Une image sans précédent d’un jet d’ondes radio émis par un trou noir supermassif
Un réseau mondial de télescopes a produit une image d’un jet d’ondes radio semblant jaillir du centre d’un trou noir supermassif à plus de 15 fois la vitesse de la lumière.
Il y a environ un an, la collaboration de l’Event Horizon Telescope (EHT) a publié la première image d’un trou noir. Cette image révolutionnaire montrait le trou noir supermassif au centre de M87, une énorme galaxie elliptique située à 55 millions d’années-lumière de la Terre.
Présentation du réseau de télescopes de la collaboration ETH. (AFP)
A présent, la collaboration EHT a publié une nouvelle image, qui montre un jet propulsé depuis le trou noir 3C 279 de presque 1 milliard de masse solaire, situé à environ 5 milliards d’années-lumière de la Terre. Les résultats associés à cette image ont été publiés cette semaine (lien plus bas).
Image d’entête : un zoom sur le jet du trou noir et son observation dans différentes longueurs d’onde radio. (J.Y. Kim/ Boston University Blazar program/ EHT/ MPIfR)
Au cœur de presque toutes les galaxies se trouve un trou noir supermassif. Parfois, ces trous noirs sont au repos, comme celui qui se trouve au centre de notre Voie lactée. Mais parfois, ils sont aussi extrêmement actifs, et 3C 279 fait partie de cette dernière catégorie.
Il est ce que les astronomes appellent un blazar, un trou noir supermassif qui se nourrit activement et qui projette un puissant jet presque directement vers la Terre. La nouvelle image (en entête) de l’EHT montre le jet du trou noir, qui est généré extrêmement près de celui-ci, avec une résolution supérieure à une demi-année-lumière.
Représentation (ETH)
Avec cette vue rapprochée et sans précédent, les astronomes ont découvert quelque chose d’inhabituel à propos du jet. Au lieu de le voir s’éloigner directement de la région autour du trou noir, ce à quoi l’équipe s’attendait, la base du jet semble tordue ou pliée, avec des caractéristiques lumineuses s’étendant perpendiculairement à la trajectoire de son mouvement.
Pour le coauteur de l’étude, Thomas Krichbaum de l’Institut Max Planck pour la radioastronomie (MPIfR) à Bonn (Allemagne), voir de telles caractéristiques est difficile à expliquer avec les modèles les plus simples de jets se déplaçant vers l’extérieur. Elles indiquent plutôt qu’il se passe quelque chose de plus compliqué, comme la rotation ou des instabilités à l’intérieur du jet lui-même.
Selon l’auteur principal Jae-Young Kim, également du MPIfR :
C’est comme si on trouvait une forme très différente en ouvrant la plus petite des poupése Matriochka.
Comme les données ont été obtenues sur plusieurs jours, l’équipe a également pu observer l’évolution de la région au fil du temps. Ils ont remarqué que les caractéristiques étranges changeaient quotidiennement, ce qui renforce encore l’idée de complexité au sein du jet. Ces changements rapides, selon l’étude, pourraient être dus à des ondes de choc ou à des instabilités au sein du jet, surtout s’il est en rotation.
Ce n’est pas la première fois que le trou noir 3C 279 montre des changements aussi rapides. Comme beaucoup de trous noirs qui s’alimentent activement, 3C 279 vacille et s’illumine lorsque les astronomes l’observent à l’aide de radiotélescopes, de télescopes optiques, à rayons X et même à rayons gamma. Les scientifiques pensent que ces scintillements se produisent lorsque des masses de matière, telles que du gaz, de la poussière et même des étoiles, sont dévorées par le trou noir.
Mais avant que quoi que ce soit ne puisse tomber dedans, la matière condamnée forme d’abord un disque d’accrétion chaud et tourbillonnant. La plupart des matériaux du disque d’accrétion finissent par se retrouver dans le trou noir. Mais une partie est projetée dans l’espace sous forme de jets, souvent à une vitesse fulgurante.
Les différentes “structures” d’un trou noir supermassif (Jet relativiste, horizon des évènements, disque d’accrétion, singularité)
Cette interaction complexe entre le trou noir qui engloutit la matière, son disque d’accrétion tourbillonnant et ses jets explosifs reste un mystère. Mais des images comme celle-ci et d’autres provenant de l’EHT aident désormais les astronomes à observer une région jusqu’alors invisible, en observant le déroulement d’événements qui ne pouvaient, jusqu’à présent, être modélisés que sur ordinateur.
Selon J. Anton Zensus, président du conseil de collaboration de l’EHT et directeur du MPIfR :
Nous travaillons sur l’analyse des données du centre de notre galaxie dans Sagittarius A* (le trou noir supermassif de la Voie lactée), et sur d’autres galaxies actives telles que Centaurus A, OJ 287, et NGC 1052. Comme nous l’avons dit l’année dernière, ce n’est que le début.
L’étude publiée dans Astronomy and Astrophysics : Event Horizon Telescope imaging of the archetypal blazar 3C 279 at an extreme 20 microarcsecond resolution et présentée sur le site de l’Institut Max Planck pour la radioastronomie : Something is Lurking in the Heart of Quasar 3C 279.