Comment estimer l’âge des requins-baleines avec d’anciens essais de bombes atomiques ?
Un des éléments clés pour la conservation des espèces sauvages est d’établir une image claire sur la façon dont les animaux vieillissent et sur leur espérance de vie. Pour les biologistes qui étudient les plus grands poissons du monde, cette information vitale n’a pas été aussi facile à obtenir. Une nouvelle étude a toutefois démontré que les essais de la bombe atomique à l’époque de la guerre froide pouvaient aider à combler certains vides, les scientifiques utilisant pour la première fois des isotopes radioactifs pour mesurer l’âge d’un requin-baleine (image d’entête).
Le carbone 14 est un isotope radioactif qui se trouve naturellement dans l’atmosphère et qui est absorbé par chaque créature vivante sur Terre. Les essais de bombes atomiques qui ont eu lieu dans les années 50 et 60 ont provoqué une forte augmentation du carbone 14, en doublant temporairement la quantité de cet élément dans l’atmosphère et en augmentant ainsi sa concentration dans toutes les matières organiques qui se sont formées depuis.
Ainsi, la mesure des niveaux de carbone 14 dans des échantillons de tissus peut donner un bon aperçu de ce qu’étaient les niveaux atmosphériques à un moment donné. Et comme l’isotope radioactif se désintègre à un rythme régulier et prévisible, le faire coïncider avec d’autres méthodes de datation, comme les cernes des arbres par exemple, peut également donner une bonne indication du rythme auquel quelque chose vieillit.
Au lieu des cernes des arbres, l’équipe internationale de scientifiques à l’origine de cette nouvelle étude s’est tournée vers les vertèbres des requins-baleines, qui présentent des bandes visibles dont le nombre augmente avec l’âge. Il y a eu quelques spéculations sur le taux de croissance de ces cernes, certaines études concluant qu’un nouveau cerne se forme chaque année, et d’autres soutenants qu’ils se forment au moins tous les 6 mois.
A partir de l’étude : une vertèbre de requin-baleine avec des marqueurs indiquant les anneaux de croissance. (Paul Fanning/ Pakistan node of the UN Food and Agricultural Organisation)
Les chercheurs ont analysé les anneaux de croissance de deux requins-baleines morts pour évaluer leurs niveaux en carbone 14. Les différents niveaux de radioisotopes dans les anneaux de croissance leur ont ensuite permis d’avoir une idée précise de la fréquence de leur formation et, par extension, de calculer l’âge de l’animal.
Selon l’auteur de l’étude, Mark Meekan, de l’Institut australien des sciences marines :
Nous avons constaté qu’un anneau de croissance se déposait définitivement chaque année. C’est très important, car si vous surestimez ou sous-estimez les taux de croissance, vous vous retrouverez inévitablement avec une stratégie de gestion qui ne fonctionne pas, et vous verrez la population s’effondrer.
Alors que certaines études ont suggéré que les requins-baleines peuvent vivre jusqu’à 100 ans, cette méthode a permis à l’équipe de vérifier sans ambiguïté l’âge d’un individu pour la première fois, l’un des spécimens ayant été estimé comme âgé de 50 ans.
Toujours selon Meekan :
Bien que notre compréhension des mouvements, du comportement, de la connectivité et de la distribution des requins-baleines se soit considérablement améliorée au cours des dix dernières années, les caractéristiques fondamentales du cycle de vie telles que l’âge, la longévité et la mortalité restent largement inconnues. Nous avons maintenant une autre pièce du puzzle ajoutée.
L’étude publiée dans Frontiers in Marine Science : Annual Bands in Vertebrae Validated by Bomb Radiocarbon Assays Provide Estimates of Age and Growth of Whale Sharks et présentée sur le site de l’Australian Institute of Marine Science : Cold War nuclear bomb tests reveal true age of whale sharks.