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Ivan Mozzhukhin

Dans les années 1910 et 1920, Lev Koulechov était un célèbre cinéaste russe curieux de savoir comment le public réagissait au film. Ce fut un temps où cet art était extrêmement nouveau, mais le public était déjà acquis et adulait déjà ses stars comme Ivan Mosjoukine (en entête). Koulechov a tourné un court métrage avec Mosjoukine qui se contentait de regarder la caméra. Personne ne sait précisément ce que comportait le reste du film, parce qu’il a été perdu.

Des passages conservés du film présentaient une image du visage de l’acteur regardant la caméra, puis un bol de soupe. Ensuite, le film montre une autre image du visage de Mosjoukine, puis un enfant dans un cercueil et enfin, encore un plan du visage de la star et une séquence présentant une très belle femme. Le public, selon Koulechov, a évoqué la façon dont l’acteur a exprimé la faim et puis sa tristesse, puis son amour. Mais chaque plan du visage était en fait le même, utilisé à plusieurs reprises. Ce phénomène, appelé l’effet Koulechov, utilisé par l’industrie du cinéma, est également discuté par des psychologues. Il montre que les gens apportent leurs propres émotions et suppositions à ce qu’ils voient. C’est ainsi qu’il est décrit.

Les séquences du film de Lev Koulechov avec l’acteur Ivan Mosjoukine :

D’autres loisirs ont montré que les spectateurs vont correctement (ou incorrectement) classer certains visages en fonction du contexte. Les visages neutres peuvent sembler heureux ou tristes. Les visages criards peuvent sembler joyeux ou tourmentés. La peur et la colère engendrent la confusion. C’est compréhensible. Darwin testait déjà cela il y a fort longtemps

Mais faire ressortir un sentiment à partir d’un visage neutre !? D’une part, on ne sait pas ce que Koulechov a dit aux spectateurs avant le montage, ou comment il jugeait leurs réactions. En outre, leurs réactions n’étaient pas aussi diversifiées qu’elles auraient put l’être. Le public pouvait en déduire que Mosjoukine était dans un sentiment d’amour ou de désir pour la femme, ou dans la luxure, mais pas dans l’indifférence ou repoussé par celle-ci. Personne ne pensait qu’il avait des sentiments négatifs pour la soupe, non plus.

Alors que certaines séquences présentent l’acteur regardant un enfant qui joue et une autre dans laquelle l’acteur regarde une fille dans un cercueil, aucune audience n’a pris pour de la colère ou de l’impatience le regard intense de l’acteur sur l’enfant. Et dans aucune séquence l’acteur, pour le public, ne semble ennuyé ou désintéressé. Ainsi, alors que l’audience peut avoir besoin du contexte pour comprendre le regard que l’acteur porte, seul le montage du film peut aller si loin. L’émotion est une donnée et en raison de la performance, elle est présentée comme n’étant pas une intense émotion négative ou hostile. Le public le sait et forme alors une opinion plus précise une fois qu’on lui présente l’objet de l’émotion.

Aujourd’hui, il est difficile de recréer l’effet, en partie parce que les gens le connaissent bien. Un groupe d’étudiants français qui ont été les sujets d’une telle expérience ont fait référence au phénomène dans leurs enquêtes de réaction. Mais une expérience réalisée par deux personnes de la Society for Cinema and Media Studies (Etats-Unis) a obtenu un peu plus de résultats (pour en obtenir de non biaisés). Le visage d’un acteur a été présenté alors qu’il regardait soit une assiette de soupe, un enfant qui joue, ou une femme dans un cercueil. Ce film n’a pas été monté. Au lieu de cela, il était composé de trois segments différents. Le visage de l’acteur seul est apparu, pour 88 % des personnes interrogées, comme neutre. Lorsqu’il a été présenté une de ces 3 séquences à de nouveaux sujets, la majorité disait encore que l’expression de l’acteur était neutre. 68 % estimaient que l’expression semblait neutre lorsqu’ils ont visionné la séquence de l’assiette de soupe. 61 % ont dit qu’elle était neutre quand ils virent celle avec l’enfant ou la séquence du cercueil.

Des questions subsistent, bien sûr. Koulechov n’avait pas seulement un rapport scientifique avec les premiers cinéphiles, il avait aussi affaire à la célébrité. Il s’agissait (Mosjoukine) d’un acteur connu. Est-ce qu’autant d’observateurs modernes, a qui l’on aurait demandé d’évaluer les performances d’un l’acteur, considéraient le visage comme neutre s’il appartenait à une star ? (Ce serait une expérience au-delà du budget de la plupart des études en psychologie ou cinématographiques.)

Alors, sommes-nous facilement manipulés par le montage d’un film ? Pouvons-nous reconnaitre l’émotion sans le contexte ? Peut-être pas, mais nous pouvons probablement en exclure quelques une.

Via les étude The Kuleshov Effect : Recreating the Classic experiment et The Kuleshov Effect: the influence of contextual framing on emotional attributions.

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