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Uek a un problème. Elle peut voir un morceau de nourriture à travers un trou dans une boîte en plastique, mais elle ne peut pas l’atteindre. Heureusement, Uek est un corbeau calédonien, un oiseau qui est à la fois intelligent et habile avec les outils. Elle s’empare d’un bâton avec son bec, elle le pousse en avant, à travers le trou et fait basculer la friandise sur une pente. Elle roule à sa portée et la récupère.

Kermit a un problème encore plus important. Il est confronté à la même friandise hors de portée. Il a le même bâton et la même débrouillardise. Mais Kermit est un Kea, un perroquet vert avec un bec pointu, mais recourbé. Il ne peut pas manier un bâton avec la même précision, que Uek avec son bec court et droit. Donc, Kermit improvise. Il prend le bâton sur le côté dans son bec et pousse une extrémité dans le trou. Il le tient dans cette position avec son pied, attrape l’autre extrémité avec son bec et enfin, un peu maladroitement, il pousse la nourriture, pour finalement, obtenir son repas.

Uek et Kermit sont membres de groupes d’oiseaux sans doute les plus intelligents : les perroquets et les corvidés (famille qui comprend les corneilles, les corbeaux, les geais et les pies). Pour leur taille, leur cerveau est à peu près aussi grand que ceux des grands singes et leur comportement peut être tout aussi sophistiquée. Ils ont prouvés qu’ils pouvaient maitriser des compétences avancées, y compris planifier l’avenir, en utilisant des outils et en résolvant des problèmes.

Maintenant, Alice Auersperg de l’Université de Vienne les a mis au défi d’exécuter la même tâche. La question évidente est : qui la fera le mieux ? Qui est le plus intelligent ? Mais ce n’est pas chose simple. Il n’existe aucun test de QI standard pour eux et aucune “checklists” universel de compétences, pour les évaluer. Au lieu de cela, les animaux ont évolué leurs aptitudes mentales pour faire face aux différents modes de vie et environnements. De nombreuses études antérieures sur l’intelligence animale, ont simplement cherché à déterminer si les animaux pouvaient ou ne pouvaient pas effectuer des tâches spécifiques. Mais il est beaucoup plus intéressant de comprendre pourquoi et comment ils exécutent des actions différentes et comment leur marque particulière d’intelligence a évolué.

C’est pourquoi Auersperg décidé de travailler avec deux des plus intelligents oiseaux de la planète, pas pour les dresser les uns contre les autres, mais pour comprendre comment ils diffèrent.

Elle a présenté à cinq corbeaux calédoniens et six keas, la même boite de puzzle avec de la nourriture en équilibre sur un poteau central. Si les oiseaux pouvaient frapper la nourriture hors du pole, elle roulait sur une plate-forme en pente pour arriver à leur portée.

Il y avait quatre façons de le faire : ils pouvaient tirer une ficelle attachée à la nourriture; ouvrir une petite fenêtre et rentrer leur tête dans la boite ;  faire rouler une bille dans une goulotte pour déplacer la nourriture hors de son socle ; ou ils pouvaient pousser la nourriture avec un bâton. Deux de ces solutions, la bille et le bâton, nécessitaient des outils et les autres non. Les oiseaux pouvaient aborder l’exercice comme bon leur semblait. Et chaque fois qu’ils apprenaient l’un des quatre tours, Auersperg le désactivait, les forçant à trouver une solution différente.

Elle a constaté qu’au moins un oiseau de chaque espèce, Uek et Kermit, a découvert les quatre techniques, ce qui montre qu’elles (ces espèces) sont certainement capables de le faire. Mais les ressemblances s’arrêtent là.

nestor-keaLes Keas sont notoirement curieux et attiré par la nouveauté. Dans leur Nouvelle-Zélande natale, ils utilisent leur bec pour l’exploration  (et la destruction) des nids, des paniers de pique-nique, en passant par les essuie-glaces. Tous les keas d’Auersperg, ont immédiatement exploré  les quatre ouvertures de la boite, en poussant, tirant, grattant et en les sondant. " Ils semblaient s’approcher de l’appareil de manière ludique, comme des enfants", dit-elle. La plupart d’entre eux ont tenté de renverser la boite, qu’Auersperg dû clouer au sol. L’un d’eux, Luc a même cassé le plexiglas.
 
Grâce à leurs investigations enthousiastes, ils ont trouvé les quatre solutions à l’énigme bien plus vite que les corbeaux. Après leur première session, ils en avaient déjà découvert au moins deux ou trois et quand chacun était bloqué, ils passaient à la suivante, avec une grande rapidité.

corbeau.caledonienA la différence du keas, le corbeau de Nouvelle-Calédonie esquive la nouveauté. Plutôt que de se précipiter le bec en avant, ils ont observé la boite avant de lui donner quelques coups de bec. L’un d’eux ne s’en est même pas approché. Ainsi, il leur a fallu plus de temps pour compléter les différentes solutions.

Mais les corbeaux avaient une longueur d’avance, ils sont naturellement des utilisateurs d’outil. Dans la nature, ils fabriquent leurs propres outils pour «pêcher» des larves d’insectes enfouis dans les journaux en décomposition (voir mon article : La pêche au gros du corbeau outillé de Nouvelle-Calédonie). En captivité, ils ont choisi le bon outil pour différents emplois, combinée différents outils ensemble et improvisée à partir de matériaux inhabituels comme des cintres. Les keas, cependant, n’utilise pas, par nature des outils et leur bec sont trop courbés, pour manier le bâton avec grâce.  

Il n’est pas étonnant alors, que les corbeaux soient plus aptes que les keas, à utiliser les bâtons pour atteindre leur nourriture. Tous les corbeaux ont réussi; des keas, seulement Kermit l’a fait avec sa technique compliquée. Les corbeaux n’ont pas tous réussi les tests en utilisant un bâton. Ils essayaient souvent de taper à la fenêtre avec leurs bâtons, tandis que les keas ont vite appris à tirer pour ouvrir à l’aide des poignées. Même quand Uek soulevait la fenêtre, elle poussait encore la nourriture avec son bâton alors qu’elle aurait pu tout simplement passer sa tête à travers.

Ce sont tous des animaux captifs qui avaient déjà pris part à des expériences diverses. Pourtant, Auesperg s’attend à ce que leur comportement reflètent celle de leurs cousins ​​sauvages et affirme que plusieurs études sont actuellement en cours avec des oiseaux sauvages.

En attendant, ces résultats montrent clairement que si les deux oiseaux sont capables de prouesses impressionnantes pour la résolution de problèmes, ils réagissent différemment à la même tâche. Ils sont influencés par leur anatomie : les corbeaux ont des becs droits, mais les keas l’ont courbé. Ils sont influencés par leurs prédispositions : les keas aiment les choses nouvelles, les corbeaux s’en détournent. Ils sont influencés par leur environnement : les keas tâtonnent au hasard pour la nourriture, les corbeaux utilisent un aiguillonnage précis. Les aptitudes mentales d’un animal n’évoluent pas dans le vide, ils sont adaptés au corps, au style de vie et à l’environnement de l’espèce.

Cela signifie qu’il est difficile de dire quoi que ce soit au sujet des compétences générales, telles que la résolution de problèmes, la mémoire ou la conscience de soi basée sur la performance d’un animal à une tâche spécifique. Il est important d’utiliser une batterie de tests, comme les quatre «solutions» de la boite de puzzle d’Auesperg. Même alors, la performance d’un animal peut dépendre davantage de son attitude à aborder la nouveauté, sa motivation ou le corps, que ses capacités mentales.

L’Étude Auersperg est une bouffée d’air frais. Elle apprécie le fait que «l’intelligence» est très différente d’une espèce à fonction de leur contexte évolutif. Plutôt que de simplement confronter les oiseaux un contre l’autre, elle a catalogué les différences entre eux et cherché à savoir pourquoi ces différences existent.

L’étude réalisé avec un partenariat entre les chercheurs du Département de biologie cognitive de l’Université de Vienne et les membres du Groupe de recherche en écologie comportementale à Oxford, dans les journaux scientifiques PLoS ONE : Flexibility in Problem Solving and Tool Use of Kea and New Caledonian Crows in a Multi Access Box Paradigm et la revue Biology Letters : Navigating a tool end in a specific direction: stick-tool use in kea (Nestor notabilis).

 

Source et Source

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