L’un des plus grands écosystèmes de la Terre vit sous les fonds marins et se nourrit de sous-produits de radiations
Des chercheurs de la Graduate School of Oceanography de l’Université du Rhode Island (URI/ États-Unis) rapportent que tout un écosystème de microbes sous la mer ne dépend pas de la lumière du soleil, mais des produits chimiques produits par l’irradiation naturelle des molécules d’eau.
Des communautés bactériennes entières vivant sous les fonds marins dépendent d’une source de nourriture très curieuse : l’hydrogène libéré par l’eau irradiée. Ce processus a lieu grâce à l’exposition des molécules d’eau aux radiations naturelles, et nourrit les microbes vivant à quelques mètres seulement sous le fond de l’océan. Loin d’être une stratégie d’alimentation spécifique, l’équipe note cependant que cette alimentation à base de radiations soutient l’un des plus grands écosystèmes de notre planète en volume.
Selon Justine Sauvage, auteure principale de l’étude et chercheuse à l’Université de Göteborg (Suède) qui a mené les recherches en tant que doctorante à l’Université du Rhode Island :
Ce travail apporte une nouvelle perspective importante sur la disponibilité des ressources que les communautés microbiennes souterraines peuvent utiliser pour se maintenir. C’est fondamental pour comprendre la vie sur Terre et pour limiter l’habitabilité d’autres corps planétaires, comme Mars.
Justine Sauvage mesure la teneur en oxygène dissous dans des carottes de sédiments prélevées dans l’Atlantique Nord. (Justine Sauvage/ Université du Rhode Island)
Le processus par lequel le rayonnement ionisant (par opposition à la lumière visible, par exemple) divise la molécule d’eau est connu sous le nom de radiolyse. Elle est tout à fait naturelle et se produit partout où il y a de l’eau et suffisamment de radiations. Les auteurs expliquent que le fond marin est un foyer particulier de radiolyse, très probablement en raison des minéraux présents dans les sédiments marins qui agissent comme catalyseurs du processus.
Tout comme le rayonnement sous forme de lumière solaire aide à nourrir les plantes, et à travers elles la plupart des autres formes de vie sur Terre, le rayonnement ionisant aide également à nourrir bon nombre de créatures. La radiolyse produit des composés élémentaires d’hydrogène et d’oxygène (oxydants), qui servent de nourriture aux communautés microbiennes vivant dans les sédiments. A quelques mètres sous le fond de l’océan, ajoute l’équipe, elle devient la principale source de nourriture et d’énergie pour ces bactéries selon Steven D’Hondt, professeur d’océanographie à l’URI et coauteur de l’étude, qui ajoute :
Les sédiments marins amplifient en fait la production de ces produits chimiques utilisables. Si vous avez la même quantité d’irradiation dans l’eau pure et dans les sédiments humides, vous obtenez beaucoup plus d’hydrogène à partir des sédiments humides. Ces sédiments rendent la production d’hydrogène beaucoup plus efficace.
On ne sait pas encore exactement pourquoi ce processus semble plus intense dans les sédiments humides. Il est probable que certains minéraux de ces dépôts puissent agir comme des semi-conducteurs, « rendant le processus plus efficace », selon M. D’Hondt.
Cette découverte a été faite après une série d’expériences menées au Centre des sciences nucléaires du Rhode Island. L’équipe a travaillé avec des échantillons de sédiments humides prélevés en divers points des océans Pacifique et Atlantique par l’Integrated Ocean Drilling Program (programme de forage océanique) et d’autres navires de recherche américains. Justine Sauvage en a mis quelques-uns dans des flacons et les a ensuite irradiés.
Échantillons de sédiments marins utilisés dans les expériences d’irradiation. (Justine Sauvage/ Université du Rhode Island)
À la fin, elle a comparé la quantité d’hydrogène produite dans les fioles avec les sédiments humides à celle des témoins (fioles irradiées d’eau de mer et d’eau distillée). La présence de sédiments a multiplié par 30 la production d’hydrogène, explique le document de recherche.
Selon le coauteur Arthur Spivack, professeur d’océanographie à l’Université du Rhode Island :
Cette étude est une combinaison unique d’expériences de laboratoire sophistiquées intégrées dans un contexte biologique mondial.
Les implications de ces résultats sont applicables à la fois à la Terre et aux autres planètes. Pour commencer, elle nous permet de mieux comprendre où et comment la vie peut se développer, même sans lumière solaire et en présence de radiations. Cela nous aide non seulement à mieux comprendre les profondeurs des océans, mais nous donne également des indices sur les endroits où la vie extraterrestre pourrait se cacher. Par exemple, de nombreux minéraux trouvés sur Terre sont également présents sur Mars, il y a donc une très forte probabilité que la radiolyse se produise sur la planète rouge dans les zones où de l’eau liquide est présente. Si elle se produit au même rythme que sur les fonds marins de la Terre, elle « pourrait potentiellement maintenir la vie au même niveau que celui des sédiments marins ».
L’astromobile Perseverance vient d’atterrir sur Mars pour une mission de récupération d’échantillons de roches et de surveillance d’environnements potentiellement habitables, nous n’aurons peut-être pas à attendre longtemps avant de pouvoir vérifier.
En même temps, les chercheurs expliquent que leurs découvertes ont également une valeur pour l’industrie nucléaire, notamment en ce qui concerne le stockage des déchets et la gestion des accidents nucléaires.
Selon D’Hondt :
Si vous stockez des déchets nucléaires dans des sédiments ou des roches, ils peuvent générer de l’hydrogène et des oxydants plus rapidement que dans l’eau pure. Cette catalyse naturelle peut rendre ces systèmes de stockage plus corrosifs qu’on ne le pense généralement.
À l’avenir, l’équipe prévoit d’examiner comment le processus se déroule dans d’autres environnements, à la fois sur Terre et au-delà, la croûte océanique, la croûte continentale et le sous-sol de Mars présentant un intérêt particulier pour eux. De plus, ils veulent également approfondir la façon dont les communautés souterraines qui dépendent de la radiolyse pour leur alimentation vivent, interagissent et évoluent.
L’étude publiée dans Nature Communications : The contribution of water radiolysis to marine sedimentary life et présentée sur le site de l’Université du Rhode Island : Microbes deep beneath seafloor survive on byproducts of radioactive process.