Lancement du télescope spatial James Webb : il ne reste plus que 300 points de défaillances à surmonter
Le télescope spatial James Webb (JWST ou “Webb”), le plus grand projet de l’humanité dans sa quête pour sonder l’Univers, s’est envolé dans l’espace le 25 décembre, marquant l’aboutissement de décennies de travail d’astronomes du monde entier. Mais pour que le Webb ouvre une nouvelle ère dans l’astronomie, comme de nombreux scientifiques l’espèrent, des centaines d’étapes techniques complexes devront se dérouler sans accroc dans les jours et les semaines à venir.
Image d’entête : le télescope spatial James Webb après s’être détaché de son lanceur dans l’espace, le 25 décembre. (NASA)
Le JWST a été lancé le 25 décembre et il est maintenant en route vers sa destination, le deuxième point de Lagrange (L2), à environ 1,5 million de km de la Terre.
Selon l’astronome Michelle Thaller de la NASA :
L2 est l’abréviation du deuxième point de Lagrange, un merveilleux accord de gravité et de mécanique orbitale, et l’endroit idéal pour positionner le télescope Webb dans l’espace. Il existe cinq « points de Lagrange », c’est-à-dire des zones où la gravité du Soleil et de la Terre équilibrent le mouvement orbital d’un satellite. Placer un engin spatial à l’un de ces points lui permet de rester dans une position fixe par rapport à la Terre et au soleil avec une quantité minimale d’énergie nécessaire pour la correction de trajectoire.
Diagramme indiquant la position relative du Soleil et de la Terre et les cinq points de Lagrange, avec les lignes du potentiel effectif. (NASA)
L’observatoire spatial de nouvelle génération tant attendu est un projet conjoint de la NASA, de l’ESA (Agence spatiale européenne) et de l’Agence spatiale canadienne. Si la myriade de déploiements et de mises à feu se déroule sans accroc, Webb sera en mesure d’observer la lumière des premières galaxies de l’univers primitif, de scruter l’atmosphère d’exoplanètes et d’observer de près les objets de notre propre système solaire.
Jusqu’à présent, tout se passe bien. Une particularité est que le déploiement du panneau solaire a eu lieu environ 3 minutes plus tôt que prévu, alors que le déploiement était encore visible par la caméra de l’étage de la fusée. Plus tard, l’administrateur associé de la NASA, Thomas Zurbuchen, a expliqué sur Twitter :
Rappelez-vous que la plupart des commandes viennent désormais du sol et qu’elles sont données lorsque certaines conditions sont atteintes. Le déploiement des panneaux solaires a été beaucoup plus rapide parce que l’ordre donné par @ariane5 était presque parfait, dépassant ce qui était attendu.
Au bout d’environ 12 heures et demie de vol, une combustion de correction de trajectoire a été exécutée pour placer Webb sur la bonne trajectoire vers sa destination dans l’espace. Cette manœuvre a duré 65 minutes. Si cela semble long (ce qui est le cas), selon les experts de la mission, la combustion aurait pu durer jusqu’à 3 heures. Cette combustion plus courte est une bonne nouvelle pour la disponibilité du carburant sur le long terme.
Hier (26 décembre), le Gimbaled Antenna Assembly (GAA) qui contient l’antenne à haut débit de Webb a été déployé. L’antenne sera tournée jusqu’à sa position de stationnement, pointant vers la Terre. Il s’agit d’un déploiement « automatique ». Tous les autres seront commandés depuis le sol.
Le Gimbaled Antenna Assembly (GAA) qui contient l’antenne à haut débit de Webb. (NASA)
Les principaux déploiements qui auront lieu au cours du mois prochain dans le cadre des « 30 jours de terreur » (une référence au 7 mn de terreur de l’astromobile Curiosity lorsqu’elle s’est posée sur Mars) seront très éprouvants. Il faudra également 6 mois de mise en service dans l’espace avant la “première lumière”, lorsque Webb livrera ses premières images.
Chronologie du lancement et des différents déploiements. (NASA)
Ce n’est que lorsque tous les équipements fonctionneront et que les premières observations scientifiques auront été effectuées, probablement en juillet, que les astronomes pourront se détendre. D’ici là, « il y aura beaucoup de nervosité », selon Heidi Hammel, scientifique interdisciplinaire pour le JWST et vice-présidente pour la science de l’Association des universités pour la recherche en astronomie à Washington.
Ariane 5 a donc transporté le Webb sur une trajectoire apparemment sans défaut vers l’espace, ce qui permet de conserver davantage de carburant pour que le télescope puisse l’utiliser à des fins scientifiques dans les années à venir. Après s’être séparé du lanceur 27 minutes après le lancement, le Webb a déplié ses panneaux solaires, une étape cruciale qui a permis à l’énergie électrique de commencer à circuler.
Le voyage vers L2 durera 29 jours, avec plus de 300 « points de défaillance » où quelque chose pourrait mal tourner. Selon Günther Hasinger, directeur scientifique de l’ESA, l’ensemble du processus ressemble à un papillon sortant de sa chrysalide, un papillon très coûteux et très complexe, haut de 3 étages.
La première étape, et la plus cruciale, est le déploiement du pare-soleil en forme de cerf-volant de Webb, qui a la taille d’un court de tennis. Le rôle du bouclier est de le protéger des radiations et de refroidir l’environnement de 110 ºC du côté exposé au soleil à -235 ºC du côté ombragé. Webb a besoin de températures glaciales pour que ses optiques puissent capter les lueurs de galaxies lointaines et d’autres objets cosmiques dans les longueurs d’onde infrarouges.
Trois jours après le lancement, deux palettes rectangulaires sont censées se déployer de chaque côté de l’observatoire. Au cours des quatre jours suivants, les palettes s’ouvriront pour révéler les cinq couches membranaires du bouclier solaire, puis les étireront et les fixeront à leur place, comme on serre un drap sur un matelas.
Les séquences de déploiement du télescope spatial James Webb sont illustrées dans cette animation. (Adriana Manrique Gutierrez/ NASA)
Dix jours après le lancement, si tout se passe bien, Webb déplacera son petit miroir secondaire pour le placer face à son miroir primaire géant, qui sera encore replié. Deux jours plus tard, le miroir primaire commencera à faire pivoter deux sections articulées pour créer le miroir complet de 6,5 mètres de large. À ce moment-là, les 18 segments hexagonaux du miroir, fabriqués en béryllium et recouverts d’or, ressembleront à un gigantesque nid d’abeilles scintillant et Webb deviendra un véritable télescope, car il sera capable de capter la lumière.
Environ deux semaines plus tard, le Webb devrait atteindre sa position finale à L2. Cette position est trop éloignée de la Terre pour que des astronautes puissent s’y rendre et réparer le télescope en cas de problème, comme ils l’ont fait après le lancement de Hubble avec des optiques défectueuses. Mais si le pare-soleil et les miroirs se déploient correctement, le pire est derrière Webb. Dès lors, il s’agit d’aligner les miroirs et de calibrer les instruments. Ces étapes sont compliquées mais ont déjà été réalisées auparavant, sur des miroirs de télescopes terrestres.
Représentation du télescope spatial James Webb une fois déployé dans l’espace. (ESA)
Et l’un des quatre instruments du télescope, qui opérera dans les longueurs d’onde de l’infrarouge moyen, a besoin d’un autre refroidisseur pour atteindre -266 ºC, soit seulement 7 ºC au-dessus du zéro absolu. Une fois cette température atteinte, Webb devrait être 100 fois plus sensible que Hubble.
La vision infrarouge de Webb (contrairement à Hubble qui scrute dans la lumière visible) lui permettra de remonter plus de 13,5 milliards d’années dans le temps, vers des étoiles et des galaxies lointaines dont la lumière a été étirée aux longueurs d’onde infrarouges par l’expansion de l’Univers. Il sera également capable de pénétrer dans des régions recouvertes de poussière, comme les lieux de naissance des étoiles, et de sonder l’atmosphère des planètes au-delà du système solaire.
Selon l’astronome Antonella Nota, responsable du projet Webb pour l’ESA :
Il est conçu pour répondre aux questions en suspens dans tous les domaines de l’astrophysique.
Si tout se passe comme prévu au cours des 6 prochains mois, les scientifiques de la mission seront soumis à une pression intense pour diffuser le plus rapidement possible des images et des données étonnantes provenant de Webb. Un petit comité d’astronomes du Space Telescope Science Institute de Baltimore (Etats-Unis)), qui exploite Webb, a dressé une liste secrète des objets à observer en premier. La première tranche de résultats comprendra probablement des images spectaculaires et des données sur les planètes, les étoiles et les galaxies, afin de montrer les capacités du télescope. Ensuite, la science commencera vraiment pour les autres astronomes qui font la queue pour utiliser Webb. Le Guru ne compte plus le nombre d’études du domaine de l’astronomie, attendant des confirmations par le Webb de leurs théories ou de leurs observations.
Pour l’instant, ils ne peuvent que regarder et attendre de voir si le télescope fonctionne comme ses concepteurs l’ont prévu.
Sur le site de la NASA : NASA’s Webb Telescope Launches to See First Galaxies, Distant Worlds, la procédure d’assemblage, le site consacré au Webb et sur le site de l’Agence Spatiale européenne (ESA) : Webb, Seeing farther.