Des scientifiques utilisent une thérapie génique, des protéines d’algues et la lumière pour aider un aveugle à retrouver la vue
Dans une avancée majeure pour la médecine régénérative, des scientifiques ont partiellement restauré la vision d’un homme aveugle en utilisant une technique émergente appelée optogénétique. L’approche consistait à injecter dans l’œil du patient des gènes correspondant à la codification de protéines sensibles à la lumière présentes dans des algues vertes. Il s’agit de la première application clinique réussie de cette technologie, qui a permis au patient de localiser et d’identifier des objets pour la première fois depuis des décennies.
Certaines cellules du corps contiennent des protéines qui les rendent particulièrement sensibles à la lumière. En ciblant ces cellules, les scientifiques peuvent utiliser la lumière pour contrôler leur comportement. L’optogénétique consiste à insérer des gènes dans des cellules normales pour les doter de ce type de sensibilité à la lumière. En stimulant ces cellules modifiées, les scientifiques espèrent mettre au point des traitements pour toute une série de problèmes de santé, allant de la paralysie au soulagement de la douleur.
L’une des possibilités les plus prometteuses de cette technologie est de s’attaquer aux formes progressives de la perte de la vision, comme la rétinite pigmentaire, qui détruit progressivement les cellules photoréceptrices sensibles à la lumière dans la rétine, ce qui conduit finalement à la cécité. L’utilisation de l’optogénétique pour implanter des protéines sensibles à la lumière dans la rétine est considérée depuis longtemps comme un moyen de lutter contre cette détérioration, et des résultats prometteurs ont été obtenus lors d’expériences sur des souris et des embryons de poussins.
Mais ce type de résultats n’a encore jamais été observé chez l’humain. Pour remédier à cela, une équipe internationale de chercheurs a mené une étude pionnière sur un Parisien chez qui une rétinite pigmentaire avait été diagnostiquée il y a 40 ans. Les scientifiques ont injecté dans l’œil le plus faible du patient des gènes channelrhodopsine qui codent pour une protéine sensible à la lumière appelée ChrimsonR, que l’on trouve dans les algues lumineuses et qui, lorsqu’elle est soumise à la lumière, réagit en changeant de forme et en facilitant le flux d’ions entrant et sortant des cellules.
Cela a amené des neurones spécifiques de la rétine de l’œil faible à produire la protéine ChrimsonR, les transformant en nouvelles cellules sensibles à la lumière. L’équipe a ciblé les cellules ganglionnaires en raison du rôle qu’elles jouent dans la collecte des signaux lumineux des cellules photoréceptrices et leur transmission aux nerfs optiques du cerveau, où ils sont traduits en vision.
L’approche optogénétique s’est avérée être un moyen efficace de traiter la perte de vision en évitant complètement les cellules photoréceptrices endommagées. Les cellules ganglionnaires modifiées ont été chargées de capter directement les signaux lumineux des objets, mais ce n’est qu’avec l’aide d’un matériel externe que le système a pu fonctionner comme prévu.
Une paire de lunettes spéciales équipées d’une caméra a été utilisée pour enregistrer l’environnement et envoyer des impulsions lumineuses directement sur la rétine, avec son nouveau réseau de cellules sensibles à la lumière. Les lunettes ont transformé l’image en une seule longueur d’onde de lumière dans le spectre plus doux de l’ambre, ce qui amène les protéines ChrimsonR à changer de forme, à ouvrir les canaux ioniques, à détecter et à relayer les signaux lumineux au cerveau.
Les scientifiques ont attendu 4 mois après l’injection pour que les protéines se mettent en place avant de commencer l’entraînement visuel. Mais 7 mois après avoir commencé, le patient était capable de localiser, d’identifier et même de compter des objets en utilisant sa vision.
Tests réalisés sur le patient dans le cadre de l’étude. (José-Alain Sahel et col./ Nature Medicine)
Selon le premier auteur de l’étude, José-Alain Sahel, professeur d’ophtalmologie à Sorbonne Université (France) et titulaire de la chaire d’ophtalmologie à l’Université de Pittsburgh (Etats-Unis) :
L’adaptation à l’utilisation des lunettes prend du temps. Au départ, le patient n’a pas trouvé les lunettes très utiles, mais après quelques mois, il a commencé à voir les bandes blanches sur un passage piéton et, après plusieurs séances d’entraînement, il a été capable de reconnaître d’autres objets, grands et petits.
Ces résultats représentent le tout premier cas d’utilisation de l’optogénétique pour la restauration partielle de la vision, voire la guérison partielle de toute maladie neurodégénérative. Le champ d’application de cette technologie va bien au-delà de la cécité, les scientifiques espérant utiliser l’optogénétique pour s’attaquer un jour à des maladies comme l’épilepsie, la maladie de Parkinson et la dépression. Mais pour l’instant, ces résultats prometteurs font du traitement de la rétinite pigmentaire une piste particulièrement prometteuse sur le court terme.
L’étude publiée dans Nature Medicine : Partial recovery of visual function in a blind patient after optogenetic therapy et présentée sur le site de la Sorbonne Université : Un patient aveugle récupère partiellement la vue après une thérapie optogénétique et l’Université de Pittsburgh : For the First Time, Optogenetic Therapy Partially Restores Patient’s Vision.