C’est une véritable averse d’éléments chimiques qui tombe des anneaux de Saturne sur celle-ci
Il y a environ un an, une plongée spectaculaire dans Saturne a mis fin à la mission Cassini de la NASA et avec elle, une expédition de recherche unique de 13 ans sur le système Saturnien. Au cours des 5 derniers mois de la mission, la sonde est de nouveau entrée en territoire inexploré : 22 fois, elle a plongé dans la région, jusqu’alors presque inexplorée, entre la planète Saturne et son anneau le plus profond, l’anneau D (image d’entête). Ce vendredi 5 octobre 2018, ce sont 11 études qui ont été publiées décrivant les premiers résultats de cette phase de la mission.
Ces nouvelles recherches montrent notamment que les anneaux de Saturne sont très complexes chimiquement, et changent activement la composition de l’atmosphère de la planète.
Les données transmises par la sonde Cassini lors de son plongeon dans les profondeurs de Saturne montrent que ses anneaux sont chimiquement plus complexes qu’il ne l’avait été estimé auparavant.
Représentation de la sonde Cassini à proximité de Saturne. (NASA)
Pour Thomas Cravens, professeur de physique et d’astronomie à l’université du Kansas et coauteur de l’étude :
C’est un nouvel élément du fonctionnement de notre système solaire.
Cravens est membre de l’équipe de la mission Cassini et notamment responsable de l’analyse des données du Spectromètre de particules chargées et neutres (INMS) à bord de la sonde. En 2017, alors que Cassini plongeait dans la haute atmosphère de Saturne, elle a échantillonné la composition chimique à différentes altitudes entre les anneaux de Saturne et son atmosphère en utilisant le spectromètre.
Son étude fait état d’une surprenante complexité chimique dans les anneaux de la planète. Cela remet en question les estimations actuelles, basées sur les observations passées, selon laquelle les anneaux « seraient presque entièrement constitués d’eau », selon Cravens qui ajoute :
Deux choses m’ont surpris. L’une est la complexité chimique de ce qui sortait des anneaux, nous pensions que ce serait presque entièrement de l’eau d’après ce que nous avons vu par le passé. La deuxième chose, c’est la quantité, beaucoup plus que ce à quoi nous nous attendions.
Le spectromètre de masse a détecté du méthane, personne ne s’y attendait. De plus, il a détecté du dioxyde de carbone, ce qui était inattendu. On pensait que les anneaux étaient entièrement faits d’eau. Mais les anneaux les plus profonds sont assez contaminés, comme il s’avère, par de la matière organique prise dans la glace.
Les mesures de l’INMS ont été effectuées dans l’espace entre l’anneau intérieur et la haute atmosphère. L’instrument a détecté la présence d’eau, de méthane, d’ammoniac, de monoxyde de carbone, d’azote moléculaire et de dioxyde de carbone dans les anneaux.
La dernière image de Saturne obtenue par la sonde Cassini avant sa plongée kamikaze dans celle-ci. (NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute)
Les grains de poussière de l’anneau D (le plus interne) de Saturne tombent constamment en pluie dans la haute atmosphère de la planète, charriant une couche de ce « cocktail chimique ». Selon les chercheurs, ce processus se déroule à un rythme extraordinaire, 10 fois plus rapide que prévu. Il est alimenté par les différentes vitesses de rotation de la planète et de ses anneaux (les anneaux tournent plus vite que l’atmosphère de la planète). Avec le temps, ce processus a probablement modifié la teneur en carbone et en oxygène de l’atmosphère de Saturne.
Selon M. Cravens :
Nous avons observé ce qui se passait, même si ce n’est pas tout à fait compris. Ce que nous avons constaté, c’est que ce matériau, comprenant de la benzine, altérait l’atmosphère la plus élevée de Saturne, dans la région équatoriale. Il y avait des grains et de la poussière qui étaient contaminés.
Non seulement les résultats de l’étude mettent en lumière la complexité chimique des anneaux, mais ils soulèvent également d’importantes questions concernant leur formation, leur durée de vie et leur interaction avec la planète. Par exemple, étant donné le taux très élevé de transfert de matière dans l’atmosphère, on peut supposer que les anneaux planétaires ont une durée de vie beaucoup plus courte qu’on ne l’avait estimé. En l’absence d’une source de matière fraîche pour compenser ce flux de particules, les anneaux peuvent simplement s’écouler dans le vide. Une possibilité découlant de ces découvertes est que Jupiter avait probablement aussi son propre ensemble d’anneaux, qui se sont graduellement écoulés dans le “sentier” qui entoure actuellement la géante gazeuse.
L’origine de ces matériaux complexes intéresse également les astronomes :
La matière des anneaux reste-t-elle de la formation de notre système solaire ? Cela remonte-t-il à la nébuleuse proto pré-solaire, la nébuleuse qui s’est effondrée du milieu interstellaire qui a formé le soleil et les planètes ?
Enfin, l’équipe signale que cet afflux de matière a également un impact sur l’ionosphère de la planète en transformant les ions hydrogène et les ions hydrogène triatomiques, en ions moléculaires plus lourds, ce qui dépouille l’ionosphère de ses particules chargées.
Mais la principale contribution de Cravens a consisté à interpréter ces données en se concentrant sur la façon dont les matériaux des anneaux altèrent l’ionosphère de Saturne. Les chercheurs rapportent que l’afflux de produits chimiques provenant des anneaux modifie la chimie ionosphérique équatoriale de Saturne de la façon suivante, selon Cravens :
Ces poussières qui entrent rongent une grande partie de l’ionosphère, affectent sa composition et provoquent des effets observables. C’est ce que nous essayons de comprendre maintenant. Les données sont claires, mais les explications sont encore en cours de modélisation et ça prendra du temps.
L’étude publiée dans Science : Chemical interactions between Saturn’s atmosphere and its rings et présentée sur le site de l’université du kansas : ‘Surprising’ chemical complexity of Saturn’s rings is changing the planet’s upper atmosphere.
Ces résultats, sont joints par d’autres études, comprenant celle du chercheur Hsiang-Wen Hsu de l’université du Colorado à Boulder et ses collègues. Ils ont identifié la composition des particules de poussière qui tombent des anneaux de Saturne vers la planète.
Représentation de la trajectoire d’un « nanograin chargé », éjecté des anneaux principaux de Saturne sous l’influence de la gravité et du champ magnétique de Saturne. (H.-W. Hsu et le Cosmic Dust Analyser team)
Ces chercheurs savaient que la glace d’eau constituait plus de 95 % des anneaux de Saturne. Mais le reste de leur composition était plus mystérieux, jusqu’à maintenant. L’équipe de Hsu a observé les grains de glace et a constaté qu’il y a aussi des quantités significatives de silicate. Leurs résultats publiés dans Science : In situ collection of dust grains falling from Saturn’s rings into its atmosphere.
Dans une autre étude, le chercheur Donald Mitchell de l’Applied Physics Laboratory (université Johns Hopkins – Etats-Unis) et ses collègues étudient également la chute des grains de poussière de Saturne, bien qu’ils se soient concentrés sur la physique qui les fait tomber. Dans Science : Dust grains fall from Saturn’s D-ring into its equatorial upper atmosphere.
Cependant, toutes ces études ne se concentrent pas uniquement sur les anneaux. Dans une autre étude, la chercheuse Michele Dougherty de l’Imperial College London et ses collègues ont utilisé les données des dernières transmissions de Cassini pour étudier le champ magnétique de la planète. Ils ont identifié des structures magnétiques à petite échelle qui suggèrent un processus complexe et dynamique à l’intérieur de Saturne. Leurs résultats publiés dans Science : Saturn’s magnetic field revealed by the Cassini Grand Finale.
Dans un autre article, Elias Russos de la Max Planck Institute for Solar System Research et son équipe détaillent leur découverte d’une nouvelle ceinture de radiations dans les anneaux de Saturne (dans Science : A radiation belt of energetic protons located between Saturn and its rings). De plus, le chercheur Laurent Lamy de l’Observatoire de Paris (Université Paris Sciences et Lettres – CNRS – France) et ses collègues ont pris des mesures pendant que Cassini parcourait les régions de la magnétosphère de la planète qui produisent des émissions radio aurorales planétaires. Ces émissions sont générées dans toutes les planètes magnétisées connues. Leurs résultats publiés dans Science : The low-frequency source of Saturn’s kilometric radiation.
Et 5 autres études toujours concernant les dernières données transmises par feu la sonde Cassini ont également été publiées dans la revue Geophysical Research Letters. Votre Guru vous en décrira probablement certaines plus précisément, dans un futur proche.