Nous pouvons maintenant filmer le déroulement de réactions chimiques au niveau atomique
Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à filmer un processus chimique se déroulant à l’échelle atomique.
L’étude, rédigée par Junfei Xing, du Département de chimie de l’université de Tokyo (Japon), montre qu’il existe des étapes distinctes dans le processus de synthèse chimique. Leurs travaux pourraient aider à orienter de nouvelles stratégies et méthodes de synthèse chimique avec plus de contrôle et de précision encore jamais atteintes. Selon les chercheurs, les applications principales sont la science des matériaux et le développement de médicaments.
Image d’entête : Images au microscope électronique de l’échantillon d’essai à différents grossissements. (Nakamura et col./ Nature)
Selon le professeur Eiichi Nakamura, coauteur de l’étude :
Depuis 2007, les physiciens ont réalisé un rêve vieux de plus de 200 ans, la capacité de voir un atome individuel.
Mais cela ne s’est pas arrêté là. Notre groupe de recherche a dépassé ce rêve en créant des vidéos de molécules pour voir les réactions chimiques avec un niveau de détail sans précédent.
L’équipe de Nakamura est spécialisée dans le domaine de la synthèse des matériaux, avec un accent particulier sur le contrôle des procédés utilisés dans ce domaine. Cependant, ils ont toujours été gênés par l’absence d’outil pour observer ces processus au fur et à mesure qu’ils se déroulent.
Les différentes étapes de réactions chimiques complexes sont difficiles à étudier, car elles impliquent de multiples étapes intermédiaires, ce qui les rend très difficiles à modéliser. En théorie, nous pourrions nous contenter d’examiner les étapes qui se déroulent. Dans la pratique, cependant, il était impossible d’isoler les produits à chaque étape et de voir comment ils évoluaient dans le temps.
Selon Koji Harano, professeur associé du projet dans le groupe de Nakamura et coauteur de l’étude :
Les méthodes d’analyse conventionnelles telles que la spectroscopie et la cristallographie nous donnent des informations utiles sur les résultats des processus, mais seulement des indications sur ce qui se passe au cours de ceux-ci.
Par exemple, nous nous intéressons aux cristaux à metal–organic frameworks (MOF). La plupart des études se penchent sur la croissance de ces derniers, mais ratent le stade précoce de la nucléation, car il est difficile à observer.
Nakamura et l’équipe ont passé plus de 10 ans à travailler sur une solution et finalement ils en ont développé une qu’ils appellent la microscopie électronique moléculaire. Il s’agissait de relever le défi technique consistant à combiner un microscope électronique très puissant avec un capteur d’imagerie rapide et sensible (utilisé pour enregistrer la vidéo), tout en trouvant un moyen de choisir et de maintenir les molécules d’intérêt devant l’objectif.
Pour ce dernier, l’équipe a utilisé un nanotube de carbone spécialement conçu qui était maintenu au point focal du microscope électronique. Cela permettrait d’accrocher les molécules qui passent et de les maintenir en place, mais pas d’interférer chimiquement avec. La réaction a ainsi pu se dérouler sur la pointe du nanotube, où l’équipe a pu l’enregistrer.
Vidéo montrant pour la première fois la molécule cubique indispensable aux cristaux MOF. (Nakamura et col./ Nature)
Selon Harano :
Ce fut un défi complexe, mais nous avons visualisé ces vidéos moléculaires pour la première fois en 2013. Depuis ce temps et jusqu’à aujourd’hui, nous avons travaillé pour faire de ce concept un outil utile.
Notre premier succès a été de visualiser et de décrire une molécule en forme de cube, qui est une forme intermédiaire cruciale dans la synthèse du MOF. Il a fallu un an pour convaincre nos examinateurs que ce que nous avons trouvé est réel.
L’équipe affirme que leur travail est la première étape vers un contrôle précis et contrôlé de la synthèse chimique, un terme qu’ils appellent « synthèse rationnelle ». Si nous savons ce qui se passe à chaque étape d’une réaction chimique, nous pouvons mieux contrôler les résultats.
Avec le temps, l’équipe espère que leur travail mènera à des choses comme les minéraux synthétiques pour la construction, ou même à de nouveaux médicaments.
L’étude publiée dans Nature : Atomistic structures and dynamics of prenucleation clusters in MOF-2 and MOF-5 syntheses et présentée sur le site de l’université de Tokyo : Chemistry in motion.