Vidéo : visualiser le monde doublement déformé des trous noirs binaires
La NASA a publié une nouvelle visualisation qui montre à quoi ressemblerait une paire (binaire) de trous noirs s’orbitant mutuellement. La vidéo, que vous pouvez voir en fin de page, montre comment ils déformeraient et redirigeraient la lumière provenant du gaz chaud des disques d’accrétion qui les entourent. Vu du plan orbital, chacun des disques d’accrétion prendrait la forme d’une double bosse.
Basée sur des années d’observations et d’analyses, la représentation visuelle des trous noirs est une pratique vieille de plusieurs décennies, qui remonte aux travaux de l’astronome français Jean-Pierre Luminet dans les années 1970.
Il est fascinant de constater que les simulations étaient très proches de ce que nous avons vu lorsqu’une grande équipe internationale de scientifiques a finalement capturé une image directe d’un trou noir supermassif, le désormais célèbre M87*. Nous savons donc que nos prédictions ont généralement été très précises.
En raison de l’intensité des champs gravitationnels en jeu, les choses se gâtent. La lumière se courbe et son intensité change, selon la direction dans laquelle elle se déplace. Que se passe-t-il donc lorsqu’il n’y a pas un, mais deux trous noirs calés dans une orbite mutuelle, chacun ayant sa propre gravité et chacun étant entouré de son propre disque d’accrétion de poussière et de gaz ? Et bien, cela pourrait ressembler un peu à la dernière visualisation de trou noir de la NASA.
S’appuyant sur ses précédents travaux de simulation d’un trou noir et de son disque d’accrétion, l’astrophysicien Jeremy Schnittman, du Goddard Space Flight Center de la NASA, a mis en contact deux trous noirs pour voir ce qui se passerait et selon lui :
Nous voyons deux trous noirs supermassifs, un plus grand de 200 millions de masses solaires et un compagnon plus petit pesant moitié moins.
Ce sont les types de systèmes binaires de trous noirs où nous pensons que les deux membres pourraient maintenir des disques d’accrétion pendant des millions d’années.
La simulation commence comme si vous regardiez de haut en bas les deux trous noirs supermassifs en orbite l’un autour de l’autre. Il y a leur ombre au milieu de chacun, entouré d’un large disque d’accrétion.
Le fin anneau situé entre le bord intérieur du disque d’accrétion et l’ombre du trou noir s’appelle sphère de photons, où la gravité est si forte que les photons sont piégés dans une orbite stable autour du trou noir. Si ces photons s’approchaient davantage du trou noir, ils tomberaient au-delà de l’horizon des événements, où nous ne pouvons pas les voir.
Au fur et à mesure que la simulation se poursuit, la perspective du spectateur se déplace vers le plan orbital des deux trous noirs.
Au début, la simulation ressemble beaucoup à d’autres simulations que vous avez peut-être déjà vues, avec la lumière du disque courbée à l’arrière pour former un halo, et la lumière à l’avant du trou noir plus brillante à mesure qu’elle se rapproche du spectateur, et plus faible à mesure qu’elle s’éloigne. Ce phénomène est connu sous le nom de rayonnement relativiste (relativistic beaming) et il est dû à l’effet Doppler, qui est la façon dont les ondes (dans ce cas, les ondes lumineuses) changent apparemment en fonction de leur direction de déplacement.
Schnittman a utilisé deux couleurs différentes pour représenter les deux trous noirs, car il est ainsi plus facile de les différencier. Les champs gravitationnels se plient et se déforment, entraînant la lumière à suivre des trajectoires complexes, calculées à l’aide d’un puissant superordinateur. La lumière de chaque trou noir se déforme encore plus lorsqu’elle est influencée par la gravité de son compagnon binaire.
Ensuite, la vue se déplace de haut en bas, avec un zoom avant, où, en voyageant autour de la sphère de photons d’un trou noir, on obtient une vue latérale de son compagnon. En effet, la lumière est courbée à 90 degrés, ce qui signifie que nous obtenons simultanément une vue de haut en bas et une vue latérale déformée de chaque trou noir.
Selon Schnittman :
Un aspect frappant de cette nouvelle visualisation est la nature homogène des images produites par la lentille gravitationnelle. Un zoom sur chaque trou noir révèle des images multiples et de plus en plus déformées de son partenaire.
Une vue de face du système met en évidence l’image déformée par le petit trou noir ( en encadré) de son grand compagnon. Pour atteindre la caméra, le petit trou noir doit courber la lumière de son compagnon rouge de 90 degrés. Le disque d’accrétion de cette image secondaire apparaît comme une ligne, ce qui signifie que nous avons une vue de bord du compagnon rouge, tout en le voyant simultanément d’en haut. Une image secondaire du disque bleu se forme également juste à l’extérieur de l’anneau lumineux le plus proche du grand trou noir. (NASA’s Goddard Space Flight Center/ Jeremy Schnittman/ Brian P. Powell)
La lentille gravitationnelle est, en fait, un outil utile pour voir dans les régions les plus profondes de l’espace, car elle grossit et duplique souvent l’objet le plus éloigné. Les galaxies et les amas de galaxies peuvent également être des lentilles gravitationnelles, bien que les objets ainsi grossis n’apparaissent pas aussi courbés et étranges que les images produites par deux trous noirs supermassifs actifs.
L’imagerie directe d’un trou noir demande beaucoup de travail, et les trous noirs supermassifs binaires sont rares. Il est donc peu probable que nous voyions de sitôt la version réelle de la visualisation de Schnittman, mais des simulations comme celles-ci peuvent nous aider à comprendre la physique des environnements extrêmes autour des trous noirs supermassifs, afin de mieux analyser les observations que nous pouvons faire.
Présentée sur le site de la NASA : New NASA Visualization Probes the Light-bending Dance of Binary Black Holes.