Cette ancienne créature est sortie de l’eau pour marcher sur la terre ferme, pour finalement retourner dans l’eau
Nos lointains ancêtres, comme toute vie terrestre, ont évolué dans les mers originelles de notre planète avant de faire leurs premiers pas sur terre. Pour les vertébrés comme nous, l’animal communément associé à ce pas dans l’évolution est le Tiktaalik roseae, vieux de 375 millions d’années.
Pour son entrée dans la bible darwinienne, le Tiktaalik a reçu quelques critiques ironiques de la part de l’internet qui accusent le pionnier des amphibiens de tous les problèmes modernes de la vie. Ils déplorent notamment l’esprit d’aventure de la créature préhistorique et expriment le désir, non dénué de sincérité, de voyager dans le temps et de ramener le Tiktaalik dans l’eau. D’autres se demandent si cela n’aurait pas conduit à une dystopie remplie de guerres, de peste et de patrons injustes surgissant des vagues de l’océan…
Une nouvelle étude (lien plus bas) sur un nouveau fossile montre un élpistostégaliens qui semble avoir rejoint le Tiktaalik sur la terre ferme, avant de décider de retourner à la mer, épargnant ainsi à ses ancêtres la douleur d’une vie au XXIe siècle…
Le coauteur de la nouvelle étude et biologiste évolutionniste de l’Université de Chicago, Neil Shubin, était également l’un des chefs de l’équipe qui a codécouvert le Tiktaalik en 2004.
Neil Shubin, qui a découvert le fossile, montrant de l’autre côté de la vallée le site où Qikiqtania a été découvert sur l’île d’Ellesmere. (Neil Shubin)
Le nouveau fossile appartenait à une créature similaire, appelée Qikiqtania wakei, qui aurait mesuré un peu plus d’un mètre de long, ce qui est peu par rapport au Tiktaalik qui pouvait atteindre près de 3 mètres.
Image d’entête : représentation artistique du Qikiqtania profitant de son mode de vie entièrement aquatique et nageant librement. (Alex Boersma)
Les fossiles de Qikiqtania ont été découverts quelques jours seulement avant la découverte du Tiktaalik. La dénomination de Qikiqtania provient des mots inuktitut Qikiqtaaluk ou Qikiqtani, noms traditionnels de la région où le fossile a été trouvé. La désignation de l’espèce « wakei » est en mémoire de feu David Wake, un éminent biologiste évolutionniste de l’Université de Californie à Berkeley, aux États-Unis.
Bien que le Qikiqtania ait partagé de nombreuses caractéristiques avec son cousin explorateur, le corps de l’animal découvert est plus adapté à la vie dans l’eau. Parmi les fossiles, on trouve des parties de mâchoires supérieure et inférieure, des portions de cou et d’écailles et, surtout, une nageoire pectorale complète avec un humérus dépourvu des crêtes musculaires qui indiqueraient le développement d’un membre pour marcher sur la terre ferme.
La partie supérieure du bras du Qikiqtania était lisse et incurvée, ce qui suggère qu’il passait sa vie à barboter sous l’eau. Les os uniques du bras impliquent qu’il y est retourné après que ses ancêtres aient commencé à utiliser leurs appendices pour marcher.
Selon Shubin :
Au début, nous avons pensé qu’il pouvait s’agir d’un Tiktaalik juvénile, parce qu’il était plus petit et que certains de ces processus n’étaient peut-être pas encore développés. Mais l’humérus est lisse et en forme de boomerang, et il ne présente pas les éléments qui lui permettraient de pousser sur la terre ferme. C’est remarquablement différent et cela suggère quelque chose de nouveau.
Rejetés dans l’ombre de Tiktaalik, les fossiles de Qikiqtania ont été stockés et largement oubliés pendant 15 ans.
Ce n’est qu’en mars 2020 qu’un scanner de l’une des roches a révélé une nageoire pectorale. Trop profonde dans la roche pour obtenir une image décente et abandonnée à nouveau lorsque les confinements ont forcé les laboratoires à fermer, la nageoire a été laissée en plan jusqu’à plus tard cette année-là.
Selon le coauteur de l’étude, Justin Lemberg :
Nous avons essayé de collecter autant de données CT que possible sur le matériel avant la fermeture, et la toute dernière pièce que nous avons scannée était un grand bloc sans prétention, avec seulement quelques écailles visibles à la surface.
Nous avions du mal à y croire lorsque les premières images granuleuses d’une nageoire pectorale sont apparues. Nous savions que nous pourrions recueillir un meilleur scan du bloc si nous avions le temps, mais c’était en mars 2020, et l’Université a arrêté toutes les opérations non essentielles la semaine suivante.
Lorsque les installations ont rouvert et que les scans ont pu être réalisés après avoir taillé la roche autour du spécimen, la nageoire pectorale et le membre supérieur presque complets sont apparus.
De l’étude : scanner de la nageoire pectorale du Qikiqtania. (Tom Stewart)
Selon Shubin :
C’est ce qui nous a époustouflés. Ce n’était pas du tout un bloc fascinant au départ, mais nous avons réalisé pendant le confinement du COVID, lorsque nous ne pouvions pas entrer dans le laboratoire, que le scan original n’était pas assez bon et que nous devions tailler le bloc. Et quand nous l’avons fait, regardez ce qui s’est passé. Cela nous a donné quelque chose de passionnant sur lequel travailler pendant la pandémie. C’est une histoire fabuleuse.
Légèrement plus ancien que le Tiktaalik, le Qikiqtania partage une partie de l’arbre de vie évolutif avec les premiers vertébrés dotés de doigts. Cette découverte et cette analyse montrent que les animaux n’évoluent pas de manière linéaire. Il n’est pas aussi simple de tracer une ligne droite entre les organismes modernes et certaines formes antérieures. Le Qikiqtania montre que certaines créatures empruntent des chemins différents, dont certains ne mènent à rien. Selon l’auteur principal de l’étude, Thomas Stewart :
Le Tiktaalik est souvent considéré comme un animal de transition parce qu’il est facile de voir le processus de changement par étapes de la vie dans l’eau à la vie sur terre. Mais nous savons que dans l’évolution, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Nous n’avons pas souvent un aperçu de cette partie de l’histoire des vertébrés. Nous commençons maintenant à découvrir cette diversité et à nous faire une idée de l’écologie et des adaptations uniques de ces animaux. C’est plus qu’une simple transformation avec un nombre limité d’espèces.
Donc, pour tous les détracteurs de Tiktaalik sur internet, l’évolution a aussi essayé le « retour dans l’eau ». L’étude publiée dans : New fossil shows four-legged fishapod that returned to the water et l’auteur principal de l’étude, Thomas Stewart, présente leur découverte dans un article publié dans The Conversation : Meet Qikiqtania, a fossil fish with the good sense to stay in the water while others ventured onto land.