Des scientifiques révèlent une énorme biosphère de vie cachée sous nos pieds
Une étude qui s’étend sur une décennie a permis de recenser l’un des écosystèmes les plus vastes et les moins bien compris de la planète, la « biosphère profonde » qui s’étend sur plusieurs kilomètres dans la croûte terrestre. Parmi les trouvailles, il y a d’étranges créatures qui peuvent survivre à des profondeurs, des pressions et des températures records, et même des bactéries « zombie » qui ont des cycles de vie de millions, voire de dizaines de millions d’années.
Image d’entête : nématode (eucaryote) dans un biofilm de micro-organismes. Ce nématode (Poikilolaimus sp.) de la mine d’or Kopanang en Afrique du Sud vit à 1,4 km sous la surface. (Gaetan Borgonie/ Extreme Life Isyensya)
Le projet, connu sous le nom de Deep Carbon Observatory, est le fruit d’une collaboration internationale entre scientifiques sur près de 10 ans. Les données ont été recueillies sur des centaines de sites à travers le monde, avec des échantillons prélevés sur le terrain dans des mines et des forages à 5 km de profondeur et jusqu’à 2,5 km sous le fond marin.
À l’aide de ces données, les chercheurs ont modélisé ces profonds écosystèmes terrestres et estimé la quantité de vie qui s’y trouve. Selon leurs calculs, jusqu’à 6 cellules x1029 vivent sous les masses continentales. Si l’on inclut la vie sous les fonds marins, il y a environ 15 à 23 milliards de tonnes de biomasses de carbone. La biosphère profonde elle-même occupe probablement jusqu’à 2,3 milliards de kilomètres cubes, ce qui représente presque le double du volume total des océans de la planète. Le sous-sol de la Terre grouille de vie, totalisant 245 à 385 fois plus de masse de carbone que tous les humains à la surface.
Selon Isabelle Daniel, de l’université de Lyon 1 en France :
Il y a dix ans, nous ne savions pas que les rochers sous nos pieds pouvaient être aussi largement habités. Les recherches expérimentales nous ont montré que les microbes pouvaient potentiellement survivre jusqu’à une grande profondeur ; à l’époque, nous n’avions aucune preuve, et cela s’est concrétisé 10 ans plus tard. C’est tout simplement fascinant et cela suscitera sûrement l’enthousiasme pour la recherche de la frange bioticoabiotique sur Terre et ailleurs.
Alors, quel genre de créatures vivent là-dessous ? L’équipe affirme que les trois domaines de la vie, les groupes les plus larges de l’arbre de vie, sont représentés, avec une diversité génétique au moins aussi étendue qu’à la surface. Deux de ces domaines, les bactéries et les archées, dominent la biosphère profonde, qui pourrait contenir jusqu’à 70 % de la quantité totale de ces groupes sur Terre. La grande majorité d’entre eux sont encore complètement inconnus de la science.
Une espèce de Methanobacterium (archées), qui produit du méthane. Trouvé dans des échantillons prélevés dans un lit de charbon enfoui à 2 km sous le fond de l’océan Pacifique, au large du Japon. (Hiroyuki Imachi/ Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC), Japon)
Les créatures que l’on trouve dans cette biosphère profonde battent constamment des records des extrêmes (extrêmophile) connus dans lesquels la vie peut survivre. Les formes de vie les plus profondes ont été découvertes jusqu’à 5 km sous terre et 10,5 km sous la surface de l’océan.
Candidatus Desulforudis audaxviator (les cellules en forme de bâtonnets bleus violacés chevauchants des sphères de carbone orange) est une espèce de bactéries qui survit grâce à l’hydrogène (H2) par radiolyse de l’eau et du sulfate dérivés de l’oxydation de la pyrite par de l’oxygène et du peroxyde d’hydrogène (H2O2), et fixe le dioxyde de carbone (CO2) et l’azote (N2). Ces Desulforudis vivent dans une fracture remplie de fluide et de gaz à 2,8 km sous la surface de la Terre dans la mine d’or Mponeng près de Johannesburg, Afrique du Sud. Étonnamment, les scientifiques n’ont trouvé aucun autre organisme dans leurs échantillons, faisant de cet écosystème profond le premier à être découvert sur Terre avec une seule espèce. Le nom de genre Desulforudis vient du latin pour « du soufre » et « tige », notant sa forme et sa capacité à obtenir de l’énergie des sulfates. (Greg Wanger – California Institute of Technology, États-Unis/ Gordon Southam – Université du Queensland, Australie)
Mais la plus étrange de toutes, ce sont peut-être les bactéries que les chercheurs qualifient de « zombies ». Ces organismes ont des cycles de vie à des échelles de temps presque géologiques, des millions, voire des dizaines de millions d’années. Mais ce n’est pas vraiment une vie, ils ne grandissent pas vraiment ou ne subissent pas de division cellulaire. Elles se concentrent sur le peu d’énergie dont elles disposent pour tout juste maintenir leur existence.
Selon les scientifiques, nous avons à peine commencé à gratter la (sous) surface de la biosphère profonde. Non seulement la plupart des espèces demeurent inconnues, mais il faut encore savoir comment elles vivent, se reproduisent, se déplacent, affectent la vie en surface et sont affectées par des événements naturels, comme les tremblements de terre, et non naturels.
Les chercheurs ont présenté leur découverte lors de la réunion de l’American Geophysical Union cette semaine et publiés leur recherche dans la revue Geobiology : Survival of the fewest: Microbial dormancy and maintenance in marine sediments through deep time. Les résultats sont également présentés sur le site du Deep Carbon Observatory : Life in Deep Earth Totals 15 to 23 Billion Tonnes of Carbon et dans la revue Nature :The biomass and biodiversity of the continental subsurface.