Éthique d’un autre monde : un scientifique chinois affirme avoir édité les gènes de bébés humains pour la première fois
Des bébés génétiquement modifiés sont là. Du moins, c’est ce que prétend un chercheur chinois. Selon He Jiankui, de la Southern University of Science and Technology de Shenzhen (Chine), des jumelles nées dans cette ville, il y a quelques semaines, sont les premiers êtres humains dont les gènes ont été édités par la méthode d’édition génétique (plutôt de correction de séquence génomique) CRISPR.
Si ses affirmations sont vraies, cela représenterait un bond en avant énorme et irréfléchi dans le domaine de l’édition génétique. Les scientifiques sont stupéfaits, mais sceptiques et s’inquiètent sérieusement de la validité scientifique des travaux et de leurs implications éthiques.
D’abord, une brève leçon de science. Le CRISPR agit comme une paire de ciseaux génétiques, permettant aux scientifiques d’extraire les gènes de l’ADN et d’éliminer les traits indésirables. Cette technique a un énorme potentiel, de la fin de la famine à l’élimination des maladies génétiques, mais la recherche est prudente alors que ceux qui travaillent sur le terrain naviguent dans un champ de mines technique et éthique.
La technique CRISPR a déjà été utilisée sur des embryons humains, mais la plupart des scientifiques s’entendent pour dire qu’elle est loin d’être assez perfectionnée pour que ces embryons soient implantés dans l’utérus, ce qui, selon He Jiankui, a été fait.
Selon Sarah Chan, bioéthicienne et directrice du Mason Institute for Medicine, Life Sciences and the Law de l’université d’Edimbourg (Ecosse) :
Il est largement reconnu que la science n’est pas encore prête pour une application clinique. Il faut faire plus pour résoudre les incertitudes et essayer de comprendre les risques.
Il y a deux principaux problèmes scientifiques auxquels les chercheurs sont confrontés avec le CRISPR, et que He Jiankui prétend avoir résolus. Le premier est les » effets hors cible « , c’est-à-dire le danger d’éditer d’autres gènes en plus de celui que vous essayez de modifier. Le deuxième problème est celui de la » mosaïque « , c’est-à-dire de la modification réussie d’une partie seulement des cellules d’un organisme. Nous n’avons aucune idée de l’effet que cela pourrait avoir sur la personne. Si cela est pratiqué pour la mucoviscidose, par exemple, et que vous n’avez obtenu la correction que dans un quart des cellules, cette personne aura toujours la mucoviscidose.
S’il a fait les percées scientifiques nécessaires pour surmonter ces obstacles, il y en a peu de preuves dans les travaux publiés. Cette percée n’a pas été rapportée dans une revue à comité de lecture. Au lieu de cela, elle a été révélée dans deux rapports médicaux affichés dans le registre des essais cliniques chinois et dans une vidéo promotionnelle sur YouTube (ci-dessous).
Selon Ewan Birney, directeur de l’Institut européen de bioinformatique, ce travail serait « presque certainement » contraire à l’éthique dans un contexte européen et de rajouter :
Ce type de science a besoin d’une réglementation forte dans laquelle la société peut avoir confiance.
Birney soulève également des questions sur le choix du gène sur lequel He Jiankui et ses collègues ont choisi de se concentrer. La plupart des discussions sur l’utilisation du CRISPR chez les humains ont porté sur des maladies génétiques comme la mucoviscidose, des maladies qui peuvent être dépistées à l’aide des techniques actuelles.
Toujours selon Birney :
Il n’existe actuellement aucune maladie génétique grave pour laquelle le diagnostic avant la mise en œuvre ne fonctionnerait pas, mais le CRISPR le ferait.
Il aurait examiné le gène CCR5, qui est utilisé pour créer des canaux protéiques que le VIH utilise pour pénétrer dans les cellules. Les personnes qui n’ont pas le gène ont une certaine résistance à la maladie, et certains traitements utilisent des médicaments pour bloquer ces canaux et empêcher l’entrée du virus.
Il a recruté des couples dont le père était séropositif et la mère séronégative, et il a utilisé CRISPR pour retirer le gène CCR5 des embryons et leur donner une résistance au VIH. Cependant, selon Harper et d’autres, le risque de transmission du VIH dans ce scénario est relativement faible, et il existe d’autres méthodes éprouvées pour réduire davantage ce risque.
Selon Chan :
Nous ne parlons plus d’une maladie incurable, inguérissable et en phase terminale. Mettre ce petit avantage marginal contre les risques importants et encore inconnus de l’utilisation de l’édition génétique n’est pas une attitude éthique ou responsable.
Pour Chan, que quelqu’un qui se précipite ainsi sans attendre un consensus public sur l’utilisation des technologies d’édition génétique chez les humains risque de faire reculer tout le domaine.
Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un dialogue public mondial et inclusif qui tente de s’engager avec toutes les parties concernées.
Le moment où cette nouvelle apparait est intéressant. Il arrive au moment où les plus grands généticiens du monde se réunissent à Hong Kong à l’occasion du deuxième Sommet international sur la révision du génome (Second International Summit on Genome Editing). Il doit prendre la parole mercredi et jeudi, et la communauté scientifique attend avec impatience d’autres détails sur ses travaux qui pourraient vérifier ou discréditer ses affirmations.
Dans sa vidéo YouTube, He Jiankui dit qu’il veut que la technologie soit utilisée uniquement pour la prévention des maladies, et non pour manipuler des choses comme l’apparence et le QI.
La chirurgie génétique est et doit rester une technologie de guérison.
S’il est possible de vérifier ses affirmations, les prochaines étapes consisteront à faire confirmer la sécurité et l’efficacité de la procédure par plusieurs équipes de recherche avant qu’elle ne soit largement utilisée sur les humains, puis à tenir un débat public et politique et à modifier la législation.
En même temps que le Guru écrivait ces quelques lignes, Reuters annonçait que le généticien chinois a révélé qu’une autre femme était enceinte d’un autre bébé aux gènes édités.
Annoncé sur le site du MIT : Chinese scientists are creating CRISPR babies.