Les grenouilles disparaissent, les moustiques en profitent, les humains attrapent la malaria
Depuis le début de la pandémie mondiale en 2020, le monde est de plus en plus conscient que la santé de notre espèce est étroitement liée à celle des autres animaux. Aujourd’hui, la conversation porte essentiellement sur les oiseaux et les mammifères, les amphibiens étant rarement pris en compte, mais cela pourrait être un sérieux manquement.
Une récente étude sur les grenouilles et le paludisme (lien plus bas) montre à quel point la santé humaine peut être influencée par ces adorables créatures.
Image d’entête : la grenouille Atelopus zeteki endémique au Panama et fait partie des espèces dont les populations se sont effondrées suite à l’apparition du champignon pathogène mortel « Bd. » (Brian Gratwicke/ Wikimedia)
Dans les années 1980, des écologistes du Costa Rica et du Panama ont commencé à remarquer un déclin silencieux et spectaculaire du nombre d’amphibiens. Les grenouilles et les salamandres de cette région du monde étaient la proie d’un champignon pathogène virulent (Batrachochytrium dendrobatidis), et ce à un rythme si rapide que les chercheurs de l’époque craignaient une vague d’extinctions locales.
Certains scientifiques affirment aujourd’hui que cet agent pathogène, désigné Bd en abrégé, a causé « la plus grande perte de biodiversité jamais enregistrée attribuable à une maladie », étant responsable du déclin significatif d’au moins 501 espèces d’amphibiens, dont 90 extinctions, de l’Asie à l’Amérique du Sud.
Cette affirmation est évidemment très importante, mais les amphibiens sont aujourd’hui considérés comme l’un des groupes d’animaux les plus menacés sur Terre, et la propagation mondiale de ce champignon et d’autres similaires en est au moins partiellement responsable.
Vue microscopique de la peau d’une grenouille morte recueillie lors de la vague de mortalités à El Cope, Panama, en 2004. Les cellules rondes sont le champignon pathogène Bd. Les cellules irrégulières grises-vertes sont la peau de la grenouille. Il y a plus de cellules fongiques que de cellules de grenouille. (Forrest Brem/ Université de Memphis)
Les grenouilles et les salamandres influencent directement la taille des populations de moustiques, car ces derniers constituent une source de nourriture essentielle, ce qui signifie que le nombre d’amphibiens pourrait en fin de compte influencer les vecteurs, organismes vivants pouvant transmettre des agents pathogènes infectieux, qui propagent des maladies humaines mortelles.
En utilisant l’Amérique centrale comme étude de cas, les chercheurs ont maintenant essayé d’illustrer comment des créatures telles que les grenouilles peuvent en définitive bénéficier à la santé humaine.
Les résultats, qui ont été présentés pour la première fois en 2020, ont maintenant fait l’objet d’un examen par les pairs et montrent que les pertes d’amphibiens dues à la Bd ont entraîné une augmentation substantielle de l’incidence du paludisme, une maladie transmise par des moustiques infectés, d’abord au Costa Rica dans les années 1980 et 1990, puis à nouveau au Panama au début des années 2000, lorsque le champignon s’est propagé vers l’est.
À la connaissance des auteurs, il s’agit de la première preuve causale de l’impact des pertes d’amphibiens sur la santé humaine dans un cadre naturel.
La grenouille arlequin de Chiriqui (Atelopus chiriquiensis) fait partie des nombreuses espèces d’amphibiens qui ont disparu au cours des dernières décennies des hauts plateaux de Talamanca au Costa Rica et au Panama à la suite de l’arrivée du champignon pathogène « Bd ». (Marcos Guerra/ Smithsonian Tropical Research Institute)
L’étude s’est appuyée sur un modèle de régression multiple pour estimer l’impact causal du déclin des amphibiens dû à la Bd sur l’incidence du paludisme au niveau du Costa Rica et du Panama.
En comparant une carte du déclin des amphibiens et une carte de l’incidence du paludisme entre 1976 et 2016, les chercheurs ont trouvé un modèle clair qui pouvait être prédit avec une grande précision et un haut degré de confiance par leur modèle.
Au cours des huit années qui ont suivi les pertes substantielles d’amphibiens dues à la Bd, un pic de cas de paludisme a été observé, équivalent à environ un cas supplémentaire pour 1 000 personnes. Ce cas supplémentaire n’aurait, selon toute probabilité, pas eu lieu s’il n’y avait pas eu la récente disparition des amphibiens.
A partir de l’étude : graphique présentant le pic du nombre total de cas annuels de paludisme de 1976 à 2016 pour le Costa Rica et le Panama. (Michael Springborn et col./ UC Davis)
Lors d’une flambée habituelle de paludisme, les taux d’incidence atteignent généralement un pic d’environ 1,1 à 1,5 cas pour mille personnes. Cela signifie que la disparition des amphibiens en Amérique centrale aurait pu entraîner une augmentation de 70 à 90 % du nombre de personnes malades.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Le modèle montre une vague d’ouest en est qui s’étend de la frontière nord-ouest du Costa Rica vers 1980 à la région du canal de Panama en 2010.
Cependant, après huit ans, l’effet estimé s’est soudainement réduit, et les chercheurs ne savent pas exactement pourquoi.
Peut-être, suggèrent-ils, qu’une augmentation des cas de paludisme incite à utiliser davantage d’insecticides, ce qui fait ensuite baisser les cas, conformément à ce cycle.
De futures études sur d’autres maladies transmises par des moustiques, comme la dengue, pourraient contribuer à confirmer le lien entre la disparition des amphibiens et la menace croissante des maladies transmises par des moustiques.
Les chercheurs n’ont pu obtenir que des données nationales sur les cas de dengue au Panama, et non des données au niveau des comtés, mais à cette résolution inférieure, les résultats suggèrent également une augmentation de la dengue suite au déclin des amphibiens.
De 2002 à 2007, l’augmentation des cas de dengue par rapport aux huit années précédentes fut de 36 %.
Selon les chercheurs :
Cet impact de la perte de biodiversité, jusqu’alors non identifié, illustre les coûts souvent cachés des échecs de la conservation en termes de bien-être humain.
Si les scientifiques et les décideurs ne tiennent pas compte des ramifications de tels événements passés, ils risquent également de ne pas motiver pleinement la protection contre de nouvelles calamités, comme la propagation internationale d’un agent pathogène émergent et étroitement lié, Batrachochytrium salamandrivorans, par le biais d’un commerce d’espèces vivantes insuffisamment réglementé.
Au moment où vous lisez ces quelques lignes, le B. salamandrivorans se déplace dans le monde entier grâce au commerce mondial, et il menace non seulement l’avenir des amphibiens, mais aussi la santé de notre propre espèce.
Comme le révèle cette étude, la santé des grenouilles et celle des humains vont ainsi souvent de pair.
L’étude publiée dans la revue Environmental Research Letters : Amphibian collapses increased malaria incidence in Central America* et présentée sur le site de l’Université de Californie à Davis : Malaria Spike Linked to Amphibian Die-Off.