Fusion nucléaire : le "soleil artificiel" de Corée du Sud vient d’établir un nouveau record en maintenant son plasma à 100 millions de degrés pendant une durée de 20 secondes
Des scientifiques viennent d’établir un nouveau record mondial pour le plasma à haute température soutenue avec le dispositif KSTAR (Korea Superconducting Tokamak Advanced Research), atteignant une température ionique supérieure à 100 millions de degrés Celsius pendant 20 secondes.
Image d’entête : l’intérieur du tokamak du KSTAR. (KSTAR/ General Atomics Fusion Energy Research)
Connu comme le « soleil artificiel » de la Corée, le KSTAR utilise des champs magnétiques pour générer et stabiliser un plasma ultra chaud, dans le but ultime de faire de l’énergie par fusion nucléaire une réalité. Il s’agit d’une source potentiellement illimitée d’énergie propre qui pourrait transformer notre façon de vivre, si nous parvenons à la faire fonctionner comme prévu.
Avant cela, les 100 millions de degrés n’avaient pas été franchis pendant plus de 10 secondes, ce qui représente une amélioration substantielle par rapport aux tentatives précédentes, même s’il reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir abandonner complètement les autres sources d’énergie. À ce stade, l’énergie par le biais de la fusion nucléaire reste une possibilité, et non une certitude.
Selon le physicien nucléaire Si-Woo Yoon, directeur du centre de recherche KSTAR de l’Institut coréen de l’énergie de fusion (KFE) :
Les technologies nécessaires à l’exploitation prolongée d’un plasma de 100 millions de degrés sont la clé de la réalisation de l’énergie de fusion.
Le succès du KSTAR à maintenir le plasma à haute température pendant 20 secondes constituera un tournant important dans la course à la sécurisation des technologies pour le fonctionnement du plasma à haute performance de longue durée, un composant essentiel d’un futur réacteur de fusion nucléaire commercial.
La clé du passage aux 20 secondes fut une mise à niveau des modes de la barrière interne de transport (ITB pour Internal Transport Barrier) à l’intérieur du KSTAR. Ces modes ne sont pas entièrement maîtrisés par les scientifiques, mais au niveau le plus simple, ils permettent de contrôler le confinement et la stabilité des réactions de fusion nucléaire.
Le KSTAR est un réacteur de type tokamak (image d’entête), similaire à celui qui a récemment été mis en service en Chine, qui fusionne des noyaux atomiques pour créer ces énormes quantités d’énergie (par opposition à la fission nucléaire utilisée dans les centrales électriques, qui divise les noyaux atomiques).
Vue d’ensemble des installations du KSTAR. (National Research Council of Science & Technology)
Bien que le travail scientifique nécessaire pour y parvenir soit complexe, les progrès sont constants. KSTAR a franchi pour la première fois la limite des 100 millions de degrés en 2018, et en 2019, il a réussi à maintenir la température pendant 8 secondes. Aujourd’hui, elle a plus que doublé.
Selon le physicien nucléaire Yong-Su Na, de l’Université nationale de Séoul (SNU) :
Le succès de l’expérience KSTAR dans le fonctionnement à haute température et sur une longue durée, en surmontant certains inconvénients des modes ITB, nous rapproche du développement de technologies pour la réalisation de l’énergie de fusion nucléaire.
Les dispositifs de fusion comme le KSTAR utilisent des isotopes d’hydrogène pour créer un état de plasma où les ions et les électrons sont séparés, prêts à être chauffés, c’est-à-dire les mêmes réactions de fusion que celles qui se produisent sur le Soleil, d’où le surnom donné à ces réacteurs.
Jusqu’à présent, le maintien de températures suffisamment élevées pendant une période assez longue pour que la technologie soit viable s’est révélé être un défi. Les scientifiques vont devoir battre d’autres records de ce type pour que la fusion nucléaire puisse fonctionner comme source d’énergie, en ne rejetant guère plus que de l’eau de mer (une source d’isotopes d’hydrogène) et en produisant un minimum de déchets.
Malgré tout le travail qui reste à faire pour que ces réacteurs produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment*, les progrès sont encourageants. D’ici 2025, les ingénieurs du KSTAR veulent avoir dépassé la barre des 100 millions de degrés pendant une période de 300 secondes.
* Le point d’équilibre de l’énergie dans la fusion nucléaire, où l’énergie libérée par la fusion est égale ou supérieure à l’énergie dépensée, est désigné break-even en anglais.
Selon le physicien nucléaire Young-Seok Park, de l’université de Columbia :
La température ionique de 100 millions de degrés atteinte en permettant un chauffage efficace du plasma du cœur pendant une si longue durée a démontré la capacité unique du dispositif supraconducteur KSTAR, et sera reconnue comme une base convaincante pour des plasmas de fusion haute performance en régime permanent.
KSTAR fait partie de la contribution de la Corée au projet de recherche sur la fusion nucléaire du réacteur thermonucléaire expérimental international(ITER), et à ce titre, les résultats des différentes expériences qui y sont menées contribueront à alimenter le développement d’ITER, qui est actuellement en construction dans le sud de la France.
Les résultats de l’expérience n’ont pas encore été publiés, mais ils seront communiqués lors de la conférence de l’AIEA sur l’énergie de fusion en 2021 (AEA Fusion Energy Conference) et présentée sur le site du Korea Institute of Fusion Energy.