Des astronomes repèrent deux étoiles à neutrons avalées par des trous noirs
Des astrophysiciens ont enfin observé la fusion en spirale d’une étoile à neutrons et d’un trou noir. L’événement cataclysmique a été observé à travers un signal d’ondes gravitationnelles par la collaboration LIGO/ Virgo/ KAGRA. C’est la première fois qu’un de ces événements de fusion « mixte », insaisissables mais titanesques, est repéré et que sa nature est confirmée. Et comme pour les bus, on attend pendant une éternité qu’il y en ait un, puis c’est deux bus qui arrivent en même temps.
Image d’entête : représentation artistique inspirée d’un événement de fusion entre un trou noir et une étoile à neutrons. (Carl Knox/ OzGrav/ Swinburne)
Les chercheurs ont également détecté un signal d’onde gravitationnelle provenant d’un autre événement de même nature 10 jours seulement après le premier. Les signaux ont été captés par LIGO/ Virgo respectivement le 5 janvier 2020 et le 15 janvier 2020.
Cette découverte est importante car, parmi les trois types de fusions entre binaires stellaires restantes (fusions étoile à neutrons/ étoile à neutrons, fusions trou noir/ trou noir et fusions étoile à neutrons/ trou noir ou mixtes), cette dernière catégorie est la seule que nous n’avions pas détectée jusqu’à présent et qui s’est avérée assez insaisissable.
Selon Astrid Lamberts, chercheuse CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, à Nice :
Avec cette nouvelle découverte de fusions étoile à neutrons/ trou noir en dehors de notre galaxie, nous avons trouvé le type de binaire manquant. Nous pouvons enfin commencer à cerner le nombre de ces systèmes, la fréquence de leurs fusions, et pourquoi nous n’avons pas encore vu d’exemples dans la Voie lactée.
Ces détections de signaux provenant de fusions mixtes distinctes interviennent 6 ans à peine après que la collaboration LIGO/ Virgo ait détecté pour la première fois des ondes gravitationnelles confirmant les prédictions concernant les ondulations dans le tissu de l’espace-temps par la théorie de la relativité générale d’Einstein un siècle auparavant.
Représentation artistique des ondes gravitationnelles générées par une étoile à neutrons et un trou noir. (Mark Myers/OzGrav/Université de Winburne)
Bien que d’autres observations soient nécessaires, les résultats produits par l’équipe pourraient aider les astronomes et les astrophysiciens à affiner leur connaissance des systèmes dans lesquels ces fusions insaisissables se produisent, en déterminant à la fois comment ces paires de binaires mixtes se forment et à quelle fréquence leurs composants s’assemblent et fusionnent.
Selon Chase Kimball, étudiant diplômé de l’université Northwestern, coauteur de la nouvelle étude et qui fait partie d’une équipe comprenant des chercheurs de la collaboration scientifique LIGO (LSC), de la collaboration Virgo et du projet Kamioka Gravitational Wave Detector (KAGRA) :
Les ondes gravitationnelles nous ont permis de détecter les collisions de paires de trous noirs et de paires d’étoiles à neutrons, mais la collision mixte d’un trou noir et d’une étoile à neutrons est la pièce manquante de l’image de famille des fusions d’objets compacts. Il est essentiel de compléter ce tableau pour limiter l’ensemble des modèles astrophysiques de formation d’objets compacts et d’évolution binaire. Les prédictions sur la vitesse à laquelle les trous noirs et les étoiles à neutrons fusionnent entre eux font partie intégrante de ces modèles.
Grâce à ces détections, nous disposons enfin de mesures des taux de fusion pour les trois catégories de fusions de binaires compactes.
L’une des choses les plus étonnantes dans la détection des ondes gravitationnelles est la précision que doit avoir un équipement pour détecter ces minuscules ondulations dans le tissu de l’espace-temps. Depuis cette première détection en 2015, les opérateurs de la National Science Foundation (NSF/ États-Unis) à l’interféromètre laser LIGO et leurs homologues au détecteur Virgo en Italie ont détecté plus de 50 signaux d’ondes gravitationnelles provenant de fusions entre paires de trous noirs et binaires d’étoiles à neutrons.
La première fusion mixte étoile à neutrons/ trou noir repérée par la collaboration le 5 janvier serait le résultat de la fusion d’un trou noir de 6 fois la masse du Soleil et d’une étoile à neutrons d’une masse 1,5 fois supérieure à celle de notre étoile. L’événement, désigné GW200105, s’est produit à 900 millions d’années-lumière de la Terre et a été détecté comme un signal fort par le détecteur LIGO situé à Livingstone, en Louisiane.
Les masses des étoiles à neutrons et des trous noirs mesurées grâce aux ondes gravitationnelles (bleu et orange) et aux observations électromagnétiques (jaune et violet). GW 200105 et GW 200115 sont mis en évidence comme étant la fusion d’étoiles à neutrons avec des trous noirs. (LIGO-Virgo / Frank Elavsky, Aaron Geller / Northwestern)
Le détecteur partenaire de LIGO Livingstone, situé à Hanford, dans l’État de Washington, a manqué le signal, car il était hors ligne à ce moment-là. Virgo, quant à lui, a capté le signal, mais il était quelque peu obscurci par le bruit.
Szlon Harald Pfeiffer, chef de groupe au département Astrophysique et relativité cosmologique de l’Institut Max Planck de physique gravitationnelle (AEI) à Potsdam, en Allemagne :
Même si nous ne voyons un signal fort que dans un seul détecteur, nous en concluons qu’il est réel et qu’il ne s’agit pas d’un simple bruit de détecteur. Il passe tous nos contrôles de qualité rigoureux et se démarque de tous les événements de bruit que nous rencontrons lors de la troisième série d’observations.
Le fait que GW200105 n’ait été fortement capté que par un seul détecteur complique sa localisation dans le ciel, l’équipe internationale n’ayant pu que constater qu’il provenait d’une région d’environ 34 000 fois la taille de la Lune.
Selon Bhooshan Gadre, chercheur à l’AEI :
Si les ondes gravitationnelles ne révèlent pas à elles seules la structure de l’objet plus léger, nous pouvons en déduire sa masse maximale. En combinant ces informations avec les prédictions théoriques des masses attendues des étoiles à neutrons dans un tel système binaire, nous concluons qu’une étoile à neutrons est l’explication la plus probable.
Malgré le fait que la deuxième fusion mixte se soit produite plus loin, à 1 milliard d’années-lumière de la Terre, son signal a été repéré par les détecteurs LIGO et Virgo. Cela signifie que l’équipe a pu localiser la fusion, nommée GW200115, plus précisément dans une région du ciel qui fait environ 3000 fois la taille de la Lune de la Terre. Cette deuxième fusion aurait eu lieu entre un trou noir de 9 fois la masse de notre Soleil et une étoile à neutrons de près de deux fois la taille du Soleil.
En raison des distances extraordinaires impliquées, les astronomes n’ont pas encore pu confirmer l’une ou l’autre fusion dans le spectre électromagnétique sur lequel se fonde l’astronomie traditionnelle. Bien qu’ils aient été informés de l’événement presque immédiatement, les astronomes n’ont pas pu trouver de flashs lumineux révélateurs des fusions.
Cela n’est pas surprenant, car toute lumière provenant d’événements aussi lointains serait incroyablement faible après un milliard d’années de voyage vers la Terre, quelle que soit la longueur d’onde dans laquelle elle est observée, ou la puissance du télescope utilisé pour tenter l’observation de suivi.
Il existe également une autre possibilité pour laquelle aucune lumière n’a pu être observée à partir de ces événements. L’absence de signal dans le rayonnement électromagnétique pourrait être due au fait que les éléments des étoiles à neutrons de ces fusions ont été entièrement avalés par leur partenaire, le trou noir.
Selon Patrick Brady, professeur à l’université du Wisconsin-Milwaukee et porte-parole de la collaboration scientifique LIGO :
Il ne s’agit pas d’événements au cours desquels les trous noirs ont grignoté les étoiles à neutrons comme le monstre des cookies et en ont rejeté des morceaux. C’est cet « éparpillement » qui produirait de la lumière, et nous ne pensons pas que cela se soit produit dans ces cas.
Simulation de la fusion d’une étoile à neutrons et d’un trou noir.
Bien qu’il s’agisse des deux premiers exemples confirmés de telles fusions mixtes, des suspects ont été repérés par leurs signaux d’ondes gravitationnelles dans le passé. En août 2019, un signal appelé GW190814 a été détecté. Selon les chercheurs, il s’agissait d’une collision entre un trou noir de 23 masses solaires et un objet d’environ 2,6 masses solaires. Ce deuxième objet aurait pu être soit l’étoile à neutrons la plus lourde connue, soit le trou noir le plus léger jamais découvert. Cette ambiguïté a fait que ce signal n’a pas été confirmé comme étant le produit d’un événement de fusion mixte et d’autres découvertes similaires ont été entachées d’ambiguïtés similaires.
Maintenant que deux détections confirmées de fusions mixtes ont été faites, les astrophysiciens peuvent commencer à découvrir si les estimations actuelles, selon lesquelles de telles collisions devraient se produire à une fréquence d’environ une par mois dans un rayon d’un milliard d’années-lumière de la Terre, sont correctes.
Ils peuvent également s’atteler à la découverte des origines de ces binaires, en éliminant éventuellement un ou deux des lieux proposés où ces événements sont censés se produire : systèmes binaires stellaires, environnements stellaires denses, y compris les jeunes amas d’étoiles, et centres de galaxies.
Le quatrième cycle d’observation des interféromètres laser qui servent de détecteurs d’ondes gravitationnelles, qui doit débuter à l’été 2022, sera essentiel à ces recherches.
Brady de conclure :
Les groupes de détecteurs de LIGO, Virgo et KAGRA améliorent leurs détecteurs en vue du prochain cycle d’observation prévu pour l’été 2022. Grâce à la sensibilité améliorée, nous espérons détecter les ondes de fusion jusqu’à une fois par jour et mieux mesurer les propriétés des trous noirs et de la matière super dense qui compose les étoiles à neutrons.
L’étude publiée dans l’Astrophysical Journal Letters : Observation of Gravitational Waves from Two Neutron Star–Black Hole Coalescences ey présentée sur le site de l’Université Northwestern : Astrophysicists detect first black hole-neutron star mergers.