Le vent et les marées sont les principaux moteurs de la circulation mondiale de l’océan, déplaçant ses eaux sur toute la planète et mélangeant jusqu’à sa température, sa salinité et ses nutriments. Mais selon une nouvelle étude, il pourrait y avoir une autre force cruciale dans la circulation océanique que les scientifiques n’ont pas pris en compte : des milliards et des milliards de petits animaux marins qui vivent dans ses profondeurs.
Une foule de petits organismes appelés zooplancton habitent l’océan, des protozoaires microscopiques au krill pour les méduses. Bon nombre de ces animaux vivent en eau profonde pendant la journée pour éviter les prédateurs et migrent en masse, parfois sur des centaines de mètres vers la surface, pour se nourrir la nuit. John Dabiri, spécialiste en dynamique des fluides à Caltech pense que les mouvements collectifs quotidiens du zooplancton peut avoir une profonde influence sur la dynamique des océans en mélangeant ses eaux et sa nouvelle étude appuie cette théorie.
Pour imiter la migration du zooplancton dans l’océan, Dabiri et sa partenaire de recherche, Monica Wilhelmus, ont conçu un laser robotisé qui projette une lumière bleue mouvante à travers un réservoir d’eau rempli de milliers d’artémies. Ces minuscules crustacées ont suivi la lumière laser lors de son passage du fond de la cuve vers le haut et, alors qu’elles nageaient, elles renvoyaient l’eau derrière elles.
Vidéo appartenant à l’étude :
Individuellement, le coup de patte d’une artémie ne fait pas bouger beaucoup d’eau, mais comme Dabiri l’a découvert, leur migration collective crée de grands remous. Dans l’océan, cela pourrait mélanger les nutriments et la salinité de l’eau de mer plus chaude de la surface avec de la saumure froide des plus grandes profondeurs.
Vidéo tirée de l’étude (comme pour l’image d’entête) : “Le champ d’écoulement généré par la migration verticale d’Artemia salina a été mesurée par vélocimétrie par image de particules (PIV). A cet effet, des sphères creuses en verre, revêtues d’argent, de la taille du micron ont été utilisées comme traceurs et sont visibles sous forme de particules blanches suivant le mouvement du fluide. Le champ de vision est volontairement décalé de telle sorte que le bord latéral de la migration des animaux se trouve au centre, et la plus forte densité d’animaux est à la gauche du champ de vision. La lecture est sept fois plus rapide qu’en temps réel”.
Dabiri pense que, quand un nombre incalculable de zooplanctons migrent de haut en bas dans les colonnes d’eau de l’océan tous les jours, ils peuvent avoir un effet sur la circulation aussi important que le vent et les marées en ajoutant environ un trillion de watts d’énergie dans le système océanique.
De nombreux océanographes sont sceptiques face à cette théorie (appelée “biomixing”), en particulier sur le fait que la migration du zooplancton est beaucoup plus difficile à mesurer dans le monde réel que le vent et les marées. Il est difficile de passer d’une expérience de laboratoire dans un réservoir et de l’extrapoler à l’océan. Mais Dabiri estime que ses expériences en laboratoire démontrent la physique du phénomène et il ajoute :
L’océan est beaucoup plus grand que le réservoir dans notre laboratoire, mais ce dernier contenait quelques milliers de ces organismes par rapport à des milliards et des milliards d’entre eux dans l’océan.
Si la théorie de Dabiri se révèle exacte, cela pourrait aider les scientifiques à modéliser plus précisément le changement climatique. L’océan est le plus grand puits de carbone de la Terre, absorbant plus d’un quart du CO2 que l’activité humaine émet et le zooplancton pourrait jouer un rôle clé dans ce processus.
L’étude publiée dans Physics of Fluids : Observations of large-scale fluid transport by laser-guided plankton aggregations.
« L’océan est le plus grand puits de carbone de la Terre, absorbant plus d’un quart du CO2 que l’activité humaine émet et le zooplancton pourrait jouer un rôle clé dans ce processus. »
Si le processus mentionné à la fin de votre article est l’absorption du CO2, alors vous vouliez parler du phytoplancton (et non zooplancton).
@Caroline Je suis Dr. en Océanographie et travaille justement sur ce phénomène: « modélisation de la migration verticale du zooplancton et son impact sur l’export de carbone vers les profondeurs océanique ». La dernière phrase est loin d’être incorrect pour le mécanisme en question. Le phytoplancton absorbe bien le CO2 et le transforme via la photosynthèse en carbone organique. Mais ensuite le phytoplancton est consommé par le zooplancton et fluctue tout le long de l’écosystème dans une longue chute qui va l’entraîner et le stocker dans les profondeurs océanique. Si il n’y a pas de sédimentation (chute) le CO2 absorbé va juste être relargué par la respiration des organismes et il n’y aura pas de stockage.
Le zooplancton intervient à différent niveaux:
– il consomme le phytoplancton puis produit des excréments qui vont sédimenter…
– il consomme aussi les aggrégats de phytoplancton mort qui sédimentent…
– la migration du zooplancton agit aussi comme une pompe active, il se nourrit de phytoplancton en surface la nuit, puis migre en profondeur la journée et y relargue des excréments, transférant ainsi la matière organique directement de la surface à des profondeurs plus importantes (en moyenne la journée le zooplancton descent entre 100 et 400m de profondeur)
La part de CO2 capté par le phytoplancton est aussi dépendante de l’apport en nutriment. Il y a plus de nutriment en profondeur (puisqu’ils sont consommés en surface) et le mélange océanique va permettre à ces nutriments de se retrouver en surface. Ainsi le zooplancton en augmentant ce mélange par sa migration journalière va permettre au phytoplancton de produire plus.
Il permet aussi au phytoplancton de produire plus par ce qu’on appelle la production régénérée, une part des nutriments provient du mélange (production nouvelle), l’autre part provient des différents produits de l’activité métabolique du zooplancton (ammonium contenu dans l’urine).
Bref, comprendre les interactions entre le zooplancton, le phytoplancton et la matière organique ainsi que l’impact du zooplancton sur la physique des océans (mélange) est primordial dans l’estimation et la prévision de la quantité de CO2 captée par les océans…
Merci Pieter !