L’un des supers pouvoir du tardigrade pourrait bouleverser la conservation de nos médicaments
Ils ont été tirés d’un canon à gaz pour tester leurs capacités de panspermie, on pense qu’ils ont survécu à l’atterrissage en catastrophe de la sonde lunaire Beresheet sur la Lune, ils peuvent vivre sans eau, résister aux radiations, survivre à la congélation et on s’attend à ce qu’ils soient l’une des dernières formes de vie sur Terre lorsque le soleil commencera à s’éteindre, dans environ cinq milliards d’années…
Image d’entête : le physique rond et dodu et les pattes courtes du tardigrade observé au microscope. (Ralph Schill/ Université de Stuttgart)
Il n’est donc pas surprenant que cette créature microscopique ait encore un autre superpouvoir dans ses petits bras potelés : une chimie astucieuse propre au tardigrade qui peut stabiliser les médicaments sans réfrigération. Le potentiel est énorme pour faire parvenir des traitements vitaux à ceux qui en ont besoin.
Des chercheurs de l’université du Wyoming, aux Etats-Unis, ont mis l’accent sur l’une des principales aptitudes de survie du tardigrade, l’anhydrobiose. L’équipe pense que la capacité de l’animal à entrer en animation suspendue réversible lorsqu’il est confronté à une perte extrême d’eau dans les cellules, pourrait fournir le même stockage stable et sec pour les médicaments biologiques qui nécessiteraient autrement un environnement réfrigéré.
Les produits biologiques (vaccins, anticorps, cellules souches, sang et autres produits sanguins) sont dérivés d’organismes vivants et nécessitent un environnement froid pour éviter que la chaleur ne dégrade et ne détruise les protéines. Le facteur VIII (FVIII) de coagulation du sang humain est l’un de ceux qui dépendent de cette infrastructure prohibitive de la chaîne du froid. Parmi ses applications thérapeutiques, on peut citer le traitement de maladies génétiques telles que l’hémophilie A et de personnes souffrant de traumatismes physiques extrêmes et de saignements.
Représentation d’un tardigrade en mouvement. (Université d’Oxford)
En exploitant une protéine et un sucre spécifiques que le tardigrade produit dans l’anhydrobiose, les chercheurs ont découvert qu’il pouvait offrir au FVIII des boucliers de dessiccation similaires, ce qui signifie que le produit biologique peut être déshydraté puis réhydraté pour être utilisé sans perdre ses qualités naturelles. De plus, leur étude montre que le FVIII est resté stable pendant 10 semaines sous sa forme modifiée.
Selon Thomas Boothby, professeur adjoint de biologie moléculaire à l’Université de Washington :
Dans les régions sous-développées, lors de catastrophes naturelles, de vols spatiaux ou sur le champ de bataille, l’accès aux réfrigérateurs et aux congélateurs, ainsi qu’à l’électricité nécessaire pour faire fonctionner cette infrastructure, peut être limité. Notre travail fournit une preuve de principe que nous pouvons stabiliser le facteur VIII, et probablement beaucoup d’autres produits pharmaceutiques, dans un état stable et sec à température ambiante ou même élevée en utilisant des protéines de tardigrades et, ainsi, fournir des médicaments essentiels pour sauver des vies à tous, partout.
En utilisant l’espèce Hypsibius dujardini, l’équipe a mis au point un traitement basé sur des “protéines cytosoliques thermosolubles” (CAHS pour cytosolic abundant heat soluble) et le sucre tréhalose. Plus précisément, la protéine CAHS D protège les enzymes dans leur état de déshydratation, en formant des filaments sous forme de gel qui maintiennent la structure cellulaire de l’animal intacte. Lorsque l’hydratation est rétablie, les filaments se retirent sans entraîner de stress cellulaire.
Grâce aux propriétés biophysiques de la CAHS D et du tréhalose, l’équipe a pu stabiliser le FVIII, ouvrant ainsi la voie au développement de cette technologie de transport et de stockage pour l’ensemble des produits biologiques.
Toujours selon Boothby :
Cette étude montre que les méthodes de conservation à sec peuvent être efficaces pour protéger les produits biologiques, en offrant un moyen pratique, logistiquement simple et économiquement viable de stabiliser des médicaments vitaux. Cela sera bénéfique non seulement pour les initiatives de santé mondiale dans les régions reculées ou en développement, mais aussi pour favoriser une économie spatiale sûre et productive, qui reposera sur de nouvelles technologies permettant de rompre notre dépendance à l’égard de la réfrigération pour le stockage des médicaments, des denrées alimentaires et d’autres biomolécules.
L’étude publiée dans Scientific Reports : Natural and engineered mediators of desiccation tolerance stabilize Human Blood Clotting Factor VIII in a dry state et présentée sur le site de l’Université du Wyoming : UW Scientists Use Tardigrade Proteins for Human Health Breakthrough.