Une découverte qui pourrait radicalement changer nos connaissances sur la façon dont certains virus se propagent
Les virus sont les meubles IKEA du monde vivant. Dans le bon type de cellule, une poignée d’instructions et quelques outils moléculaires peuvent produire des multitudes “d’étagères” infectieuses. Aucun bricoleur ne veut parcourir toute la ville pour rassembler les matériaux nécessaires, en théorie, les virus ne devraient pas être différents. Pourtant, une nouvelle découverte suggère qu’au moins une catégorie de virus peut encore se reconstituer, même si ses instructions sont divisées en cellules séparées.
Une équipe de chercheurs de l’université de Montpellier et de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), en France, a récemment mené une expérience sur un groupe de virus dont le génome est composé de plusieurs sections distinctes. Ce qu’ils ont trouvé va à l’encontre de certaines hypothèses assez fondamentales sur la façon dont les virus se reproduisent.
Pour comprendre l’étrangeté de leur découverte, nous devons d’abord rafraîchir un peu les bases sur la construction de virus. Un virus typique est composé d’acide nucléique à l’intérieur d’un contenant protecteur. Une fois introduite clandestinement à l’intérieur d’une cellule vivante, cette séquence d’acide nucléique est soit insérée dans la banque génétique de l’hôte, soit utilisée pour contraindre la chaîne de production moléculaire de la cellule infectée à produire de nouvelles copies du virus. Presque tous les virus codent leurs empreintes génétiques sur une longueur d’acide nucléique simple (monocaténaire) ou double brin (bicaténaire). Mais certains virus à ADN monocaténaire décrits comme » multipartites » répartissent ce code sur plusieurs segments, chacun transmis dans une boîte de protéines distincte.
Il semble donc qu’en livrant leurs propres pages du manuel d’instructions génétiques de cette façon, les virus multipartites semblent se reproduire à la dure. Ce qui amène à se demander pourquoi une méthode de reproduction aussi bizarre persiste, la nature par le biais de l’évolution ayant tendance à trouver le plus court chemin pour arriver à ses fins. Une variété de ces pathogènes sérialisés infectent les plantes et les champignons. Il y a seulement quelques années, on en a trouvé un qui infectait des animaux pour la première fois. Ils existaient bien avant nous et ils sont difficilement voués à l’extinction. Selon Anne Sicard, phytopathologiste à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et à l’université de Montpellier :
Les chances qu’un virus multipartite perde un segment essentiel du génome pendant la transmission sont estimées si élevées que sa capacité à provoquer avec succès une infection reste un vieux mystère.
- La plupart des virus encodent leur génome sur un segment d’ARN/ ADN, qui est entièrement encapsulé dans une particule.Cette particule infecte la cellule, produit des copies d’elle-même, puis sort.
- Certains virus (comme la grippe) divisent leur génome en plusieurs segments, bien qu’ils soient tous logés dans une même particule. Cette particule virale infecte aussi la cellule, produit des copies d’elle-même, puis sort.
- Un très petit sous-ensemble de virus (avec une préférence pour les plantes, aucun n’a encore été découvert chez l’homme) divise leur génome en plusieurs segments, qui sont ensuite divisés en plusieurs particules !
Cette étude se concentre sur ce dernier groupe de virus et elle a constaté que les particules individuelles semblent infecter différentes cellules, fabriquer les composants viraux (enveloppe/ capside, protéine de réplication, etc.) séparément et les exporte ensuite dans les autres cellules…
Quelque chose dans notre savoir concernant la façon dont les virus se reproduisent est manquant. Soit des ensembles complets d’instructions se retrouvent dans des cellules individuelles, soit il se passe quelque chose d’unique. Pour approfondir la recherche, l’équipe a utilisé le virus faba bean necrotic stunt (FBNSV famille des Famille des Nanoviridae (nanovirus)), un agent pathogène des pois et des haricots (Vicia faba/ fèves et féveroles) qui est composé de 8 paquets de “chromosomes” viraux.
Image d’entête : micrographie électronique à contraste négatif de particules de Faba bean necrotic yellows virus (FBNYV). La barre d’échelle est à 50 nm. (L. Katul et D.-E. Lesemann)
Des marqueurs fluorescents ont ensuite été utilisés pour localiser les points d’extrémité des différentes sections du génome à l’intérieur des plantes de féveroles infectées. En utilisant différentes couleurs et en testant les combinaisons de segments séparés, l’équipe a pu vérifier qu’il était extrêmement improbable qu’un ensemble complet de segments génétiques se retrouve au hasard dans une cellule. Pourtant, cela ne semblait pas empêcher la copie de segments et c’était également vrai pour les segments qui ne faisaient pas partie intégrante des fonctions les plus élémentaires du virus, comme la réplication, l’encapsidation et les mouvements au sein de l’hôte. Selon le virologue Stéphane Blanc de l’université de Montpellier :
Dans l’ensemble, nous avons montré que des segments distincts du génome d’un virus ne sont pas nécessairement réunis au sein de cellules hôtes individuelles, et que l’accumulation d’un segment du génome dans une cellule est entièrement indépendante de l’accumulation des autres.
Les implications de cette découverte suggèrent que les produits d’un ensemble d’instructions génétiques peuvent avoir de profondes influences, aidant à activer des segments dans d’autres cellules. Les chercheurs ont trouvé des preuves de cette hypothèse en cherchant la molécule codée par le segment du génome responsable de la réplication. Moins de la moitié des cellules de la plante contenaient des copies de ce segment de réplication, mais près de 85 % de ses cellules contenaient son produit. Curieusement, tout ce processus ressemble davantage au fonctionnement d’un organisme multicellulaire, les cellules séparées étant forcées d’assumer des tâches individualisées dans la construction d’un seul virus. Pour les chercheurs :
Il est concevable que ce mode de vie » multicellulaire » puisse être adopté dans de nombreux systèmes viraux et ouvre un tout nouvel horizon de recherche en virologie.
L’étude publiée dans Elife : A multicellular way of life for a multipartite virus.