la différence de masse est éjectée sous forme d’énergie thermique. Au cœur du Soleil, des températures d’environ 27 millions de degrés Celsius transforment chaque seconde environ 620 millions de tonnes d’hydrogène en environ 616 millions de tonnes d’hélium, convertissant ainsi quelque 4 millions de tonnes de matière en énergie.
Une petite partie de cette énergie nous parvient finalement ici sur Terre sous forme de rayonnement électromagnétique, nous fournissant de la lumière visible, de la lumière ultraviolette, des infrarouges, des ondes radio, des rayons X et des rayons gamma. Sans ce généreux don d’énergie solaire, la vie telle que nous la connaissons n’aurait jamais été possible.
Les réacteurs de fusion de type tokamak, comme le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), n’ont évidemment pas l’échelle et la gravité colossales du Soleil, mais ils visent à chauffer des atomes d’hydrogène, plus précisément des isotopes de deutérium et de tritium, jusqu’à ce qu’ils commencent à s’entrechoquer, à fusionner et à libérer de l’énergie qui peut à la fois être récoltée et entretenir la réaction lorsque d’autres atomes d’hydrogène sont introduits.
La chambre en forme de beignet du réacteur chinois Experimental Advanced Superconducting Tokamak. (IPP)
La température cible d’ITER est de 150 millions de °C. L’installation chinoise EAST, qui joue un rôle clé dans le projet ITER, a déjà atteint ce seuil, en atteignant 160 millions de °C pendant 20 secondes et en maintenant 120 millions de °C pendant 101 secondes lors d’expériences distinctes annoncées en mai dernier (lien ci-dessous).
La dernière expérience a testé la capacité du tokamak chinois à supporter des températures extrêmes sur de plus longues périodes, en maintenant une température 2,6 fois plus élevée que celle du cœur du Soleil pendant quelque 1 056 secondes, soit 17 minutes et 36 secondes. Personne n’avait jamais maintenu un plasma à haute température pendant 1 000 secondes auparavant, il s’agit donc d’une étape importante.
Il est naturel de se demander comment ces températures folles peuvent exister sur Terre sans provoquer la fusion ou l’embrasement de toute l’installation du tokamak. Pour l’essentiel, la chambre intérieure du tokamak, en forme de beignet, est revêtue des matériaux les plus résistants à la chaleur, comme le tungstène et le carbone. Comme même ces matériaux seraient détruits s’ils étaient exposés à des centaines de millions de degrés, le plasma surchauffé est écrasé au milieu de la chambre, aussi loin que possible des parois, à l’aide de puissants champs magnétiques.
Mais surtout, ces énormes températures sont atteintes avec une quantité minuscule de plasma par rapport à la taille de la chambre, de sorte que l’énergie se dissipe rapidement avant d’atteindre les parois.
Il est important de préciser que l’EAST n’a pas créé ici une réaction de fusion, mais simplement un plasma surchauffé et durable, similaire à celui qui sera utilisé à terme pour créer la fusion. On est donc encore loin de l’énergie positive à ce stade. La fusion de type tokamak est encore loin de cet objectif ambitieux. Le projet ITER, qui s’étend sur toute la planète, a déjà été décrit comme l’expérience scientifique la plus coûteuse de tous les temps et le projet d’ingénierie le plus compliqué de l’histoire de l’humanité, car même s’il génère de la chaleur à partir des réactions de fusion, il évacuera cette chaleur plutôt que de tenter de la capturer et de l’utiliser.
En effet, il faudra probablement attendre un successeur de classe « DEMO » à l’installation ITER, comme celui prévu par EUROfusion, pour voir un grand tokamak produisant des quantités utiles d’électricité. Alors qu’ITER vise un facteur Q de 10 (50 MW d’énergie thermique et 500 MW de puissance thermique brute), le réacteur DEMO de l’UE vise 80 MW et 2 GW, soit un facteur Q de 25.
Sa mise en service est actuellement prévue pour 2051.
Annoncée sur le site de l’Institute of Plasma Physics de l’Académie chinoise des sciences : 1,056 Seconds, another world record for EAST.