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C’est un principe central de l’évolution : la vie doit s’adapter à son environnement ou mourir. Et le génome le sait. Une nouvelle étude publiée dans la revue Nature (lien plus bas) montre que dans un environnement stressant, le génome d’une cellule de levure gagne ou perd des chromosomes, améliorant la capacité des cellules à muter et donc à s’adapter. Ce mécanisme pourrait expliquer comment certaines cellules cancéreuses parviennent à survivre à l’assaut toxique de la chimiothérapie.

Des scientifiques de l’Institut pour la Recherche Médicale Stowers ont exposé des levures à des stress chimiques et ont ensuite examiné leurs chromosomes. Quand une cellule de levure se reproduit dans des conditions normales, les mécanismes cellulaires font en sorte de s’assurer que les chromosomes sont transmis dans les cellules filles. Dans des conditions stressantes, cependant, ces mécanismes sont tombés en panne, avec parfois des cellules filles qui perdent un chromosome ou en acquière en trop, transmettant ce génome anormal vers leurs propres descendances.

Mais comment une cellule peut prospérer quand il lui manque des chromosomes entiers ? Après tout, l’instabilité chromosomique, aussi connue comme l’aneuploïdie, est la plus fréquemment rencontrée dans les cas de cancer, de défauts de développement et de mauvaise santé cellulaire. Mais la levure peut être l’exception à la règle, avec un nombre anormal de chromosomes dans la levure à la fois dans votre cuisine (Saccharomyces cerevisiae) et dans les souches sauvages en extérieur.

Une précédente étude avait démontré que la levure avec un nombre impair de chromosomes pourrait effectivement survivre à des conditions stressantes mieux que leurs homologues normaux. Ces “mutations créatives” surviennent plus facilement dans les cellules anormales, leur permettant d’évoluer et de s’adapter plus rapidement aux dangers de leur environnement.

Basés sur ces résultats antérieurs, les chercheurs ont décidé de voir si le stress lui-même induisait l’instabilité chromosomique qui a permis à la levure de résister au stress. L’exposition de la levure à une variété de nuisances chimiques leur fournit un environnement stressant, celles-ci y réagissent en perdant et en gagnant des chromosomes, de 10 à 20 fois le taux habituel de perte de chromosomes. Ainsi, les chromosomes spécifiques entrainent une protection contre des médicaments spécifiques. Par exemple, la levure exposée au fluconazole, un médicament utilisé pour éradiquer les infections fongiques et la méningite, évolue généralement en colonies résistantes avec un chromosome supplémentaire VIII, tandis que les colonies qui ont évolué pour résister au fongicide, le bénomyl, n’ont plus de chromosome XII .

Fait intéressant, il n’a pas fallu beaucoup de stress pour provoquer l’aneuploïdie. Les levures ont été exposées à la protéine inhibitrice radicicole (antibiotique) à une très faible concentration, si faible qu’elle a peine ralentie la croissance cellulaire, mais suffisante pour créer l’instabilité chromosomique, ce qui a permis aux colonies de levures d’évoluer pour devenir résistante au radicicole. Cette résistance était bien pratique dans plus d’un environnement : lorsqu’elles sont exposées à d’autres médicaments anti-levure, les levures résistantes au radicicole auraient plus de chance de survivre que les cellules de levure qui ont commencé avec un nombre normal de chromosomes.

L’aneuploïdie peut aider la levure à pallier le stress, mais ce n’est pas une condition idéale. Les chercheurs ont pris la levure qui avait perdu le chromosome XVI lorsqu’elle est exposée à la tunicamycine, un inhibiteur d’enzyme, pour les faire grandir dans un environnement exempt de médicament. Sans le stress de l’industrie chimique, la levure s’est développée en deux colonies distinctes : l’une avec des cellules qui avaient perdu un chromosome XVI et une dont les cellules avaient regagné le chromosome pour revenir à un génome normal de levure. La colonie qui avait repris le chromosome a progressé plus vite que son homologue au chromosome manquant. Elle avait, cependant, perdu sa résistance à la tunicamycine.

Pour les cellules de levure dans un environnement sain, les cellules avec un nombre normal et stable de chromosomes sont plus adaptées que celles à l’aneuploïdie. Mais dans des conditions stressantes, l’aneuploïdie aide les levures à survivre contrairement à son homologue normal. De plus, le fait de perdre le chromosome XVI a conduit à une résistance à la tunicamycine, tandis que de revenir à un nombre normal de chromosomes est venu au détriment de la résistance aux médicaments, indiquant que l’aneuploïdie était directement liée à la résistance aux médicaments.

Comme l’écrivent les chercheurs, “Ces résultats démontrent que l’aneuploïdie est une forme de stress induisant la mutation chez les eucaryotes, capable d’alimenter rapidement l’évolution phénotypique et une résistance aux médicaments."

Si le stress lui-même provoque l’instabilité chromosomique des cellules, leur permettant de s’adapter à la substance chimique stressante, cela pourrait expliquer comment le cancer résiste à un traitement de chimiothérapie. Les toxines en chimiothérapie peuvent tuer les cellules cancéreuses, de la même la façon qu’un fongicide peut tuer des cellules de levure, mais si les médicaments de chimio déclenchent, chez les cellules cancéreuses, la perte ou le gain de chromosomes, la tumeur peut être capable de s’adapter à l’environnement stressant et survivre, ainsi, à la chimiothérapie. Pour éviter cette situation et mettre au point des traitements pour le cancer plus efficaces, d’autres recherches devraient explorer le lien entre les environnements stressants et une adaptation plus rapide.

La recherche publiée sur Nature : Hsp90 stress potentiates rapid cellular adaptation through induction of aneuploidy.

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