Ce poisson de l’arctique est rempli d’antigel jusqu’aux branchies
La vie, comme on dit, trouve toujours sa voie. Pour trouver un moyen de survivre dans les eaux froides du Groenland, les animaux ont recours à toutes sortes de tactiques. Certains développent des protéines antigel, ce qui a déjà été décrit. Mais selon une nouvelle étude, certains poissons/ limaces de mer sont bourrés de protéines antigel, les niveaux les plus élevés jamais observés.
Image d’entête : la “limace marbrée” Liparis Gibbus. (John Sparks/ David Gruber)
En 2020, John Sparks et David Gruber, deux biologistes associés à l’American Museum of Natural History, étaient en expédition au Groenland pour étudier la prévalence de la biofluorescence dans l’Arctique. Dans un laboratoire de fortune alimenté par de l’eau fraîche provenant directement du glacier, les deux hommes ont entrepris d’explorer l’écosystème glacial du Groenland.
Loin d’un paysage désolé, les deux biologistes devenus explorateurs ont découvert un écosystème grouillant de vie sous les vagues. Plongeant dans une crique isolée, ils ont exploré l’écosystème en profondeur.
Le lieu d’étude au Groenland. (Peter Kragh/ Museum of Natural History)
Selon David Gruber, chercheur associé au musée et professeur de biologie distingué au Baruch College de l’université de la ville de New York (CUNY) :
Nous avons plongé dans plusieurs habitats différents, dans les fjords, dans les forêts de varechs et, lors de plusieurs plongées, nous avons cherché des spécimens dans la glace, parmi les icebergs.
Ces icebergs constituent une sorte de refuge pour de nombreuses petites créatures. Les crustacés entrent et sortent de la glace, et même certains poissons se rendent sur ces icebergs. Mais le problème, comme les deux biologistes allaient l’apprendre par eux-mêmes, est que le froid n’est pas facile à gérer. Comme l’eau de l’océan contient du sel, elle peut descendre en dessous de 0°C sans geler, il faut donc supporter les températures glaciales d’une manière ou d’une autre. Lorsqu’ils ont terminé leurs premières recherches sur la bioluminescence, ils sont revenus sur le problème du froid.
Certains animaux se réfèrent à une substance familière pour les aider à supporter le froid, pas une substance que nous connaissons en biologie, mais plutôt une substance que nous connaissons dans les voitures : l’antigel.
Toujours selon Gruber :
De la même manière que l’antigel dans votre voiture empêche l’eau du radiateur de geler par temps froid, certains animaux ont développé d’étonnants mécanismes qui les empêchent de geler, comme les protéines antigel, qui empêchent la formation de cristaux de glace. Nous savions déjà que ce minuscule poisson, qui vit dans des eaux extrêmement froides, produisait des protéines antigel, mais nous n’avions pas réalisé à quel point il était bourré de ces protéines et la quantité d’efforts qu’il déployait pour les fabriquer.
Certaines espèces (notamment certains reptiles et insectes) peuvent survivre si leurs fluides corporels gèlent partiellement, mais on ne peut pas en dire autant des poissons. Ces derniers doivent s’assurer que leurs fluides corporels restent liquides et dépendent donc des protéines antigel. Ces protéines sont fabriquées dans le foie et, tout comme les antigels pour voitures, elles agissent en abaissant la température de congélation du liquide.
La capacité de certains poissons à produire de l’antigel a été découverte il y a une cinquantaine d’années, mais lorsque les chercheurs ont analysé les niveaux d’antigel dans les échantillons d’escargots obtenus lors de cette expédition, ils ont été surpris : les gènes des escargots présentent les niveaux d’expression les plus élevés de protéines antigel jamais observés. Ces résultats montrent à quel point il est important pour ces poissons de s’adapter aux températures glaciales qui règnent autour du Groenland, et ils constituent également un signal d’alarme pour leur survie.
Au fur et à mesure que les températures continueront à augmenter en raison du réchauffement climatique, cette adaptation sera moins utile, et pourrait en fait constituer une menace pour leur survie.
Selon Sparks :
Depuis le milieu du 20e siècle, les températures ont augmenté deux fois plus vite dans l’Arctique qu’aux latitudes moyennes et certaines études prévoient que si le déclin de la glace de mer arctique se poursuit à ce rythme actuel, en été, l’océan Arctique sera en grande partie dépourvu de glace dans les trois prochaines décennies. Les mers arctiques n’abritent pas une grande diversité d’espèces de poissons, et notre étude émet l’hypothèse qu’avec le réchauffement croissant des températures océaniques, les spécialistes de la glace comme ce poisson-limace pourraient rencontrer une concurrence accrue de la part d’espèces plus tempérées qui étaient auparavant incapables de survivre à ces latitudes nordiques plus élevées.
L’Arctique se réchauffe beaucoup plus rapidement que les autres régions. Alors que les températures sur Terre ont augmenté en moyenne d’un degré depuis 1990, celles de l’Arctique ont augmenté au moins quatre fois plus. Si les températures continuent à augmenter, tout cet écosystème bien adapté risque de ne pas pouvoir… s’adapter.
L’étude publiée dans Evolutionary Bioinformatics : Transcriptomics of a Greenlandic Snailfish Reveals Exceptionally High Expression of Antifreeze Protein Transcripts et présentée sur le site du Museum of Natural History : Study Finds Sky-High Levels of Antifreeze Protein in Arctic Fish.