En Éthiopie, les géladas et les loups forment une alliance qui ressemble aux prémices de la domestication faite par les humains
Dans les prairies d’Éthiopie, des scientifiques ont été stupéfaits de trouver un exemple frappant de collaboration inter-espèces. Des loups éthiopiens (Canis simensis) ont été vus, par hasard, déambulant parmi des groupes de singes géladas (Theropithecus gelada), que l’on s’attendrait à voir fuir un tel prédateur. Mais il semble que les singes tolèrent la présence des loups et n’ont pas peur d’eux. Les loups, par contre, ignorent le potentiel des géladas comme repas, préférant s’attarder autour du groupe parce que cela les aide à attraper plus de rongeurs. Pour certains chercheurs, cette étrange relation ressemble à l’ancienne domestication des chiens ou des chats par les humains.
Image d’entête, à partir de l’étude : A – Un rongeur afro-alpin parmi les géladas. B et C, des loups éthiopiens à la recherche de rongeurs parmi les géladas et D un loup éthiopien capture avec succès un rongeur parmi les geladas (Vivek V. Venkataraman et col./ Malcolm Ramsay/ Journal of Mammalogy).
Les singes géladas ressemblent beaucoup à des babouins. Ces primates sont connus pour vivre dans des groupes familiaux étroitement liés, mais ils peuvent aussi vivre au sein de communautés d’une étonnante ampleur, constituées de centaines d’individus. Ils vivent en paix même dans les communautés les plus nombreuses, ce qui est relativement rare dans les régions sauvages d’Afrique.
(Clay Wilson, Shayna Liberman)
Les géladas sont graminivores, ce qui signifie que leur régime alimentaire est composé à 90 % d’herbe. Ce sont essentiellement les seuls primates vivants qui subsistent presque entièrement de graminées, un trait plus commun aux ongulés comme le cerf et le bétail.
Tandis que les primates se rassemblent en grands groupes, grignotant de l’herbe pendant des heures et des heures, le loup éthiopien, astucieux (et menacé) se mêle aux geladas. Habituellement, les loups se déplacent en zig-zag, sprintant quand ils sentent que leur proie est à leur portée. Mais, autour des Géladas, les loups errent de façon décontractée, en veillant à ne pas effrayer le groupe.
Des chercheurs du Dartmouth College (New Hampshire, États-Unis) ont observé la dynamique entre les espèces pour une nouvelle étude. Ils concluent que le loup éthiopien n’est pas intéressé par les Géladas pour s’en nourrir, bien qu’ils n’aient aucun scrupule à chasser les jeunes moutons et chèvres. Les singes semblent le savoir, car ils ne semblent pas se sentir menacés en présence des prédateurs.
Après avoir suivi des loups éthiopiens pendant 17 jours, les chercheurs ont constaté que les individus qui chassaient les rongeurs au sein d’un groupe de geladas réussissaient dans 67 % des tentatives, comparativement à un taux de réussite de seulement 25 % lorsqu’ils rôdaient seuls.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Pour les loups éthiopiens, établir une proximité avec les géladas en tant que commensales de recherche de nourriture pourrait être une stratégie adaptative pour augmenter le succès de la recherche de nourriture. La nouvelle dynamique documentée ici fait la lumière sur les circonstances écologiques qui contribuent à la stabilité de groupes mixtes de prédateurs et de proies potentielles.
Pour l’instant, on ne sait pas très bien ce qui fait que les loups réussissent mieux à chasser au sein des groupes de géladas. Les singes chassent peut-être les rongeurs de leurs terriers à cause de leur broutement insistant, mais c’est juste une hypothèse non vérifiée pour l’instant. Alternativement, les singes pourraient fournir un leurre pour les loups, distrayant les rongeurs du dangereux prédateur.
Parfois, un loup attaque un jeune gélada et il arrive souvent dans ce cas que les autres singes du groupe attaquent sans tarder le loup, l’obligeant à lâcher le nouveau-né. Une fois le loup chassé, il n’est plus admis au milieu du groupe. D’autres individus semblent bien comprendre cette dynamique et résisteront à la tentation de croquer un gelada au profit de la perspective de meilleurs dividendes à long terme.
Les chercheurs notent que le loup éthiopien pourrait vagabonder autour d’autres espèces, comme le bétail, pour chasser d’autres rongeurs. Il est également possible que d’autres espèces de prédateurs fassent quelque chose de semblable sans que nous le sachions encore.
Ce qui est intrigant, c’est que la tolérance graduelle entre les deux espèces est très semblable au processus de domestication effectué par les humains sur les chiens. Les premiers loups ont commencé à être domestiqués par les humains il y a entre 40 000 et 11 000 ans, mais les détails sur la façon dont cela s’est produit ne sont pas clairs. Selon une hypothèse, les loups ont commencé à traîner autour des humains, qui laissaient de grosses carcasses derrière eux après chaque grande chasse. Peu à peu, les deux espèces se sont habituées l’une à l’autre. Plus tard, les loups ont peut-être aidé les humains à chasser, consolidant ainsi leur relation.
Les résultats ont été publiés dans le Journal of Mammalogy : Solitary Ethiopian wolves increase predation success on rodents when among grazing gelada monkey herds.