Découverte des premiers insectes profitants d’une armure minérale
Les biominéraux calcaires ont été incorporés par de nombreux animaux au cours de l’histoire de l’évolution, en particulier par les crustacés avec leur coquille caractéristique. Il est quelque peu surprenant de constater que ce type de protection n’a jamais été observé auparavant chez les insectes, qui appartiennent au même groupe que les crustacés, tous deux appartenant à la classe des arthropodes. Mais les scientifiques ont maintenant trouvé les premières preuves de la présence de calcite à haute teneur en magnésium dans l’armure recouvrant les exosquelettes des fourmis champignonnistes, Acromyrmex echinatior.
Image d’entête : une fourmi soldat de l’espèce Atta cephalotes (à droite) étend ses mandibules vers une fourmi ouvrière Acromyrmex echinatior. Une armure minéralisée protège certaines ouvrières A. echinatior contre les attaques. (Caitlin M. Carlson)
Depuis plusieurs années, Cameron Currie, professeur de bactériologie à l’université du Wisconsin-Madison (Etats-Unis), étudie la bactérie Streptomyces. Avec ses collègues, ils ont montré que ces microbes offrent à ces fourmis coupeuses de feuilles pour cultiver de champignons, une protection contre les infections, ce qui suggère que les fourmis et leur microbiome pourraient devenir une nouvelle source d’antibiotiques. Compte tenu de la montée effrayante des bactéries résistantes aux antibiotiques, cette recherche est extrêmement importante, voire cruciale.
Alors qu’ils étudiaient les fourmis Acromyrmex echinatior dans le but d’identifier ce que les insectes pourraient donner en échange de la protection qu’ils reçoivent, Hongjie Li, un scientifique du laboratoire de Currie, a découvert des cristaux à la surface des exosquelettes. En y regardant de plus près, il s’est avéré que les cristaux étaient des biominéraux, les tout premiers à être rencontrés dans le monde des insectes.
A partir de l’étude : (a) fourmis Acromyrmex echinatior avec un revêtement cuticulaire blanchâtre et (b) Image MEB d’une cuticule de fourmi avec un revêtement cristallin. (Hongjie Li et Col./ Nature Communications)
Des expériences ultérieures d’élevage et de synthèse in vitro ont montré que l’armure de calcite riche en magnésium se développe à mesure que les fourmis vieillissent, augmentant ainsi la dureté de leurs exosquelettes.
Selon les chercheurs :
La forte teneur en magnésium de l’armure est particulièrement intéressante, car elle est très rare dans la biosphère.
Ainsi, nos fourmis ont une armure vraiment unique et solide.
Les fourmis ouvrières avec des exosquelettes biominéralisés avaient plus de chances de survivre à des rencontres avec des fourmis soldats Atta cephalotes, selon les observations effectuées par les chercheurs. De plus, l’armure offre également une protection contre les infections dues au champignon Metarhizium anisopliae.
Apparemment, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles une telle armure a dû être favorisée par la sélection naturelle. Mais il est intéressant de noter que les chercheurs comparent l’élevage de fourmis à l’agriculture humaine.
Les fourmis coupeuses de feuilles/ champignonnistes ont évolué il y a environ 20 millions d’années et sont écologiquement dominantes dans les tropiques du Nouveau Monde (Amérique – Océanie). Leur succès est parallèle au rôle important que joue l’agriculture dans la montée de la domination humaine sur la planète au cours des 10 000 dernières années. Il existe d’autres parallèles entre ces fourmis et les agriculteurs humains. Tout comme les agents pathogènes des cultures qui ont causé des ravages dans l’histoire de notre agriculture, les cultures des fourmis sont très sensibles aux agents pathogènes spécialisés qui ont évolué pour les exploiter. Tout comme les humains comptent sur les produits chimiques pour défendre leurs cultures, les fourmis ont développé l’utilisation de bactéries pour dériver des antibiotiques afin de contrôler les infections des cultures.
Selon Currie :
Notre découverte d’une armure biominérale chez une fourmi coupeuse de feuilles fournit un autre nouveau parallèle passionnant avec l’homme : l’évolution de l’armure protectrice pour s’engager dans des guerres avec d’autres agriculteurs.
Il y a peut-être d’autres insectes avec une armure biominérale. L’une des raisons pour lesquelles ils sont rares est que la plupart ont déjà un exosquelette dur et robuste, qui offre généralement une protection suffisante. A l’avenir, Currie et ses collègues aimeraient étudier plus en détail la forme des biominéraux, ainsi que les origines évolutives de l’armure chez les fourmis qui cultivent des jardins de champignons.
L’étude publiée dans Nature Communications : Biomineral armor in leaf-cutter ants.