Vers Hibernatus : 42 000 ans après, des vers congelés reviennent à la vie
Le fleuve Kolyma, dans le nord-est de la Sibérie, coule sur plus de 2 129 kilomètres avant de se jeter dans une partie de l’océan Arctique. La plupart du temps (environ 250 jours par an), le Kolyma est gelé sur plusieurs mètres de profondeur. De même, la plus grande partie du parcours qu’il emprunte est entourée de glace épaisse, il s’agit du pergélisol.
La section “Duvanny Yar”, sur les bords du fleuve Kolyma, là (dans le pergélisol) où ont été découverts les nématodes. C’est une zone étudiée par de nombreux scientifiques, car elle représente une section stratégique de la stratigraphie de la fin de la période quaternaire de Sibérie orientale. (Nikita Zimov/Doklady Biological Sciences/ Pleiades Publishing)
Il y a quelque temps, des biologistes russes de quatre institutions en collaboration avec l’université de Princetown (États-Unis) ont déterré plus de 300 échantillons de sol gelé de la région. Ils ont découvert que les échantillons fourmillent de vie microscopique : des cyanobactéries unicellulaires, des algues vertes et des levures. Mais parmi ces échantillons, ils ont aussi trouvé des organismes macroscopiques, à savoir des nématodes (Panagrolaimus aff. detritophagus et Plectus aff. parvus) ou encore appelés ascaris.
Image d’entête : les nématodes isolés des dépôts de pergélisol des basses terres de la rivière Kolyma. (Shatilovich et col./ Doklady Biological Sciences)
Certains ont été trouvés dans ce qui était probablement un terrier d’écureuil terrestre d’il y a environ 32 000 ans, mais ils s’étaient depuis lors effondrés et gelés. Les autres ont été trouvés dans un échantillon de forage à une profondeur d’environ 3,5 mètres. Ils ont été datés au carbone et ils avaient 42 000 ans. Il y a toujours un risque de contamination, mais les chercheurs ont détaillé leurs pratiques strictes, et l’examen par les pairs a également confirmé les procédures de stérilité.
Après avoir identifié les vers, les biologistes les ont placés dans une pièce maintenue à une température moyenne de 20 °C. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’ils commencent à montrer des signes de vie. En l’espace de quelques semaines, ils se déplaçaient et mangeaient, établissant un nouveau record quant à la durée de survie des animaux gelés dans la glace.
Le précédent record revenait à des spores de bactéries, découvert en 2000 à l’intérieur de cristaux de sel vieux de 250 millions d’années, et après un traitement minutieux, les chercheurs ont pu les ramener à la vie.
Cependant, il est important de garder à l’esprit que les astuces que les bactéries utilisent pour survivre si longtemps ne peuvent pas être appliquées aux créatures macroscopiques, qui sont beaucoup plus complexes. Les ascaris sont des créatures remarquablement robustes (liées aux tardigrades), mais ils n’ont pas grand-chose à voir avec des bactéries. Pourtant, même les tardigrades, ces créatures incroyablement résistantes, ne survivent « seulement » quelques décennies après leur congélation.
En étudiant les mécanismes qui ont permis à ces nématodes de survivre, nous pouvons en apprendre davantage sur la cryomédecine/ cryothérapie et sur la façon dont les créatures (et, potentiellement, des créatures extraterrestres) survivent dans des environnements extrêmes.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Il est évident que cette capacité suggère que les nématodes du Pléistocène ont des mécanismes adaptatifs qui peuvent être d’une importance scientifique et pratiques pour les domaines scientifiques connexes, tels que la cryomédecine, la cryobiologie et l’astrobiologie.
Mais il y a un côté plus sombre à l’histoire. À mesure que le réchauffement planétaire suit son cours et qu’une grande partie du pergélisol continue de fondre, il pourrait libérer une série de pathogènes actuellement congelés. Qu’elles en seront les conséquences…
L’étude publiée dans la revue Doklady Biological Sciences : Viable Nematodes from Late Pleistocene Permafrost of the Kolyma River Lowland.