Des scientifiques produisent des embryons synthétiques sans sperme, ni ovule, ni même utérus
La vie commence à la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde, du moins le pensions-nous…
Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences, en Israël, ont accompli une avancée majeure dans le domaine de la biologie synthétique après avoir cultivé un embryon de souris en dehors de l’utérus, sans sperme ni ovule. Le minuscule embryon a été entièrement produit à partir de cellules souches, ce qui soulève des possibilités intéressantes, mais aussi éthiques qui pourraient un jour conduire à la reproduction d’un animal vivant, et cela pourrait inclure les humains, uniquement à partir de cellules souches cultivées en laboratoire. Pour l’instant, il s’agit d’une fantastique démonstration de biotechnologie qui aidera les scientifiques à mieux comprendre le fonctionnement des cellules souches et la façon dont elles pourraient nous aider à soigner diverses maladies.
Image d’entête : développement de modèles d’embryons synthétiques du premier jour (en haut à gauche) au huitième jour (en bas à droite). (Institut Weizmann des Sciences)
La façon dont une minuscule masse de cellules se transforme en une structure biologique complexe dotée de nombreux tissus et organes spécialisés est l’un des mystères les plus déconcertants de la biologie. Au cours des deux dernières décennies, les biologistes ont décortiqué les embryons, cellule par cellule, afin d’élucider chaque étape de leur développement dans les moindres détails. Au fil du temps, les scientifiques ont beaucoup appris sur les types de signaux cellulaires et de forces physiques qui façonnent les embryons et les tissus qui les soutiennent.
De tous les mammifères étudiés, c’est le manuel d’instructions moléculaires de la souris qui a fait l’objet du plus grand nombre de recherches, les scientifiques désactivant les gènes, un par un, pour tester ce que fait chacun d’entre eux. Avec le temps, les instructions sont devenues suffisamment claires pour que les scientifiques soient convaincus qu’ils peuvent cultiver un embryon à partir de rien.
En 2019, une équipe de recherche de l’École médicale du Sud-Ouest de l’université du Texas fut la première à utiliser des cellules souches pluripotentes avancées pour développer un embryon sans sperme ni ovule, qu’elle a ensuite implanté et fait croître à l’intérieur d’une souris femelle. Seuls 7 % des implants ont réussi, mais les embryons qui ce sont fixés ont commencé à développer des structures fœtales précoces, malgré quelques malformations majeures.
Aujourd’hui, des chercheurs de l’Institut Weizmann ont franchi une étape supplémentaire en développant des embryons artificiels en dehors de l’utérus, entièrement en laboratoire. Ils ont d’abord reprogrammé des cellules souches dans un état dit « naïf » qui leur permet de se développer en cellules spécialisées. Certaines de ces cellules souches ont été cultivées pour se développer en organes embryonnaires, tandis que d’autres ont été génétiquement modifiées pour se transformer en cellules pour le placenta et le sac vitellin.
Toutes ces cellules ont été regroupées à l’intérieur d’un utérus mécanique complexe qui imite l’incubateur naturel de l’utérus d’une souris, et que les scientifiques ont mis plus de 7 ans à développer. L’utérus artificiel contrôle précisément la pression, l’échange d’oxygène et le flux de nutriments afin de simuler l’environnement nécessaire au développement d’un embryon de souris.
L’embryon synthétique a grandi pendant un peu plus de 8 jours, développant les prémices d’un cerveau, d’un tractus intestinal et même d’un cœur battant. Les modèles d’expression génétique de l’embryon synthétique correspondaient aux modèles naturels à 95 % près. Les précédentes tentatives de culture d’embryons en dehors de l’utérus, dans des tubes à essai et des boîtes, n’ont pas permis de maintenir le développement pendant plus de quelques jours tout au plus.
Vidéo montrant un modèle synthétique d’embryon de souris au huitième jour de son développement ; il possède un cœur qui bat, un sac vitellin, un placenta et une circulation sanguine naissante. (Institut Weizmann des Sciences)
Cependant, la grande majorité des agrégats de cellules souches ne sont jamais parvenus à ce stade très avancé. Seuls 50 des quelque 10 000 embryons synthétiques, soit 0,5 %, ont atteint 8 jours de développement complet, ce qui représente près de la moitié de la période de gestation de la souris.
C’est ainsi que des modèles synthétiques d’embryons de souris ont été cultivés hors de l’utérus : vidéo montrant le dispositif en action. Des béchers en mouvement continu simulent l’apport naturel de nutriments, tandis que l’échange d’oxygène et la pression atmosphérique sont rigoureusement contrôlés. (Institut Weizmann des Sciences)
Ce taux d’échec très élevé montre à quel point ce processus peut être compliqué et tout ce qu’il reste à découvrir. Néanmoins, cette nouvelle recherche représente une formidable avancée, qui pourrait ouvrir la voie à la fabrication d’embryons viables à partir de rien, et potentiellement d’un organisme vivant. Forts de ces connaissances, les scientifiques pourraient cultiver entièrement en laboratoire des organes humains fonctionnels destinés à la transplantation, à partir de cellules matures données par les patients eux-mêmes, ce qui garantirait une parfaite biocompatibilité. Les tests sur les animaux seraient également considérablement réduits, voire rendus obsolètes.
Résumé graphique de l’étude. (Shadi Tarazi et col./ Cell)
Selon le professeur Jacob Hanna, chercheur principal de l’étude :
L’embryon est la meilleure machine à fabriquer des organes et la meilleure bio-imprimante 3D, nous avons essayé d’imiter ce qu’il fait. Au lieu de développer un protocole différent pour cultiver chaque type de cellules (comme par exemple, celles du rein ou du foie) nous pourrons peut-être un jour créer un modèle synthétique semblable à l’embryon, puis isoler les cellules dont nous avons besoin. Nous n’aurons pas besoin de dicter aux organes émergents comment ils doivent se développer. C’est l’embryon lui-même qui s’en charge le mieux.
L’étude publier dans la revue Cell : ¬Post-Gastrulation Synthetic Embryos Generated Ex Utero from Mouse Naïve ESCs et présentée sur le site de l’Institut Weizmann des Sciences : Without Egg, Sperm or Womb: Synthetic Mouse Embryo Models Created Solely from Stem Cells.