Une étude génétique ravive le mythe des éléphants ivres
De nouvelles recherches menées par une équipe d’anthropologues canadiens suggèrent qu’une célèbre histoire d’éléphants ivres, qui a été démystifiée, pourrait bien contenir une part de vérité après tout. Les chercheurs ont étudié un certain nombre de mammifères pour détecter la présence d’une mutation génétique liée à l’augmentation du métabolisme de l’éthanol, et ils ont découvert que très peu d’animaux ont réellement la capacité de transformer rapidement l’alcool.
Image d’entête : une autre très récente histoire d’éléphants ivres (pas celle à laquelle font référence les chercheurs dans leur étude) a fait le tour d’internet récemment, avant d’être démentie. l’incident aurait eu lieu dans le Yunnan, en Chine, alors qu’un troupeau de 14 éléphants se promenait dans un village, profitant du confinement. En cherchant du maïs et de la nourriture, ils seraient tombés sur de l’alcool de maïs, pour finir ivres dans un champ de thé. Les autorités locales ont depuis démenti ces rumeurs. Le fait est que des éléphants se sont introduits dans les maisons des villageois, causant des dégâts.
En 2005, une équipe de biologistes de l’université de Bristol (Royaume-Uni) a prétendu démystifier une anecdote amusante et courante. L’histoire, souvent racontée, que des éléphants africains cherchaient les fruits tombés de l’arbre malura. Ce fruit naturellement sucré est connu pour fermenter rapidement lorsqu’il tombe au sol, atteignant une concentration d’environ 3 % d’éthanol après quelques jours seulement.
Les récits d’éléphants ivres traversant les villages ont été couramment partagés pendant des décennies, jusqu’à ce que l’équipe de Bristol publie une étude qui a révélé qu’il serait presque impossible pour les grands mammifères de consommer suffisamment de fruits fermentés pour atteindre un état d’ivresse. L’étude de 2005 suggérait que les récits anecdotiques étaient simplement un cas d’anthropomorphisme, notre tendance à projeter nos caractéristiques (humaines ) sur les animaux.
Cependant, une nouvelle étude suggère que la précédente recherche pourrait être victime de son propre ensemble de préjugés anthropomorphiques, calculant l’intoxication sur la base des taux de métabolisme de l’éthanol propres aux êtres humains.
La nouvelle étude s’est concentrée sur un gène appelé ADH7. Ce gène est connu pour produire une enzyme qui métabolise l’éthanol. Bien que le gène lui-même soit présent chez un grand nombre de mammifères, l’étude identifie une mutation dans ce gène qui améliore de 40 fois l’efficacité du métabolisme de l’éthanol.
On pense que cette mutation s’est produite il y a environ 10 millions d’années, lorsque nous sommes descendus des arbres et que nous avons trouvé beaucoup plus de fruits fermentés sur le sol. Cette mutation était nécessaire pour pouvoir manger une plus grande quantité de fruits sans s’enivrer et être vulnérable aux prédateurs.
Les mammifères partageant une lignée commune ont tous encore cette version mutée de l’ADH7, y compris les gorilles et les chimpanzés. La mutation a également été observée chez une lignée de chauves-souris frugivores, ce qui a évidemment fait évoluer la nécessité de pouvoir manger des fruits en fermentation sans être trop ivre pour voler. Et, curieusement, la mutation a été trouvée chez les koalas. La présence de la mutation chez les koalas est suggérée dans le but d’aider les animaux à transformer certaines toxines présentes dans les feuilles d’eucalyptus.
Cette nouvelle étude implique que l’histoire anecdotique de l’éléphant ivre n’est peut-être pas si anecdotique après tout. Mareike Janiak, une anthropologue de l’université de Calgary (Canada) qui travaille sur la nouvelle recherche, suggère que l’étude n’est pas conçue pour prouver que l’histoire de l’éléphant ivre est vraie, mais sert plutôt à nous rappeler que nous devons être prudents lorsque nous extrapolons les fonctions métaboliques humaines aux animaux.
Selon Janiak :
Si vous ne pouvez pas métaboliser l’éthanol très rapidement, vous êtes plus susceptible d’en ressentir les effets ou d’avoir un seuil de consommation plus bas. Nous ne prouvons pas que les histoires sont vraies, mais nous mettons en doute les démystifications précédentes. Les anecdotes pourraient être vraies.
L’étude publiée dans Biology Letters : Genetic evidence of widespread variation in ethanol metabolism among mammals: revisiting the ‘myth’ of natural intoxication et présentée sur le site de l’université de Calgary : Elephants get drunk because they can’t metabolize alcohol like us.