Sur les inoubliables souvenirs de la première nuit d’amour de la mouche du vinaigre
Après la copulation, les femelles Drosophila melanogaster (mouche du vinaigre, image d’entête) sont capables de créer des souvenirs inoubliables d’événements désagréables, de chocs électriques, que les femelles encore vierges ne peuvent créer, selon une étude publiée hier (20 novembre). Les auteurs soupçonnent que cette augmentation de la mémoire peut améliorer les chances de survie de la femelle pendant la période de ponte et guider son choix pour les sites de ponte. Quelle qu’en soit la raison, cette amélioration de la mémoire s’ajoute à une liste d’effets physiologiques et comportementaux sur les mouches femelles qui résultent de la relation sexuelle.
Les chercheurs proposent qu’un peptide sexuel pénètre dans la circulation féminine et traverse la barrière hémato-encéphalique pour activer la mémoire.
C’est très intéressant, car jusqu’à présent, on pensait que le peptide sexuel, une protéine produite dans le système reproducteur masculin et présente dans l’éjaculat, agissait sur les neurones sensoriels de l’utérus de la femelle. Ces neurones produisent une protéine réceptrice à laquelle se lie le peptide sexuel et sont considérés comme nécessaires pour les nombreux effets du peptide sur les femelles, notamment l’accélération de l’ovulation, l’augmentation du comportement de ponte, le changement de préférence alimentaire à un régime riche en protéines et le rejet par la femelle d’autres mâles. Mais les auteurs de la nouvelle étude montrent clairement que ces neurones ne sont pas nécessaires à cet effet de mémoire à long terme. En effet, la suppression du récepteur dans ces neurones n’a fait aucune différence dans la formation de la mémoire à long terme des mouches après la copulation.
Au lieu de cela, une seule paire de neurones dans le cerveau de la mouche femelle sert de médiateur de l’effet de mémoire induit par le rapport, selon Thomas Preat, un neuroscientifique de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI). L’équipe de Preat avait déjà montré que la paire de neurones était nécessaire à la mémoire à long terme des mouches adultes. Puis, « par hasard », selon Preat, alors qu’il assistait à une conférence sur les mouches, le présentateur a révélé des données montrant que ces neurones produisaient le récepteur des peptides sexuels.
De retour au laboratoire, Preat a confirmé cette découverte, ce qui a soulevé la question suivante : la mémoire à long terme était-elle induite chez les femelles par le peptide sexuel ? Apparemment oui, l’équipe a montré que les femelles accouplées qui avaient appris à éviter un choc électrique en réponse à une odeur particulière évitaient systématiquement les chocs lorsqu’on leur présentait l’odeur le lendemain de leur entraînement, les femelles vierges avaient un rappel beaucoup moins solide et recevaient beaucoup plus de chocs en conséquence.
De plus, les femelles qui se sont accouplées avec des mâles dépourvus de peptides sexuels avaient une mémorisation semblable à celle des vierges, tandis que ces dernières qui ont reçu une injection de peptides sexuels avaient un rappel de mémoire équivalent à celui de leurs homologues accouplées.
Le besoin en peptides sexuels est » très clairement démontré… avec de bons contrôles « , dit le neurogénéticien Jean-Maurice Dura de l’Institut de génétique humaine de Montpellier, France, qui n’a pas participé à cette recherche et qui ajoute :
Ce n’est pas que les femelles vierges n’ont aucune mémoire. C’est juste à court terme. Elles pouvaient apprendre à éviter les chocs pendant la formation, mais elles ne pouvaient pas retenir cette information le lendemain. Contrairement à la mémoire à court terme, la mémoire à long terme chez les mouches du vinaigre nécessite une synthèse protéique et elle est donc énergétiquement coûteuse.
Peut-être que les mouches ont évolué pour éviter un processus aussi coûteux jusqu’à ce qu’il soit crucial, lorsque la survie de la progéniture est en jeu.
Ces changements dans les performances de la mémoire pourraient permettre aux femelles accouplées d’augmenter leurs chances de survie, de trouver des ressources alimentaires et d’identifier des endroits convenables pour pondre leurs œufs. À cet égard, il serait instructif de savoir si les femelles accouplées ont aussi une meilleure mémoire appétitive, la capacité de se rappeler les indices associés aux récompenses plutôt qu’à douleur.
Parmi les autres questions soulevées par ces travaux, mentionnons celles qui ont trait à une protéine appelée MIP (peptides myoinhibiteurs), qui se lie également au récepteur des peptides sexuels et qui est produite chez les mouches mâles et femelles, accouplées et non accouplées. L’équipe a montré que les femelles qui n’avaient pas de MIP étaient incapables de générer des souvenirs à long terme aussi efficacement après l’accouplement que leurs homologues sauvages. Pourquoi le MIP ne permet pas la formation d’une mémoire à long terme en l’absence de copulation et si les mâles, qui produisent à la fois les MIP et le récepteur, ressentent également une stimulation de la mémoire induite par le sexe, font actuellement l’objet de recherches selon Preat.
La question la plus intrigante est peut-être de savoir comment ces résultats se rapportent aux mammifères et aux humains. Plusieurs études chez les rongeurs montrent que les femelles présentent une plasticité remarquable dans le cerveau pendant la grossesse. Et cette étude ouvre maintenant la voie à la recherche pour déterminer si les composés du sperme identifiés chez les mammifères, y compris les humains, pourraient être à l’origine d’une telle plasticité induite par l’accouplement.
L’étude publiée dans Science Advances : A sperm peptide enhances long-term memory in female Drosophila.